17/09/2009
Le capitalisme est une forme de spiritualité dangereuse, et le néolibéralisme a déstabilisé le monde
...C'est ce que la presse de référence commence à découvrir sous les coups du réel :
1. Extraits de l'article sur les livres des économistes Paul Krugman (Pourquoi les crises rviennent toujours, Seuil, 204 p., 17 €) et James K. Galbraith (L'Etat prédateur : comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Seuil, 314 p., 23 €) :
Les doctrines ''néolibérales'' ont déstabilisé l'équilibre mondial
<< […] De plus, ajoute Galbraith, les principes qui constituaient le credo des "néolibéraux" ont été contredits par les politiques qui s'en réclamaient. […] Les conservateurs américains ont eu beau baisser les impôts des plus aisés, en postulant que "trop d'impôt tue l'impôt" et que de nouvelles recettes budgétaires seraient ainsi créées, ils ne sont en fait jamais sortis des déficits - seul Bill Clinton a affiché trois ans d'excédent budgétaire... grâce au boom de la bulle Internet. De façon éclatante, sous la dernière présidence Bush, les notions de marché et de concurrence ont surtout servi d'alibi pour attribuer à des intérêts privés des rentes dans la protection sociale [1], la sécurité, l'école... Des réglementations légitimes ont été taillées en pièces pour permettre aux acteurs privés d'augmenter leurs profits...
[...] Pour Paul Krugman, il faut notamment réguler la totalité des activités financières ou repenser la circulation internationale des flux de capitaux. […] Galbraith veut aussi en finir avec la hausse des inégalités, la pression sur les bas salaires et la remise en cause de la protection sociale, présentées, ces dernières années, comme le prix à payer pour accroître la prospérité générale. [...] Afin d'en finir avec un "Etat prédateur" aux mains des intérêts privés, il plaide pour que les pouvoirs publics américains fixent des normes sociales - salaires minimaux et maximaux - et écologiques. Et va jusqu'à réclamer que l'Etat "planifie" l'avenir : qu'il s'attaque au problème du réchauffement climatique par des investissements dans des infrastructures de transport, de gestion de l'environnement et de l'eau...>>
2. Extraits de l'interview de Christian Arnsperger, économiste, chercheur au Fonds national belge de la recherche scientifique et professeur à l'Université catholique de Louvain, auteur de : Ethique de l'existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel (Cerf, 316 p., 23 €) :
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"Le capitalisme est une forme de spiritualité dangereuse"
<< Le capitalisme fonctionne selon une règle simple : tout capital investi doit être rendu aussi rentable que possible. On en voit quotidiennement les conséquences sur nos manières de vivre ensemble et de nous définir comme humains. Ce système a sécrété un Homo capitalisticus dont le niveau de conscience et même le fonctionnement psychique et corporel sont marqués par la logique de rentabilité - qu'on pense aux effets de la mentalité concurrentielle ou aux dégâts causés par l'alimentation agro-industrielle. Ce que nous devons d'abord laisser derrière nous, c'est un certain type d'humanité. Il y a donc bien un enjeu anthropologique. Le capitalisme s'enracine dans nos angoisses existentielles les plus profondes, mais offre à nos inquiétudes des réponses perverses. A nous de comprendre ce mécanisme et d'en tirer les implications si nous voulons être plus pleinement humains.
