22/04/2008
Procès Fourniret : plus fort que la télé-réalité
Pourquoi cette vidéotransmission sous un chapiteau, et pourquoi les foules s’y pressent (des parents amenant là leurs enfants de dix ans) :
L’interminable show du procès Fourniret continue. Pourquoi pas de huis-clos ? Pourquoi cette abjecte vidéotransmission des audiences sous un chapiteau, pour une foule qui vient là comme la foule romaine venait au Colisée ? « Chaque audience plonge le public et les jurés un peu plus dans l'horreur. Certains parents y emmènent leurs enfants le mercredi », s’indigne Europe 1. Cette présence de bambins amenés par leurs parents choque même les vigiles et les CRS… Le président de la Cour, Gilles Latapie, se scandalise : « Ce n'est pas un spectacle pour tous publics !» (Alors pourquoi ce chapiteau ?). La foule est de plus en plus nombreuse, haletante. Et hypocrite quand on l’interviewe sur ses raisons d’être là. Dans un reportage de la presse régionale, on voit, en direct, vibrer le voyeurisme sous le masque consumériste de « l’émotion » :
<< Isabelle, Emilie et Mireille sont arrivées à midi. […] L'audience ne reprendra pas avant 14 heures mais si nos trois dames et demoiselle veulent avoir une chance d'entrer dans la salle principale, c'est le moment ou jamais. Elles entament le siège devant le portique de sécurité.
« Ça fait trois jours que je me présente et que je n'arrive pas à rentrer ! », s'indigne Isabelle, 58 ans. « Il n'y a pas moyen de savoir à l'avance le nombre de places précises qu'il reste pour le public dans la salle principale. Or, c'est la seule où l'on sent vraiment la tension du procès. C'est mal fichu ». […] « L'émotion m'a prise à la gorge », confie Mireille qui suit le procès pour des amis belges. « Tout le monde pleurait. C'était trop pour moi. Je vais essayer d'avoir une place, mais sous le chapiteau cette fois ». […] Ils sont plus de deux cents chaque matin et après-midi à se présenter au tribunal de grande instance pour assister au procès de Michel Fourniret et de Monique Olivier. Les places étant limitées (une vingtaine dans la salle principale avec une priorité donnée aux étudiants en droit, deux rangs dans la salle annexe quand la presse se fait moins nombreuse et deux cents places sous le chapiteau), le public vient de plus en plus tôt, tout en sachant qu'il risque d'être refoulé, même après deux heures de file d'attente.
Objectif : la salle principale - « C'est le premier qui se présente qui a la place, il n'y a pas de réservation alors on s'arme de patience », indique Emilie, 18 ans, qui vient pour la seconde fois, accompagnée de sa maman* Françoise, 42 ans. Lundi, pour le cas d'Elizabeth Brichet, enlevée en Belgique et tuée dans les Ardennes à l'âge de 12 ans, l'affluence était encore plus impressionnante que les jours précédents. Malgré la pluie, la queue allait jusqu'à la route. La salle affichait déjà complet qu'il restait encore plus d'une centaine de personnes devant le portillon.
« On attend une éventuelle suspension », indique Jacques Leman, 62 ans. « Il y a des places qui se libèrent dans ces moments-là. On arrivera peut-être à rentrer ».
Ce jour-là, le malaise d'un assesseur a fait bien des déçus. « Débats ajournés, on n'a plus qu'à repartir ! » Mais dès le lendemain matin, la plupart d'entre eux étaient de nouveau là. Avec en ligne de mire, l'espoir d'entrer dans la salle principale avant la fin du procès. « C'est là qu'on peut réellement voir le couple diabolique et mesurer le courage des parents. C'est bien plus vivant. »
Le chapiteau où les débats sont retransmis en direct ne désemplit pas : sur les bancs, on trouve des personnes de tout âge, des mères de famille […] Par moment, les faits évoqués sont atroces, on a l'estomac au bord des lèvres, le public n'en peut plus, mais il reste. Parmi tout ce public, ce qui frappe le plus lorsqu'on balaie la salle du regard, c'est la présence massive des jeunes, des lycéens […] mais aussi de très jeunes enfants, âgés d'une dizaine d'années tout au plus. « On est surpris de voir des parents venir assister au procès avec leurs enfants », constatent les vigiles et les CRS qui surveillent les accès. « Les faits sont de nature à choquer mais en même temps on n'a aucune consigne pour limiter l'accès à partir d'un certain âge ». Ici, pas question de logo « Interdit aux moins de 12 ans». Aux parents de prendre leurs responsabilités. >>
mLeurs responsabilités, en effet, ces parents les prennent. Ils amènent leur progéniture entendre des choses effroyables et voir des scènes traumatisantes, qu'ils trouvent plus chaudes (« authentiques ») que la télé-réalité. Sans doute leurs enfants ont-ils des télés dans leur chambre**, et savent-ils, grâce à cela, que le monde adulte est obscène et atroce. Dans ces conditions, on peut comprendre que les enseignants - qui ont affaire à ces enfants - fassent des réserves sur l'éducation familiale...***
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(*) Le langage actuel substitue ce terme de « maman » au mot de « mère » dans tous les cas, y compris les situations odieuses comme celle-ci. Le mélange de mièvrerie et de férocité est l’une des caractéristiques de l’air du temps : la « culture de mort », disait Jean-Paul II.
