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17/03/2010

"Le jeu de la mort", ce soir sur France 2 : autocritique de la télévision, ou comble de l'impérialisme du showbiz ?

3[1].jpgLe vrai problème
n'est pas là où l'on croit :


 

 


Toute la presse parle de l'émission :

 << Créer l'électrochoc à coups d'électrochocs. Ce soir, sur France 2, c'est la mission de Jusqu'où va la télé ? Le jeu de la mort. Une transposition de l'expérience scientifique de l'américain Stanley Milgram en 1963. Objectif : «Démontrer le pouvoir de la télé, dont celui d'organiser un jeu fondé sur la mort», explique son auteur, Christophe Nick. Il a recruté 80 volontaires, persuadés de venir participer au pilote d'un jeu. Il leur fallait infliger des secousses électriques de 20 à 460 volts à leur partenaire (un acteur, qui n'a jamais été soumis à ces décharges) à chaque fois que celui-ci donnait une mauvaise réponse. Malgré ses cris, ses supplications, puis son absence totale de réaction, 81% d'entre eux ont continué jusqu'à la dernière manette, encouragés par le public et l'animatrice. «Ce programme, c'est un terrible pavé dans la mare, lance Patricia Boutinard Rouelle, directrice de l'unité documentaires : nous voulons provoquer un débat sur la télévision». L'ensemble du dispositif a été filmé, accompagné des explications des scientifiques qui ont encadré l'expérience, et des réactions des candidats, une fois la supercherie dévoilée. «Seuls trois d'entre eux ont refusé qu'on diffuse leur image, précise Nick. Les autres ont compris avoir participé à une remise en question salutaire de l'emprise de la télé». Certains ont témoigné, dans L'Expérience extrême (éd. Don Quichotte), livre tiré de l'expérience. «De toute façon, moi, j'ai l'habitude d'obéir, j'ai toujours obéi», lance ainsi Philippe, conducteur de métro qui est allé jusqu'à la décharge maximale. Pas de volonté ici pourtant de stigmatiser les participants : «après avoir vu le programme, le public doit se dire qu'il aurait pu aussi envoyer ces décharges », note Nick. Jean-Louis Missika, sociologue des médias, fait néanmoins remarquer « que les images diffusées à la télévision sont loin d'être les plus violentes. Sur Internet, cela va beaucoup plus loin. Et c'est ce média-là qui va compter dans les années à venir, pas la télévision.» >>

 

Considérée ainsi, l'émission semble bénéfique. Cependant lisez (Libération de ce matin) cette « chose vue » – et vécue – par Alexandre Lacroix, rédacteur en chef de Philosophie Magazine, qui participa à l'enregistrement du débat suivant l'émission :

<< Lors de l'enregistrement de ce débat […] s'est produit un incident violent, démontrant combien il est diffficile de critiquer la télé à la télé. […] Animé par Christophe Hondelatte, le débat débute par l'interview d'un candidat « obéissant », étant allé jusqu'à 460 volts. « Que pouvez-vous nous dire sur vous ? » Et le candidat de répondre qu'il travaille dans le social. Ouf, nous voilà soulagés : ce n'est donc pas un méchant dans la vraie vie. Hondelatte : « Il faut quand même dire une chose importante vous concernant... » - « En fait, là, je préférerais ne pas en parler. Il s'agit de ma vie privée. - Mais si, allez : dites-le nous ! - J'aimerais mieux pas. - C'est important : vous êtes homosexuel ! » Malaise. Quel est le but de la manoeuvre ? Suggérer que l'homosexualité prédispose à électrocuter son prochain ? […] Puis arrive mon tour. « Cette soirée est précieuse, dis-je. Nous avons l'occasion de nous interroger sur le pouvoir de la télévision. Mais la façon dont la discussion s'est engagée me rend pessimiste. Les mécanismes de soumission et de domination que révèle Le jeu de la mort peuvent s'instaurer même dans un débat d'idées. Pas besoin d'électricité. Nous venons d'assister à un interrogatoire. On demande à un participant « obéissant » de nous prouver qu'il n'est pas un sale type, alors que 80 % des gens ont fait comme lui. Et puis on étale sa vie privée. Cela démontre que le plateau de télévision est un dispositif coercitif où le présentateur a le pouvoir. »