[...] En réalité, le capitalisme est déjà une forme de spiritualité, mais tronquée, tordue, et même dangereuse. Il faut en combattre les mensonges, notamment dans la sphère du "développement personnel", qu'il a si bien confisquée. Les militants existentiels sont ceux qui, ayant vu que le capitalisme ne fait qu'attiser nos angoisses alors qu'il promet de les alléger, cherchent à se soutenir mutuellement pour promouvoir une triple éthique : la simplicité volontaire, un revenu de base égal pour tous, et une démocratie radicale étendue à l'économique. Ces militants oeuvrent à une refondation profonde de nos existences personnelles et collectives [2]. Il s'agit de modifier toute notre façon de penser l'économie, donc de concevoir nos institutions éducatives et les idéaux qu'elles transmettent aux jeunes générations. Nous en sommes loin ces temps-ci... >>
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[1] Fiefs que ces intérêts privés refusent aujourd'hui de céder : par exemple les sociétés privées d'assurances aux tarifs prohibitifs (et discriminatoires au détriment des grands malades). Leur refus est l'un des moteurs du mouvement d'agitation orchestré aux USA contre le ''plan santé'' ces jours-ci. (Plan socialement pusillanime et éthiquement critiquable par ailleurs ; mais là n'est pas le ressort matériel de la convulsion de haine attisée par les Tea Party Patriots et les milices conspirationnistes).
[2] C'est aussi à quoi tendent les chrétiens. D'où l'absolue ineptie de se dire "conservateur" aujourd'hui.
22:52 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : la crise
Commentaires
LE SENS DES MOTS
> Mais à la fin de son interview, Arnsperger appelle "libéralisme" la vision harmonieuse et idéale qu'il se fait de la société souhaitable ?
Turbule
[ De PP à T. - Changer le sens des mots n'aide pas à la clarté du débat, le professeur Arnsperger devrait savoir cela ! Reste que son analyse du capitalisme comme "spiritualité" est intéressante. Marx avait dit quelque chose d'assez proche dans le Manifeste et en plusieurs autres textes. ]
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Écrit par : Turbule | 17/09/2009
CAPITALISME ET SPIRITUEL
> Il n'en reste pas moins que l'emploi du terme "spiritualité" est ici abusif, si l'on comprend celle-ci comme démarche visant à l'empire de l'esprit, ce qui est le vrai sens, je crois. Or le néolibéralisme travaille à soumettre l'homme aux émotions, sans exclure les passions les plus basses.
Farupex
[ De PP à F. - Vous avez raison, mais l'interviewé le dit clairement : toute spiritualité n'est pas religieuse, et il y a des spiritualités toxiques. ]
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Écrit par : Farupex | 18/09/2009
"INQUIETANTE IMPRESSION "
> Bonjour,
Ceci n'est pas tout à fait en rapport avec le sujet mais je suis arrivée par hasard chez vous après avoir "erré" chez des énergumènes américains qui se prétendent catholiques.
Que pensez vous des interventions de Monsignor Barreiro-Carambula sur le débat de la réforme de la santé aux Etats-Unis, sur la messe d'enterrement de Ted Kennedy, sur la récompense qu'il a remise à l'évêque de Recife pour sa réaction au sujet de l'avortement de la petite-fille en contradiction, si je comprends bien, avec la position de Mgr Fisichella ?
Que se passe-t-il donc dans l'Eglise à Rome, aux Etats-Unis voire en France car nous avons aussi nos extrémistes ? Quelle est leur importance et leur pouvoir ?
J'ai été proprement choquée des positions extrêmement psycho-rigides, intolérantes, moralisantes, méprisantes voire haineuses de ces "bons catholiques" qui entendent exclure de l'Eglise tous ceux, y compris dans la hiérarchie qui ne s'alignent pas totalement et aveuglément sur leur interprétation des choses (ne concernant pas seulement le spitituel mais aussi et surtout le temporel, vision économique et sociale, politique, médicale, ... J'ai "découvert" qu'on ne pouvait être un vrai catho si l'on ne se situait pas dans la droite extrême et que voter démocrate (socialiste) impliquait quasiment une excommunication automatique !
J'avais l'inquiétante impression de me retrouver au milieu de "psychopathes" évangélistes. L'un a déploré la mort d'un militant anti-avortement mais pas celle, bien au contraire, d'un médecin assassiné.
C'est très inquiétant. Qu'en pensez vous ? Où nous situons nous en France par rapport à nos intégristes ?
Merci et que Dieu ait tous les hommes et femmes de bonne volonté en sa sainte garde.