(**) Il faut bien qu’ils soient informés, n’est-ce pas. Et équipés en matériel audiovisuel. C’est un droit. Et c’est citoyen, puisque ça fait marcher le commerce : sinon l’indice de la consommation baisserait et les médias nous parleraient de la chute du moral des ménages.
(***) Il ne s'agit évidemment pas de familles des milieux dits "préservés". Les membres de ces milieux doivent faire l'effort d'imaginer ce qui se passe hors de leur univers...
10:27 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : fourniret, télé-réalité
Commentaires
ABJECT,
> comme sont abjects les applaudissements que l'on entend trop souvent à l'énoncé d'un verdict : que ce soit de peine de mort (autrefois) pour un crime particulièrement odieux, ou de relaxe pour une euthanasie.
Écrit par : Michel de Guibert | 22/04/2008
CONTAGION
> Il y a une contagion de la télé-réalité : on ne fait plus la différence entre le spectacle et la réalité. La réalité devient spectacle. On savait tout ça depuis Debord : à quoi s'attendre, la "société du spectacle"... Mais là ca dépasse tout.
Écrit par : LaraM | 22/04/2008
AUTREFOIS
> Ca ne dépasse pas la foule d'autrefois venant assister aux guillotinades. Celles-ci étaient publiques soi disant pour l'édification des foules. En fait d'édification, le spectacle appelait tellement les bas instincts que la République a fini par le supprimer: les exécutions ont eu lieu en secret dans la cour des prisons, ensuite on a supprimé la peine de mort.
Écrit par : Danse-à-l'ombre | 22/04/2008
100 %
> Voici le résultat d'une enquête menée l'an dernier auprès de mes élèves de sixième de mon collège zep: 100% ont la télé dans leur chambre avec bouquet satellite bien sur; 90% ont un portable; 75% ont l'ordinateur dans leur chambre avec connexion internet. 50% ont un blog. sans commentaires.
Écrit par : vf | 22/04/2008
APPRENDRE LE SILENCE
> Tant qu'il n'y aura pas de prise de conscience massive que c'est là que se joue le non-avenir de notre société, rien n'y fera. Les foules adorent qu'on flatte leurs bas instincts. Et les personnes sont prisonnières de la foule si on ne leur apprend pas à se retirer dans la solitude. Ce pourrait être là un chantier de l'Eglise, qui accueille encore une bonne part des enfants pour le catéchisme : leur apprendre à faire silence, et dans les abîmes de profondeur de celui-ci, à y trouver la voix de Dieu qui les appelle à une plus grande liberté.
Écrit par : Pema S | 22/04/2008
LES MEDIAS
> Fascinant ! Et après on nous dit que le pouvoir d'achat est un problème. Le matérialisme marchand fait des dégâts incroyables dans les milieux populaires, ces milieux qui intéressent très peu les médias finalement. Les médias sont eux intéressés par les extrêmes: jet set ou délinquants.
Un drame se joue..
Écrit par : Ludovic | 22/04/2008
TERRIBLE
> Tout cela me donne la nausée pour parler gentiment. Nous sommes face à la foule, la même qui assistait à l'assassinat de Marie-Antoinette. Une foule c'est terrible, sans âme ni raison, c'est une résurgence du mal et des plus bas instincts de l'homme. Je souhaite que jamais nous ne soyons confronté à une guerre du type de celle des Balkans. Tout montre que nous ne sommes pas plus policés ou plus raisonnable que le pire des miliciens au fin fond de la région des grands lacs africains ou d'une région reculée de l'ex-yougoslavie.
Écrit par : naubourdin | 22/04/2008
@ VF,
> d'accord avec vous : avec tous ces gadgets, il n'est pas étonnant que nos têtes blondes n'aient plus d'intériorité et de capacité de projection intellectuelle. J'ai eu à donner des cours de philosophie à des groupes d'élèves de terminale et j'ai constaté qu'ils étaient loin de saisir des abstractions assez simples, des subtilités assez modestes... dans un devoir sur la maturité, trois lycéennes de 18 ans, qui s'étaient manifestement copiées, avaient rendu, chacune, une page racontant qu'on est mûr avant d'être majeur quand on décide, après 16 ans, de se lever le matin pour aller en cours !!!