A la fin de ma tirade, Christophe Hondelatte, contracté, tend le bras : « Bon, ben c'est très simple. Tu vois la porte, là ? Tu dégages ! Pas de ça dans mon émission ! » - « Quoi ? Je ne vous permets pas de me parler sur ce ton. » - « C'est moi qui commande ici. Je suis le capitaine. Compris ? Alors tu te lèves, là, et on va s'expliquer. Juste toi et moi, dans ma loge. Face à face ! » Debout devant moi, il hurle et gesticule. Je suis estomaqué. Effet de miroir : après Le jeu de la mort, voilà « le débat de la mort ». Le présentateur me donne un ordre tyrannique, et j'ai deux solutions : obtempérer, mais ma présence sera sucrée au montage... Ou désobéir, résister. […] Après vingt minutes de ce bras de fer, quand il a été clair que je ne décanillerai pas, Hondelatte a fait signe de relancer le tournage. Les échanges ont été confus, chaotiques, et le débat saboté. >>

 

En l'occurrence il s'agissait de la sexualité d'un individu : mais l'intrusion / manipulation du média peut s'appliquer à tout domaine de la vie privée. Leçon de l'incident, selon Alexandre Lacroix : n'accepter que les débats en direct (ou exiger un regard sur le montage). Résister à « l'arbitrage biaisé » des présentateurs. Et savoir que le téléspectateur assiste rarement à un vrai débat : « le dispositif est préalablement monté, par des conversations téléphoniques préparatoires avec les participants […] Il n'y a pas de place pour l'improvisation, pour la parole libre, débridée, trop risquée [*]... Oui, la télévision est capable de se remettre en cause. Mais c'est pour aussitôt redevenir elle-même : un outil de domination symbolique. »

Domination symbolique ? Cette idée reçoit la caution du Pr Jean-Léon Beauvois (psychosociologue) « qui a encadré l'expérience », et qui affirme : «la télévision est aujourd'hui un système à ce point puissant, que son emprise sur la plupart des individus dépasse celui d'autres systèmes comme la religion.»


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[*] Certaines chaînes font de véritables débats. Ainsi l'émission de Valérie Expert (On en parle) à LCI.  Sur d'autre chaînes, je témoigne avoir souvent refusé de participer à des débats dans lesquels les rôles étaient "pré-distribués". The show must go on...- 

 

11:27 Publié dans Médias | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : le jeu de la mort

Commentaires

De Jean-Léon Beauvois, lire notamment : "Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social - Petit traité des grandes illusions", Presses Universitaires de Grenoble, 2005.
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Écrit par : PP / | 17/03/2010

"Justification" de Hondelatte:

> "Je n'avais pas envie que ce débat soit un débat anti-télé pour dire les choses. Et je crois que France 2 ne le souhaitait pas non plus, je suis garant de ça aussi. On a les mains dans le cambouis, on fait des compromis tous les jours, mais je ne veux pas qu'on dise à la télé que la télé c'est de la merde du sol au plafond."
A écouter sur: http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=2837
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Écrit par : panfo / | 17/03/2010

MECHANT ET CUPIDE

> Plus que la bêtise, cette émission met en relief la méchanceté et la cupidité de l'être humain. Ce qui est regrettable c'est que les responsables d'une chaîne publique s'emparent de ces travers pour faire de l'audimat et donc du fric.Quel exemple pour une jeunesse dont on dit qu'elle est violente. Si demain un parti extrémiste s'empare du pouvoir, il aura de la matière pour former ses escadrons de la mort. Pauvre humanité qui ne sait pas faire la différence entre le mieux et le pire. Plus je connais les hommes et plus j'ai envie de les fuir.
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Écrit par : maquillage / | 17/03/2010

(Pas de rapport avec la note)

> M. de Plunkett, permettez-moi, en ce jour, de vous souhaiter une bonne fête ! Et encore merci pour ce blog, qui est devenu (le terme n'est pas trop fort) une véritable communauté.
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Écrit par : Feld / | 17/03/2010