Eygh
[ De PP à E. :
- Il y a une façon chrétienne, efficace et discrète, d'aider les femmes en difficulté. Il y a aussi, hélas, une façon beaucoup moins chrétienne de clamer et de parader. Cette posture choque les gens et les repousse loin de la foi. (Le but des intégristes n'est d'ailleurs pas d'évangéliser, mais de mettre en vedette les groupes politiques d'extrême droite "seuls-à-condamner-l'avortement"). A ce sujet, voir dans notre blog, par exemple, les notes sur Recife et la campagne montée par les extrémistes contre Mgr Fisichella.
- Par "psychopathes évangélistes", qui désignez-vous ? Si vous voulez parler des protestants évangéliques, ils ne comptent pas plus de psychopathes que n'importe quel groupe humain !
Et les interrogations dont vous faites part existent aussi parmi eux. Allez voir par exemple le site des "Sojourners" de Jim Wallis. ]
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Écrit par : eygh | 18/09/2009
LE REVENU DE BASE
> Attention cher Patrice, vous reparlez de Marx et vous citez les utopistes qui réclament un revenu de base égal pour tous. Cela va hurler au bolchevisme dans la réacosphère comme ils s'appellent (mdr). Réactionnaire contre quoi, d'ailleurs, ils sont dans le droit fil du système.
A propos du revenu de base pour tous, il me semble que l'on en avait parlé il y a quelques années dans le monde politique, mais sans suite bien sur. C'est une idée intéressante je trouve. Mais c'est intéressant uniquement dans un système qui n'est ni communiste (car il faut une certaine liberté pour pouvoir entreprendre quelque chose si l'on souhaite augmenter ou améliorer ce revenu), ni libéral car cela nécessite un certain système de répartition des richesses et un contrôle des revenus ainsi que de la masse monétaire.
Écrit par : vf | 18/09/2009
QUIS VT DEVS
> Vous avez bien raison de citer Marx qui avait bien raison dans son analyse du capitalisme. Seulement, l'esprit humain contemporain qui sévit dans sa splendeur binaire semble incapable de comprendre qu'on peut être d'accord avec la dissection au scalpel marxiste du capitalisme sans adhérer à ses solutions - matérialistes historiques.
De la même manière, dire que Mahomet ou Bouddha ont raison de condamner le mal qui est dans l'homme, rejoignant le plus souvent le Décalogue, n'implique absolument pas d'adhérer à leur foi positive.
Les benêts libéraux cathos ne s'interrogent jamais sur l'usurpation de la toute-puissance divine que constitue leur idéologie : on va faire du bien à partir du mal, c'est l'axiome fondamental du libéralisme. Or, quis ut deus ?
Écrit par : JG | 18/09/2009
Merci PP pour votre réponse.
> Je parle d' évangélistes "psychopathes" par rapport à ces groupes/sectes extrémistes affiliés aux églises protestantes dont les pasteurs, tout en invoquant le nom de Jésus et de Dieu à tout bout de champs, ne semblent capables de proférer que paroles hystériques de menaces, de violence, de haine, incitant à l'agression verbale et physique voire à l'assassinat de leurs "opposants" c'est à dire de tous ceux qui ne pensent pas comme eux en allant jusqu'à menacer l'actuel président des Etats-Unis.
J'ai conscience qu'ils ne sont pas les plus nombreux mais je suis quand même inquiète d'autant plus que je viens de découvrir que certains catholiques (sur ces fameux blogs que j'ai visités) s'adonnent au même genre de réthorique. Et cela pour moi c'est une très désagréable surprise.
J'ai par ailleurs fait une confusion au sujet de l'archevêque Ignacio Barreiro-Carambula dont les interventions étaient abondamment citées et commentées sur ces sites catho fréquentés par des laïcs mais aussi des prêtres, séminaristes et religieux. J'ai cru qu'il avait un poste de responsabilité au Vatican aussi avais-je trouvé particulièrement choquant qu'il fasse de telles interventions et qu'il se permette de désavouer ouvertement l'envoyé du Pape Mgr Fisichella. C'est un soulagement tout relatif d'apprendre qu'il n'est en fait que Head of Human Life International based in Rome. Quand je pense que cette organisation a été approuvée par Jean-Paul II ... Sa Sainteté doit s'en retourner dans sa tombe de voir à quels excès ses membres se livrent et l'influence qu'ils peuvent avoir sur d'autres chrétiens.