Après cela, essayez de les intéresser réellement à la chose politique, à la réflexion éthique, etc., etc. Ils auront l'impression d'être citoyens , de participer à l'Histoire, en assistant en voyeurs à un procès de ce genre !
Écrit par : Jean | 22/04/2008
AU MENU
> - on passe quoi aujourd'hui ?
- le jeune fille belge qui a réussi à s'échapper des griffes du malfaiteur.
- quoi, il n'y a pas eu viol puis meurtre cette fois ?
- ben... non.
- pfff, pour une fois que j'avais une place... je comprends pourquoi y'a moins de monde... bon allez, je retente demain !
Écrit par : Pitch | 22/04/2008
"VOTRE PUBLIC"
> Ces personnes-là ne se précipiteraient pas à ce procès si des journaleux ne lui faisaient pas de publicité nuit et jour. Dans le but que l'on parle d'eux. Pour une fois que votre public vous suit, ne leur reprochez pas.
Écrit par : Cadichon | 23/04/2008
> Cadichon manque de mémoire(s). C'est la première fois à ma connaissance que ce blog parle de Fourniret.
Écrit par : Sophie | 23/04/2008
> Cadichon ne fréquente que les confiseries de Neuilly-Auteuil-Passy ?
Écrit par : Torpenn | 23/04/2008
> Avec un crochet par St-Nicolas-du-Chardonnet, là où personne oh non personne ne pèche, fi quelle horreur.
Écrit par : Maksoud | 23/04/2008
> Ni ne lit un journal de journaleux, seulement les feuilles de chou nazebroques.
Écrit par : Girolamo | 23/04/2008
> Que non que non mon bon ami, plus aucun journal depuis la disparition de 'La Veillée des Chaumières'.
Écrit par : vicomte de Puypeu | 23/04/2008
> Vous n'y êtes pas, mes chers. Cadichon n'est autre que mon vieil ami Prohey-Minans.
Écrit par : Mme de Grand-Air | 23/04/2008
> Saperlipopette, Hermine, vous m'avez démasqué.
Écrit par : Proey-Minans | 23/04/2008
L'ECOLE ET LES FAMILLES
> Voilà un article qui montre encore la nécessite pour le système scolaire "d'éduquer".
Pas question de laisser sans réagir les familles seules, et leurs enfants assister sans réagir et sans leur proposer des dicours militants sur par rapport aux dérives d'une justice ( hélas républicaine) médiatisée. Je n'envisage pas encore que cette république s'écroule, je n'ose imaginer ce que seraient des crises post républicaines.
Pas question de se contenter des quelques familles religieusement investies qui structurent leurs enfants pour échapper aux désastres de ce qui devient indifférenciation.
Mais c'est un affaire de système scolaire, pas d'école primaire seulement.
Une parole intra-péri-scolaire (?) doit dire aux collégiens que leur mode de vie "occupationnel" est stérile, qu'il est pernicieux, non par ce qu'il apporte en "individualisme" mais que, par une opération de choix de l'utilisation du temps passé, il les prive d'autres emprises sur le monde. Il faut leur expliquer quelles sont ces autres emprises et quels bienfaits ils pourraient en retirer ?
Et pour finir, cette citation du pape, parce que je me sens éducateur : "Réellement, la dignité de l’éducation réside dans un parrainage des éduqués vers la perfection et le bonheur véritables."
Écrit par : sombre héros | 24/04/2008
la source
> Pourriez-vous préciser votre source ? Je souhaiterai voir le reportage entièrement.
Merci d'avance, cordialement.
VG
[ De PP à VG - Sur le site de 'L'Union de Reims'. ]
Écrit par : V.G. | 24/04/2008
POURQUOI ?
> A Sombre Héros: il faut ré-évangéliser nos contemporain afin de leur permettre de retrouver la dignité humaine et l'amour de Dieu et de leurs frères. c'est plus qu'éduquer. Cela relève de notre devoir à nous, simple baptisés et pas d'une institution républicaine (ou pas). Une des raisons, à mon humble avis, de cette situation est justement que nous avons abandonné à l'école le soin d'éduquer. D'une logique laïcarde républicaine nous sommes passés à une logique matérialiste-mercantile comme le reste de la société, l'école ayant suivi ou guidé, c'est selon, cette évolution. "Changer l'école pour changer la société", vieil adage maintenant, hérité de mai 68 et qui pour moi relève du plus pur totalitarisme. En vertu de quoi, nous , simples enseignants aurions la vérité? Pourquoi ce serait à une institution d'état d'éduquer? Par légitimité républicaine? A l'inverse, en tant que baptisés, nous proposons la foi et le mode de vie qui va avec. Libre à nos concitoyens de nous suivre ou pas ou plutôt de suivre le Christ. Tant que l'on ne mettra pas nos concitoyens face à leurs responsabilités morales et tant que l'état ou l'école se mêleront de tout, la situation s'aggravera. Le choix du bien ou du mal est individuel et personnel.