LIBERALISME LIBERTARISME

> J’ai regardé un extrait de cette émission et c’était pire que ce que je m’imaginais : un plateau de pseudo-intellectuels complexifiant tout, embrouillant tout et évitant soigneusement d’aborder les points vraiment importants :
- le fait que les grands médias soient financés par la publicité et donc incapables de fournir une critique sérieuse du libéralisme-libertarisme ;
- le fait que ce libéralisme-libertarisme conduise à terme à la barbarie ;
- le fait que les seules institutions défendant des valeurs opposées soient religieuses.
Lorsque je suis revenu une seconde fois sur cette émission, le présentateur finissait par la promo des bouquins des invités, comme d’habitude. Le cirque médiatique ne s’est même pas interrompu le temps d’une émission…
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Écrit par : Stellae / | 18/03/2010

UN SHOW

> Je suis frappé par le talent d'acteur de tous les intervenants du plateau (sauf les deux ex-participants au jeu, qui eux étaient "nature"). En effet, si on relit le récit de Lacroix (violences verbales déchaînées, menaces etc), on ne retrouve pas trace de cette ambiance dans ce qui a finalement été diffusé. Parce qu'après l'affrontement, ils ont tous "remis le compteur à zéro" et recommencé l'enregistrement comme si de rien n'était ! bravo messieurs-dames, mais ça en dit long sur le show qu'est devenu la scène des soi disant "débats d'idées".
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Écrit par : Savonarole / | 18/03/2010

TRANSGRESSER ? MAIS QUOI ?

> Et cette enseignante nommée Muhlmann, pimpante et bien coiffée, prônant à la fois la vision libérale et une pédagogie de la "transgression délicieuse" ! Inepte ! Comment apprendre aux gamins à "transgresser" quoi que ce soit puisque le libéralisme a supprimé normes et repères ? En régime libéral marchand, on baptise "transgression" l'assouvissement des pulsions. Avec les achats qui vont avec. C'est du marketing. Pas de la psychologie.
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Écrit par : Ned / | 18/03/2010

PUJADAS

> Il y a quelque chose d'inadmissible dans le comportement de certains journalistes de France 2 : David Pujadas a annoncé ce jeu à 20h10 la veille dans son journal et en a parlé pendant 5 minutes; sous le prétexte qu'il y avait eu un jugement obligeant à masquer les visages des candidats. Si on le suit bien, France 2 crée un évènement et en fait une nouvelle digne d'être présentée à la France entière à 20h10 dans le sacro-saint "20 heures". En plus, on sait bien que cette expérience a été effectuée il y a plusieurs dizaine d'années déjà et on en connait le résultat: bonjour le scoop!
Pourtant pas mal de français vivent, je crois, une situation difficile dans le contexte de crise que nous connaissons et attendent donc d'autres nouvelles que cela. J'ai vraiment été choqué d'entendre ce commentaire de Pujadas. Cela m'a vraiment donné l'impression qu'il se moquait des gens. Tout ça dans un contexte électoral.
Donc comportement, à mes yeux, irresponsable de la rédaction du journal de 20 heures.
Et on apprendra peut-être que les candidats étaient eux-aussi des acteurs.
Il reste des marges de progression dans le service public...
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Écrit par : olivier le Pivain / | 18/03/2010

L'ARCHEVEQUE DE BUENOS AIRES

> "les seules institutions défendant des valeurs opposées soient religieuses", dit Stellae à bon droit. Je retrouve dans mes archives ce mandement de Mercredi des Cendres de l'archevêque de ma ville d'alors (Buenos Aires) en 1992, le cardinal Antonio Quarracino, qui... citait PP à propos de la destruction des valeurs par le monde occidental:

" En el mensaje para la Jomada Mundial de la Paz de este año, el Papa Juan Pablo II se expresó así: "En los países industrializados la gente está dominada hoy por el ansia frenética de poseer bienes materiales" (y en ciertas capas - añado yo - de la sociedad de países no desarrollados sucede lo mismo). "La sociedad de consumo pone todavía más de relieve la distancia que separa a ricos y pobres, y la afanosa búsqueda de bienestar impide ver las necesidades de los demás...La moderación y sencillez de vida deben llegar a ser los criterios de nuestra vida cristiana..." (NS).