Écrit par : eygh | 18/09/2009
LA PREDESTINATION
> Le libéralisme a effectivement des origines spirituelles. On trouve un bel exemple de cette spiritualité toxique lorsqu'on lit « la dérive totalitaire du libéralisme » de Mgr Michel Schooyans (Mame/Editions de l'Emmanuel, 1995) On trouve y ce qui suit à la page 212: « Le déterminisime manichéen. Les présupposés de l'idéologie socialiste d'Etat et ceux de l'idéologie libérale du marché sont finalement les mêmes dans le sens suivant: 1 / l'homme n'est pas libre vis-à-vis de son instinct de possession: l'avoir est synonyme de bonheur; 2/ Mais en même temps, l'accaparement des biens est vécu comme entaché de culpabilité et s'accompagne de mauvaise conscience, d'autant que les pauvres et les exclus sont là, reproches vivants.
L'idéologie libéraliste opère la conjonction de ces deux présupposés inconciliables, en niant le caractère pécheur de l'accaparement : « C'est Dieu (ou la nature) qui donne plus de biens aux uns qu'aux autres » D'où, en corollaire, la négation de l'égalité des hommes. Le péché originel apparaît comme un point de départ radical qui détermine toutes les conditions de l'existence actuelle, mais qui tombe radicalement hors de nos prises et donc finit par être oublié. La doctrine protestante de la prédestination, qui s'appuie sur celle du péché originel ( et d'un péché originel ayant radicalement corrompu la nature humaine), est étendue à la vie terrestre. La prospérité matérielle, la propriété devient le signe de l'élection. Toute entrave à la liberté de concurrence fait échec à la prédestination ou enraye le processus naturel de sélection. Une telle entrave apparaît comme le péché actuel par excellence. Le même schéma est conservé lorsque, dans une perspective de sécularisation , « Dieu » est remplacé par la « nature », et l'idée de « prédestination » par celle de « sélection ». »
On peut signaler que Mgr Schooyans est membre de l'Académie pontificale des sciences sociales (http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_academies/acdscien/own/documents/rc_pa_acdscien_doc_09111999_academicians_social_en.html) et que l'ouvrage porte en entête une lettre de Jean-Paul II signée le 9 décembre 1991 remerciant l'auteur pour ses « pertinentes analyses, appuyées par des personnalités compétentes » et souhaite que l'auteur puisse inciter ses lecteurs « à instaurer partout dans le monde une justice sociale digne de ce nom. »
Nicolas Dangoisse
[ De PP à ND - Préciser tout de même que la doctrine calvinienne de la prédestination a été controversée dès le début de la Réforme, puis rejetée par le courant que l'on a appelé "arminien". On ne peut pas aujourd'hui affirmer que le protestant en général croit en la prédestination. ]
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Écrit par : Nicolas Dangoisse | 18/09/2009
DIEU OU L'ARGENT
> Jésus-Christ, que l'on ne peut accuser d'être un mauvais chrétien, a ceci de particulier qu'il est un homme simple. Lorsqu'il ouvre la bouche ce n'est pas pour faire du bruit avec. Il précise lui-même, avec son humilité coutumière, ce que valent ses paroles : "Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point." Cela veut dire que le ciel et la terre ne sont rien. Comme l'affirme l'Apôtre : "Elle passe la Figure de ce monde". Seul EST ce qui demeure. Jésus-Christ dit ceci :"Nul ne peut servir deux maîtres ; car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre; ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent".
L'amour de l'argent n'est que haine et mépris de Dieu. Et l'amour de Dieu n'est que mépris et détachement de l'argent.
Écrit par : Arold | 19/09/2009
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