07/01/2007
Epiphanie : justice et paix pour les pauvres
C’est l'un des messages de la fête d’aujourd’hui : « Qu’il gouverne ton peuple avec justice, qu’il fasse droit au malheureux ! »
Chez les catholiques, chaque jour est un jour de fête. Pourquoi ne pas étudier les textes ? Par exemple le psaume et l’évangile d’aujourd’hui :
LE PSAUME
La fête de l’Epiphanie nous offre le psaume 71 :
Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
A ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
Qu’il fasse droit au malheureux !
En ces jours-là fleurira la justice,
Grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
Et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !
Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents,
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
Tous les pays le serviront.
Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
Du pauvre dont il sauve la vie…
Dans la traduction d’André Chouraqui, les deux derniers versets sont encore plus expressifs :
Il abrite le chétif, le pauvre ;
il sauve l’être des pauvres…
Des générations ont scruté ce psaume depuis des siècles. Son sens spirituel est éclatant et multiple : sauver « l’être » des pauvres...
Il ne faut pas non plus priver ce sens de sa portée sociale, économique et politique. La Bible donne une importance considérable au pauvre (cf note ci-dessous). Le psaume rend synonymes « pouvoir » et « justice » : « C’est déjà tout un programme : en effet, qui pourrait citer un seul pouvoir humain qui ne soit que service de la justice ; bien plus souvent, malheureusement, pouvoir rime avec avantages de toutes sortes et autres passe-droits. Parce que nous ne sommes que des hommes. En Dieu seul, le pouvoir n’est qu’amour… », souligne Marie-Noëlle Thabut dans L’intelligence des Ecritures, t. 1. (Lire dans ce blog les textes du P. Gitton et du P. Bot, notes des 25 et 26 novembre, catégorie Nouvelle évangélisation). Le pauvre qu’il faut secourir aujourd’hui n’est pas seulement le chômeur mais le salarié pauvre, et même le salarié SDF : catégorie inédite fabriquée par le système actuel.
Mépriser le pauvre, c’est l’attitude condamnée dès l’origine par l’Ancien Testament :
« "Mépris au malheureux !", pensent les gens prospères : "bousculons celui dont le pied tremble !" » (Job 12,5),
« Perdant le sens, les impies disent entre eux : "brève et absurde est notre vie / maîtrisons le juste, qui est pauvre / que notre force soit la règle, car la faiblesse est un vice" » (Sagesse 2,1),
« Tu es le Dieu des humbles, tu es le secours des pauvres, le soutien des faibles, l’abri des délaissés : tu sauves les désespérés » (Judith 9,11)…
Le psaume de l’Epiphanie renvoie à une série de textes vétérotestamentaires :
- la Loi, qui protège les pauvres : Exode 22, 23-26 ; 24-26 – Deutéronome 10,18 ; 15,7-11 ; 24,12 ; 24,14 ; 23,20 – Lévitique 25,36
- Les Prophètes, qui prennent leur défense : Isaïe 3, 14 s. ; 10,2 ; 11,4 ; 61,1 : c’est aux pauvres que la Nouvelle sera annoncée…
Etc. Il s’agit de toutes les sortes de pauvres (physiques, économiques, moraux, spirituels), selon les nuances du vocabulaire hébreu : ras, l’indigent ; dal, le chétif ; ebyon, le mendiant ; anaw, l’homme abaissé, affligé, humble.
L’EVANGILE DE L'EPIPHANIE
Les évangiles dévalorisent les pouvoirs humains et leurs fausses grandeurs. Lc 1,52 : « Il dépose les puissants de leur trône, Il exalte les humbles ». Jésus s’adresse en priorité aux pauvres - et même aux « nouveaux pauvres » de l’époque, ceux qu’écrase la double pression fiscale hérodienne et romaine : Marc 12,41-44 / Luc 16,19-31 ; 18,22 ; 21,1-4 / Jean 13,29.
Alors que le psaume de l’Epiphanie parle de rois allégoriques (le monde entier) rendant hommage à Dieu, l’évangile de l’Epiphanie [Matthieu 2, 1-12] montre un roi de chair et de sang : un vrai roi historique, celui de l’époque et du lieu de naissance de Jésus. Or ce roi ment. Il prétend vouloir « lui aussi se prosterner » devant l’enfant ; en fait il veut le supprimer, parce qu’il le prend pour un rival virtuel.