Écrit par : vf | 24/04/2008
MA POSITION
> Vous m'obligez à réfléchir intensément pour poser en peu de mots cette position qui fait discussion entre nous. J'enseigne à l'école primaire et j'ai face à moi, toute la journée, un élève que je ne vois pas autrement que "personne" et, par ce seul fait, quotidiennement ma dimension chrétienne est interpellée. Il y a continuité entre ma personne privée, en communion avec un Christ qui prône le baptême, le citoyen de la République chrétiennement formaté, qui tient sa place dans le jeu démocratique et l'enseignant chargé d'une mission, je le répète, d'éducation (nous sommes encore, que je sache, fonctionnaires de l'EDUCATION nationale). En aucune manière, je ne vois de ruptures, de cloisonnements, mais articulations entre ces trois personnes. Je n'en laisse pas une au vestiaire au moment où l'autre parle, mais je dois savoir exactement qui parle en moi dans le lieu social où je me trouve. Voilà pour apaiser vos craintes par rapport à un totalitarisme possible. J'aime l'éducation nationale, elle ne se réduit pas aux laïcards . N'oublions pas qu'il s'agit d'une jeune institution, une noble idée qui a guère plus d'un siècle, qui s'est trompée, qui se trompe et qui se trompera. Cependant, j'ai envie de la voir grandir et de participer à sa construction vers une (co-)éducation d'individus plus responsables en projetant cette idée de charité intellectuelle dont il est question dans ce blog.
Où est le problème ?
Encore une fois, la nature a horreur du vide. Vous avez des scrupules de peur de prendre une place qui ne vous reviendrait pas, d'autres n'ont pas vos scrupules. Nous devons faire contre-feu.
Nous aurons sans doute l'occasion d'échanger des idées au détour d'autres articles.
Cela dit, je fatigue parfois d'être guelfe aux gibelins et gibelins aux guelfes.
Écrit par : sombre héros | 25/04/2008
PAS PLUS
> Mon cher Sombre Héros, je suis entièrement d'accord pour considérer l'élève qui me fait face comme une personne et je n'est jamais penser autre chose. Par contre, je n'arrive pas à me penser,moi, sous différent aspects. Je suis chrétien et c'est tout. Le reste sont des rôles conjoncturels que je vis sous l'éclairage de ma foi et selon la nécessité du moment. Ceci dit, L'Education Nationale date de 1932, gouvernement de Pierre Laval inspiré par B. Mussolini qui est le premier à avoir créer un ministère de l'éducation nationale (si ma mémoire est bonne car je dis cela de tête, sans vérifier). Avant, c'était le ministère de l'instruction publique. Ceci dit, je ne remets pas en cause votre honnêteté intellectuelle et morale, loin de là. Mais je crois que vous faites fausse route. Nous sommes entrés dans l'ère du matérialisme-mercantile totalitaire et donc anti-démocratique. Je ne crois plus du tout aux systèmes, aux institutions qui sont tombés les uns après les autres dans les filets du matérialisme-mercantile (j'y ai cru jeune prof mais plus maintenant). Je crois dur comme fer que la seule institution (je n'aime pas le terme mais bon...) qui puisse résister à cela est la famille. Je suis d'accord avec vous sur le constat de vide éducatif mais je diffère sur la solution. Pour moi cela passe par un soutien (économique, social, amical, spirituel, etc.) que les chrétiens (les paroisses en premier) doivent proposer aux familles pour les rebâtir. Cela passe aussi par un modèle visible à proposer dans le domaine culturel. Il faut bâtir une contre-culture de qualité portant ces valeurs et ces modèles de vie. Cela ne passe pas par une institution dont nombre de ces membres n'ont pas la même honnêteté que vous et qui, surtout, est au service d'un Etat lui-même au service du matérialisme-mercantile. En tant que prof, on peux juste limiter la casse mais pas plus.
Écrit par : vf | 25/04/2008
> A Sombre Héros: pardonnez-moi, j'ai oublié de vous saluer amicalement à la fin de mon commentaire. VF
Écrit par : VF | 26/04/2008
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