09/07/2010
"Méthodes fascistes ?"
M. Bertrand et Mme Morano
disent n'importe quoi,
mais ce n'est pas de leur faute :
Stigmatisant les articles de Mediapart, Xavier Bertrand parle de « méthodes fascistes ». Qu'a dit Mediapart ? que la comptable de Liliane Bettencourt (qui mettait en cause Eric Woerth) mettait en cause aussi Nicolas Sarkozy. La comptable dément avoir parlé de Sarkozy. Si c'est exact, alors Mediapart a fait du journalisme abusif. Mais est-ce du « fascisme » ? En ce cas, le Sunday Times est un journal fasciste pour avoir prêté aux climatologues du GIEC des propos qu'ils n'avaient pas tenus (voir notre note d'hier). Si l'on doit appeler « fascisme » toute campagne de presse abusive, la France vit dans le fascisme depuis 1780 et les libelles contre la reine, qui étaient un peu plus venimeux que les investigations de Mediapart.
La peu subtile Mme Morano compare Mediapart à «la presse des années 30 ». Elle doit croire que cette presse était « fasciste ». Mais si « la presse des années 30 » avait été « fasciste », ses lecteurs n'auraient pas voté pour le Front populaire en 1936... Et l'on se demande où est le point commun entre la calomnie de Gringoire contre Salengro (avoir déserté pendant la guerre) et les imputations de Mediapart sur Woerth (avoir fait son métier de trésorier de l'UMP) et sur Sarkozy (avoir financé une campagne présidentielle).
Bertrand, Mme Morano, et d'autres, disent-ils n'importe quoi ? Pas tout à fait. Le mot « fasciste » a perdu tout contenu précis depuis longtemps : il peut servir à désigner d'authentiques fachos, auquel cas son emploi est justifiable ; mais le plus souvent, il sert à condamner ce que l'époque ultralibérale n'aime pas. On peut même aller plus loin et se servir du mot « nazi », en voie de banalisation depuis que « fasciste » s'est usé. Par exemple, toute critique du business spéculatif de l'art contemporain est accusée de nostalgie pour l'art pompier du IIIe Reich ; ne pas applaudir les exhibitions commerciales imposées par notre gouvernement à Versailles, expose aux pires soupçons... (Je recommande l'amusante double page de La Décroissance de juillet contre « l'art contemporain productiviste », avec cette affichette pastiche : « Tu n'apprécies pas l'art contemporain ? Alors tu es sans doute nazi. As-tu consulté un psychiatre ? ». Sous-titres : « Tous réacs ou l'impossible critique » - « A la botte des Etats-Unis » - « L'art de l'hyperbourgeoisie » - « Transgresser la transgression »).
On ne peut donc faire de reproches à M. Bertrand et à Mme Morano. Ils ne sont responsables, ni de l'appauvrissement du vocabulaire, ni du rétrécissement conceptuel, qui résultent du laminoir libéral. Mediapart a tort de renchérir sur les propos de Mme Thibout ; Bertrand et Morano ont tort de crier au fascisme ; mais ces excitations et ces étroitesses ont des causes infrastructurelles.
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12:45 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : woerth
Commentaires
CYNISME
> Mme Morano est-elle si inconsciente de son langage? Je n'en suis pas si sur. Je pense plutôt qu'elle joue le jeu du système actuel vis-à-vis des masses. Le système a réussi à détruire toute culture et toute transmission de cette culture. Il a réussi à faire réagir le peuple uniquement a des stimuli primaire et pulsionnels. Mme Morano ne fait que mettre cela en pratique. Elle est plus comme une cynique profitant du système et le défendant qu'un fruit de ce système.
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Écrit par : vf / | 09/07/2010
SEVENTIES
> Je dirais même plus, dans les années 70, du temps de ma jeunesse, je revendiquais pour m'amuser une appellation de "fasciste" qui recouvrait déjà - de façon absurde - tout ce qui refusait le gauchisme ambiant, sectaire et intolérant, de droite comme de gauche... excusez le paradoxe.
Du reste, mes amis communistes admettaient tout à fait la démarche intellectuelle, lorsque je leur ai expliqué.
Alors maintenant... la machine à décérébrer a fonctionné à fond.