Ce n’est pas seulement la méprise d’Hérode. C’est celle de tous les pouvoirs humains. Sauf exceptions rarissimes dans l’histoire, ils sont hostiles par réflexe à tout ce qui n’est pas eux. Et notamment au spirituel… Même les anciens Etats « chrétiens » mettaient entre parenthèses le spirituel quand il rappelait que Dieu est avec « le chétif, le pauvre ».
Hérode, c’est le massacre des Innocents : des villages en deuil, des mères désespérées. Hier, aujourd’hui, demain. « Je fais appel à vous, membres de la garde nationale, soldats, policiers, vous qui faites partie de notre peuple ! Ces paysans que vous tuez, ce sont vos propres frères ! Tout ordre injustifié d’un homme qui vous demande de tuer, tombe sous le coup de la loi de Dieu qui dit : ‘Tu ne tueras pas’. Aucun soldat n’est tenu d’obéir à un ordre immoral, contraire à la loi de Dieu. Il est temps d’obéir à votre conscience ! Au nom de Dieu, au nom du peuple qui souffre et qui crie vers le ciel, je vous implore, je vous supplie, je vous ordonne : cessez la répression. » Ainsi parla l’archevêque de San Salvador, le 23 mars 1980, alors que l’oligarchie locale tuait trois mille personnes par mois. Le 24 mars, Mgr Oscar Arnulfo Romero était abattu - à l’autel - par un homme des escadrons de la mort. « Une Eglise qui ne s’unirait pas aux pauvres et ne dénoncerait pas, à partir d’eux, les injustices commises contre eux, ne serait pas la véritable Eglise de Jésus-Christ », avait-il dit. Son procès en béatification est aujourd’hui ouvert à Rome. Le gouvernement salvadorien y est hostile.
P.P.
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Note : les pauvres dans l’Ancienne Alliance
<< Les pauvres, souvent oubliés dans nos littératures classiques, tiennent dans la Bible une place considérable… La pauvreté dont parle la Bible n’est pas seulement une condition économique et sociale, ce peut être aussi une disposition intérieure, une attitude d’âme ; l’AT nous révèle ainsi les richesses spirituelles de la pauvreté, et le NT reconnaît dans les vrais pauvres les héritiers privilégiés du Royaume de Dieu.
…Beaucoup de pauvres sont surtout les victimes du sort ou de la cupidité des hommes, tel ce prolétariat rural dont Job 24,2-12 a décrit l’affreuse détresse. Ces déshérités ont trouvé dans les prophètes leurs défenseurs attitrés. A la suite d’Amos qui « rugit » contre les crimes d’Israël (Amos 2,6 s. ; 4,1 ; 5,11 , les porte-parole de Yahweh dénoncent sans trêve « la violence et le brigandage » (Ezéchiel 22,29) dont le pays est souillé : fraudes éhontées dans le commerce (Amos 8,5 s. ; Osée 12,8), accaparement des terres (Michée 2,2 ; Isaïe 5,8), asservissement des petits (Jérémie 34,8-22)), abus de pouvoir et perversion de la justice elle-même (Amos 5,7, Isaïe 10,1 s. ; Jérémie 22, 13-17). Ce sera l’une des tâches du Messie que de défendre les miséreux et les pauvres (Isaïe 11,4 ; psaume 71)…
Les prophètes se rencontraient d’ailleurs avec la Loi : le Deutéronome en particulier prescrit tout un ensemble d’attitudes charitables et de mesures sociales pour atténuer la souffrance des indigents. Les sages non plus ne manquent pas de rappeler les droits sacrés du pauvre (Proverbes 14,21 ; 17,5 ; 19,17), dont le Seigneur est le défenseur puissant (Pr 22, 22 s. ; 23,10)… >>
Ladislas Szabo, art. Pauvres,
in : Vocabulaire de théologie biblique, Cerf.
08:55 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : religion, christianisme, catholicisme, Epiphanie, fêtes, pauvres, social
Commentaires
Sur les "travailleurs pauvres"
> je recommande le terrible livre de Jacques Cotta :
"7 millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes",
paru en septembre chez Fayard. C'est à donner des insomnies. Pour plus de détails, consulter :
http://blog.jeanlucraymond.net/post/2006/09/28/Jacques-Cotta-7-millions-de-travailleurs-pauvres-la-face-cachee-des-temps-modernes
Écrit par : Fulup | 07/01/2007
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