10. Me permito agregar otra cita que viene a cuento; es de un ensayista francés - Patrice de Plunkett - quien acaba de escribir hace poco lo siguiente: "El materialismo marxista ha retrocedido fuera de nuestras miradas. Esta marea muy baja nos descubre una playa desierta... Librada a todos los vientos: es el materialismo occidental. Impulsados solamente por la obsesión del bienestar individual, su nada espiritual es una amenaza... No creemos más en nada, ni en nosotros, ni en nadie... El célebre 'modelo occidental' impone a los cinco continentes la más alta tecnologia y la ética más baja. De esta manera... las grandes tradiciones morales de la humanidad corren el riesgo de desaparecer asfixiadas por nuestra nada, nuestro vacio... una nación se suicida si se esconde de las grandes fuerzas éticas y religiosas de su historia". Hasta aqui las palabras de Plunkett.

11. Si el crudo liberalismo económico hace dos siglos pudo ser denominado la "revolución del egoismo", hoy parece evidente la necesidad de abandonar la idea de que el egoismo es el pilar básico del orden social. Esa revolución debe ser reemplazada por la "revolución del amor", la cual exige la enseñanza y difusión de una verdadera y válida escala de valores en la sociedad, la austeridad de vida, el espiritu de servicio y de solidaridad frente a toda carencia, sea ésta de naturaleza material, psicológica o espiritual, la reducción del consumo superfluo y frívolo, la idolatría del dinero y del placer, la educación en la cultura del trabajo...Menuda tarea ésta! pero, qué sociedad distinta a la de hoy configuaría una "revolución del amor"! "
Parana

[De PP à P. - Grand honneur pour ma personne. Je suis impressionné. D'autant que je connais bien Buenos Aires !]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Parana / | 18/03/2010

TOUS

> Rien à redire, sinon qu'une chose me frappe dans vos commentaires : apparemment, vous avez encore tous une télé...
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Écrit par : PMalo / | 18/03/2010

VALEURS ?

> Ah! Les valeurs... "la destruction des valeurs par le monde occidental"; Parana, écartons à l'avenir le terme de "valeurs" qui est entaché de subjectivisme et donc de relativisme. Sachons lui préférer celui de "bien".
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Écrit par : mauritanien / | 18/03/2010

COBAYES

> Soyez tous honnétes et responsables ,ne jouez pas les martyrs, les candidats ont été utilisés comme des cobayes et le CSA c'est rendu coupable de complicité, il faut pousser les candidats à porter plainte contre les producteurs...
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Écrit par : coriolis / | 18/03/2010

8 ANS

> Pour moi, télé y a plus depuis maintenant presque 8 ans. Et ce n'est pas ce que je lis là qui va me donner envie de racheter une "lucarne".
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Écrit par : Feld / | 18/03/2010

DANS 'LA DECROISSANCE' DE MARS

> "L'emprise des écrans" : une double page à lire dans "La Décroissance" du mois de mars (n°67). Quelques sous-titres ce cet encart peuvent être reliés à ce "Jeu de la mort" : "Une dangereuse transparence", "La spectacularisation du monde", "Une société de narcissiques" mais surtout..."Ils nous rendent crétins" !
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Écrit par : Thomas / | 18/03/2010

SANS TELE

> Perdu ! Pas de télé chez moi, mais en déplacement (avec donc une télé à l’hôtel). D’ailleurs, ça fait plaisir, j’ai l’impression, au fil des discussions, que le nombre de personnes n’ayant pas de téléviseur est plus élevé chez les chrétiens qu’ailleurs*

*Données très fiables obtenues à l’aide d’un pifomètre certifié.
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Écrit par : Stellae / | 19/03/2010

J'EN AI ENCORE UNE

> Et oui, cher Koz, j'ai encore une télé. J'ai songé à la jeter mais j'aime le cinéma. Alors je l'ai couplé à un lecteur dvd et je pille régulièrement la médiathèque voisine. Et j'ai découvert KTO. Je dois avouer que dans ma paroisse rurale moribonde, l'espérance en prend parfois un coup. Alors, suivre les témoignages et les documentaires de cette chaîne catholique nous fait un grand bien à la maison. La télé est comme le vin, il y en a d'excellent, d'autre de très mauvais mais de toute façon, il ne faut pas en abuser.
Je précise que nous n'avons qu'une télé et qu'elle est dans la salle à manger et bien sur, éteinte lors des repas.
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Écrit par : vf / | 19/03/2010

PMalo

> rectificatif: grosse erreur d'inattention de ma part, je répondais à Pmalo et pas a Koz.
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Écrit par : vf / | 19/03/2010

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