Il n'y a effectivement plus de repères et tous les mots sont détournés et gauchis, j'ai la faiblesse de penser que c'est involontaire, par méconnaissance grave des sujets.
Lorsque l'on entend Mr Fillon parler de l'Islam de France, les bras nous en tombent. Il est logique qu'il soit modéré et respectueux, mais rien ne l'oblige à proférer des sottises, sinon une inculture crasse - comme celle de madame Morano.
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Écrit par : franek / | 09/07/2010
PAS CLERICAUX
> A propos de 'La Décroissance' que pensez vous de leur petit article sur la "Padre Cup"? Sur le fond, de leur point de vue, que je partage, ils ont raison, mais je crains que ce soit l'occasion pour eux de nous sortir un bon vieux couplet d'anticléricalisme, comme pour se rassurer quant à leur appartenance au camp de la gauche républicaine, laïque etc... Comme si ils étaient inquiets de se trouver si souvent en accord avec nombre de chrétiens depuis quelque temps.
G.
[ De PP à G. - Ce fut toujours leur ton, il n'y a pas d'évolution ! Quoique soutenu par un curé de paroisse de mes amis, ce journal est très peu... clérical. So what ? ]
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Écrit par : grzyb / | 09/07/2010
BAUDIS
> Plus fin que d'autres, Dominique Baudis :
"Dans la presse, comme dans la justice, certains font leur métier avec conscience, c'est-à-dire avec la volonté d'informer, de connaître la vérité et de la révéler. C'est ce qu'on appelle le journalisme d'investigation. D'autres sont passés du journalisme d'investigation à un journalisme d'instigation, qui incite les personnes à proférer des accusations. Dans l'affaire où j'avais été accusé de choses épouvantables - et qui s'est conclue par une condamnation à des peines de prison des personnes qui m'accusaient -, tous les journalistes n'attisaient pas l'incendie. Mais ceux qui le faisaient, comme La Dépêche du Midi ou Karl Zéro, n'avaient pas d'autre objectif que de manipuler l'opinion."
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 09/07/2010
ILLEGAL
L'UMP vient d'adopter la loi de Godwin. En espérant que ce soit la dernière.
Un commentaire sur l'illégalité du comportement de la majorité à l'égard de Médiapart
http://www.mediapart.fr/club/edition/europ-agora/article/090710/la-majorite-ump-viole-la-liberte-dinformation-garantie-par-l
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Écrit par : Patrick / | 10/07/2010
FASCISME
> Pour ma part je ne saurais affirmer qu'ils aient vraiment eu tort d'établir une comparaison avec le fascisme. Je trouve qu'il y a des analogies réelles ( et intéressantes à constater) avec le fascisme, par exemple dans le regard jeté par le gouvernement sur les maigres restes de la liberté de la presse, ou encore dans sa façon très spéciale (et nouvelle, me semble-t-il, dans la vie politique française) d'affirmer avec beaucoup d'aplomb le contraire de ce qui est vrai, tout en sachant que chacun sait que c'est le contraire de ce qui est vrai. Ne trouvez-vous pas?
Diagraphès
[ De PP à D. - Mais c'est le gouvernement qui traite la presse de "fasciste" ! ]
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Écrit par : Diagraphès / | 10/07/2010
QUAND ARTPRESS LYNCHAIT BAUDRILLARD
> Analyse parfaite. Souvenez-vous, années 80 : le lynchage de Jean Baudrillard dans la revue Artpress, traité de "fasciste" et de "néo-nazi" par la plupart de ses congénères. Penseur libre et critique virulent de la société de consommation, il avait osé exprimer l'idée que l'art contemporain était une imposture.
Voir à ce sujet l'article de libé en mars 1997 :
http://www.liberation.fr/culture/0101208105-quand-l-extreme-droite-recupere-la-croisade-anti-art-moderne-ben-baudrillard-entre-autres-se-laissent-publier-par-alain-de-benoist.
Dommage, Baudrillard n'est plus là pour répondre aux uns et aux autres.
