Contre Martel, libéral de gauche : Fumaroli, libéral de droite. L'académicien déplore les effets d'un système économique qu'il défend depuis toujours...

Objet de l'indignation de Fumaroli, le livre de Martel 'Mainstream' :

 

Dans Le Figaro du 17 mai, l'académicien Marc Fumaroli tempête contre Frédéric Martel, auteur, chez Flammarion, d'un essai intitulé Mainstream – Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde. Pur bobo atlantique, Martel déplaît à Fumaroli, quintessence de civilisation latine. Celui-ci se déchaîne contre le livre. Extraits de son réquisitoire :

<<  Français type de la Nouvelle gauche, Frédéric Martel est obsédé par l'Amérique. C'est sa Révolution permanente... >>

Mais ce culte français des USA n'est pas réservé à la gauche ! Il est massivement pratiqué à droite [1]. (Fumaroli devrait inviter Copé ou Lefebvre à prendre le thé).

<< [Martel] intitule son rapport Mainstream, le torrent qui emporte tout le monde. A ce mot bouée, il se raccroche plusieurs fois par page d'un livre qui en comporte 460, tantôt substantif seul, tantôt adjectif, dans l'expression « culture mainstream ». […] Nouveau latin, le globish prête aussi son autorité à une érudition googlienne capable de nommer les dix mille génies qui illustrent les mille genres cloisonnés du mainstream […] Avec délectation, il observe qu'il n'est pas un recoin plus ou moins marginal ou opprimé de la multiple Amérique dont l'expression de révolte n'ait été adoptée, remaniée et adaptée à la grande consommation par l'industrie américaine du divertissement...>>

Fumaroli est écoeuré (fi donc !) par tout ces américanismes de muzik et de people, imposés au monde par l'industrie US. Mais ce recyclage de masse, c'est le ressort de la machine consumériste. Et celle-ci est l'ultima ratio du capitalisme libéral depuis plus de soixante ans ! Apparemment personne ne l'a dit à Fumaroli : il semble croire que la vraie culture cousine avec un « libéralisme » mythique, version 1984, dans une noble résistance à des barbaries forcément de gauche, etc. Regrettable anachronisme.

<< A des yeux français de gauche, l'Europe culturelle est condamnée, juste châtiment d'un crime beaucoup plus grave que le capitalisme de Wall Street ou du FMI : celui d'avoir nourri pendant deux millénaires et demi une tradition qui entend « culture » selon un critère de qualité à long terme, et non, selon celui de la quantité et du succès immédiat. >>

Fumaroli aurait raison s'il remplaçait un mot impropre (« de gauche ») par le mot exact : «libéral ». L'américanisation, c'est-à-dire la submersion des cultures par le divertissement global, n'est pas particulièrement « de gauche » : c'est l'effet d'un système économique planétaire qui phagocyte gauche et droite. Quant à la « quantité » et à « l'immédiat » substitués à la « qualité » et au « long terme », c'est l'esprit même du matérialisme mercantile (cf encycliques sociales de Jean-Paul II et Benoît XVI) : et ce dernier est le stade suprême du capitalisme. Fumaroli ne paraît pas savoir cela, qui pourtant saute aux yeux. Encore récemment, il assurait que le marché et la culture font bon ménage...

On est perplexe devant son erreur de perspective. Elle peut se comparer à celle des derniers catholiques libéraux. Eux et lui ne voient pas (ou ne veulent pas voir) que la dissolution de toute culture et l'éradication du catholicisme sont deux effets du consumérisme de masse, qui doit exalter tout et n'importe quoi [2] pour pouvoir le commercialiser. Ce système est consubstantiel au libéralisme... Refuser de comprendre cela, c'est refuser de comprendre l'époque.

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[1]  Sous toutes les formes : de « Sarkozy l'Américain » à l'ultra-droite postbushienne, via l'UMP obamaphile.

[2]  Sauf évidemment le catholicisme, non compatible avec le matérialisme mercantile, parce que la foi chrétienne fonde une vision de l'homme qui résiste aux Prométhée d'hypermarché.

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