L'affaire "Pussy Riot" à Moscou

Sur le procès qui survolte (en bloc) les médias parisiens, peut-être ne serait-il pas inutile de prendre aussi connaissance de cette tribune parue chez Ria-Novosti :

 

L'article est signé d'Alexandre Latsa. Extraits :

<< ...Le 21 février 2012, trois jeunes femmes encagoulées et déguisées envahissent la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou avec guitares et matériel sonore, et y entament une sorte de prière sous forme de chanson blasphématoire et grossière (avec des paroles telles que : [...]  "merde, merde, merde du Seigneur"), politiquement dirigée contre le candidat à l’élection présidentielle Vladimir Poutine, mais également contre le patriarche orthodoxe accusé de "croire en Poutine plus qu’en Dieu"*. Les jeunes femmes sont rapidement interpellées, arrêtées et déférées devant un tribunal qui ordonne leur mise en détention préventive en attendant leur procès, qui a lieu actuellement. L’Eglise orthodoxe a de son côté  réagi en organisant une grande manifestation autour de cette même cathédrale en avril dernier, [...] à laquelle ont pris part des dizaines de milliers de fidèles pour afficher leur soutien [photos] à l’Eglise et au patriarche.

Le main-stream médiatique a largement surmédiatisé cette affaire. Pour certains la Russie "retournerait au Moyen Âge", quand d’autres estiment que le pouvoir "durcit sa répression" qui serait dirigée contre la « société civile qui se mobilise». Enfin la majorité des commentateurs ont estimé que les trois jeunes femmes seraient en prison à cause de leur "prière anti-Poutine".

[...] Il faut néanmoins  rappeler que les Pussy Riot ont plusieurs fois durant les derniers mois organisé des actions "coup de poing" portant atteinte à l’ordre public (voir par exemple ici ou la). Pussy Riot n’est pas seulement un groupe de rock, mais le volet musical d’un groupe anarchiste du nom de Voina (la guerre) et qui ces derniers mois a revendiqué de nombreuses actions que l’on peut ne pas trouver "drôles" ni "subversives". Parmi celles-ci, organiser une orgie sexuelle avec des femmes enceintes dans un musée (le nom de l’action étant une insulte violente au président Medvedev), se montrer en public nus et couverts de cafards, se masturber avec une carcasse de poulet dans une épicerie et en sortir en marchant avec la carcasse enfoncée dans les parties génitales, attaquer à l’urine des policiers...

[...] La Russie est un pays multiconfessionnel, pluriculturel, et qui [...] maintient assez habilement une cohabitation entre des groupes religieux et ethniques très variés, sur un territoire gigantesque. Plus que cela : au sortir de presqu’un siècle de dictature athéiste, le renouveau de la foi est quelque chose de particulièrement sensible. [...] Je reste donc perplexe face à cette affaire et je doute très sincèrement que nombre de commentateurs puissent trouver "drôle et subversive" une action similaire dans une mosquée, une synagogue ou un temple bouddhiste, notamment en France. On peut du reste se demander ce qui pousse des gens quels qu’ils soient à aller importuner des croyants, quels qu’ils soient, et porter atteinte à l’intégrité de lieux de culte, quels qu’ils soient. [...]  Un journaliste sous le pseudonyme de Dick**Riot accompagne désormais chaque événement politique de l’opposition en tentant de discuter et de poser des questions, le visage couvert d’une cagoule noire, tout comme les Pussy Riot. Visiblement, les leaders de l’opposition interrogés, qui soutiennent pourtant tous très activement les Pussy Riot, n’apprécient guère la plaisanterie (voir ici). Deux poids deux mesures ? >>

 

 << Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.  >>

 

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Notes de PP :

* Contrairement à ce que croient les médias parisiens, l'actuel patriarche de Moscou a souvent pris ses distances envers certains aspects de la politique du Kremlin. On retrouve ces distances critiques dans le livre de doctrine sociale publié par le patriarcat.

**  En argot anglophone, pussy et dick désgnent les organes sexuels féminin et masculin. L'érotomanie médiatique occidentale se sent concernée dans cette affaire : c'est de la "politique" au sens auquel celle-ci s'est progressivement réduite depuis vingt ans. Noter que le soi-disant anarchisme des Pussy Riot évite de mettre en cause le monde économique, et qu'il cousine avec le business des "performances artistiques" occidentales. Plus inquiet qu'il ne le montre, le Kremlin est confronté à l'occidentalisation rapide d'une partie de la moyenne bourgeoisie russe, qui a accédé aux standards économiques (et mentaux) de l'Ouest depuis une dizaine d'années.