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Écrit par : Frédéric Ripoll / | 10/07/2010
RECTIFICATION
> ... autant pour moi. La polémique autour de La Commedia dell'arte, de Jean Baudrillard date de 1997, mais le débat a bien commencé dans la série des "Artpress 10 ans après" parus en 82.
cordialement,
FR
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Écrit par : Frédéric Ripoll / | 10/07/2010
INSURRECTION
> Sur cette question, notez le remarquable article de Jean François Kahn sur son blog :
"Ils vous ont traité de fascistes : journalistes libres qu’attendez-vous pour vous insurger ?"
http://www.jeanfrancoiskahn.com/
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Écrit par : Frédéric Ripoll / | 10/07/2010
LE FASCISME DANS L'HISTOIRE
> Le fascisme repose sur la conception d'un Etat "totalitaire" (l'adjectif a été utilisé pour la première fois par ses opposants), n'acceptant aucun contre-pouvoir dans la société (« tout dans l'État, rien hors de l'État et rien contre l'État »), sur fond du refus du libéralisme. Y compris le libéralisme économique : « Le fascisme est absolument opposé aux doctrines du libéralisme, à la fois dans la sphère politique et dans la sphère économique.… L'État fasciste veut gouverner dans le domaine économique pas moins que dans les autres; cela fait que son action, ressentie à travers le pays de long en large par le moyen de ses institutions corporatives, sociales et éducatives, et de toutes les forces de la nation, politiques, économiques et spirituelles, organisées dans leurs associations respectives, circule au sein de l'État » (La Doctrine du fascisme, 1935)
Il est donc difficile de qualifier la presse de "fasciste".
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Écrit par : Blaise / | 10/07/2010
ANTILIBERAL ANTIFASCISTE
> Mais toute critique du libéralisme n'est pas fasciste. Libéralisme et fascisme sont les deux faces de la même erreur : tout réduire à un seul aspect de la vie en société. Pour les libéraux, c'est l'activité marchande. Pour les fascistes, c'était le mythe de l'Etat. Raison pour laquelle fascistes et libéraux se retrouvaient dans un même rejet de la pensée sociale chrétienne, qui, elle, tient compte de tous les aspects de la vie sociale. Un catholique conséquent est antilibéral... et il était antifasciste quand le fascisme avait une existence réelle. (Aujourd'hui c'est juste un fantasme).
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Écrit par : servus / | 10/07/2010
DUCE
> Un mot de Mussolini : "Je prends l'individu au berceau et je le garde jusqu'à son lit de mort, où je le rends au pape."
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Écrit par : manganello / | 10/07/2010
LIBERALISME ET FASCISME
> Le libéralisme, à la racine, c'est la primauté absolue de la liberté individuelle sur toute forme d'ordre transcendant (et notamment l'ordre naturel). Le système marchand est la forme économique du libéralisme et non son fondement. Le fascisme est la primauté absolue de l'ordre sur la liberté. La doctrine chrétienne reconnaît à la fois la dignité de la liberté humaine et la nécessité d'un ordre politique et social cohérent. La liberté personnelle est subordonnée à la responsabilité, l'ordre est perçu comme le cadre d'expression du bien commun dans le respect la dignité de l'homme (c'est-à-dire à la fois de sa nature et de sa destinée). Le catholique peut être séduit par le libéralisme parce qu'il pense qu'il permet la parfaite expression de la liberté personnelle et donne ainsi l'opportunité à l'homme d'exercer toute sa responsabilité, mais il est un peu naïf et oublie en quelque sorte la marque du péché originel. Le catholique peut aussi être séduit par le fascisme parce qu'il y voit le cadre d'une société d'ordre, mais il oublie que l'homme a été créé libre et que cela est constitutif de sa dignité.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 10/07/2010
EN PLEIN DEDANS
> Le libéralisme n'est pas qu'économique, et un Etat libéral réglant la vie des citoyens jusque dans les plus petits détails, est tout-à-fait possible, et d'ailleurs nous sommes en plein dedans. Libéralisme juridique et libéralisme économique sont les deux faces complémentaires d'une même pièce. Aussi est-il faux de prétendre que l'Etat aurait capitulé devant le marché : il a seulement changé de nature.
A part cela, évidemment, libéralisme et fascisme sont également à rejeter, et sont profondément incompatibles l'un et l'autre avec la doctrine sociale de l'Eglise.
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Écrit par : Blaise / | 10/07/2010
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