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27/08/2006

Günter Grass : ce qui choque aussi...

medium_grass1_1_.jpg...c'est ce qu'il a osé dire (ayant fait ce qu'il avait fait) :


 

 

Le scandale Günter Grass continue à secouer l'Europe.  Ami de Willy Brandt et héros littéraire du SPD, prix Nobel 1999, "bonne conscience d'une Allemagne réinventée" depuis les années 1960, l'écrivain de gauche (78 ans) avait caché son ancienne appartenance à la SS Panzerdivision Frundsberg  (1944-1945) ! Son très long silence choque les esprits, d'autant qu'il n'a été rompu par l'auteur qu'en 2006, pour lancer son autobiographie en librairie. Et que ladite autobiographie s'intitule En pelant les oignons : ce qui sous-entend qu'il n'y a pas vraiment de quoi pleurer...   L'attitude de Grass est d'autant plus choquante qu'elle semble s'accompagner de mensonges. Il affirme ainsi  n'avoir  eu "le temps de tuer personne" pendant qu'il était SS : ce qui heurte la vraisemblance, sachant qu'en 1944 les SS étaient constamment sur la brèche - et que les jeunes recrues étaient très vite envoyées à la tuerie.  L'affirmation de Günter Grass paraît cosmétique ; elle ne tient pas la route, de l'aveu même du romancier qui  dit avoir combattu à partir de janvier 1945. (*)

 

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Le livre de Grass. Titre : En pelant les oignons... 

 

En octobre 2006 va paraître un autre livre d'autobiographie. Celui-là est d'un journaliste-écrivain-historien classé à droite : Joachim Fest, célèbre pour ses travaux sur le IIIe Reich (qui ont notamment inspiré le film La Chute). Fest a le même âge que Grass. Mais il intitule son livre Moi pas : ce qui est une gifle à Grass.  Fest n'a jamais été ni SS, ni même tenté par l'hitlérisme. Fils d'une famille de catholiques  berlinois antinazis, il appartient à cette fraction du peuple allemand qui pratiquait la réticence, voire la résistance passive, face au totalitarisme national-socialiste. C'est ce que souligne un enseignant-chercheur de la Sorbonne, Johann Chapoutot, dans une tribune libre du Monde (26 août) : "Que le futur journaliste et publiciste conservateur  soit demeuré, apparemment, hermétique à la séduction nazie n'étonne guère : le catholicisme a pu être, comme l'attestent les exemples bavarois et rhénan, un facteur de ce que les historiens ont appelé la 'Resistenz', une forme d'imperméabilité psychique face aux maîtres-mots de l'heure..."

Grass, lui, y  était sensible : et cela ne surprend pas non plus l'historien de la Sorbonne, "qui sait tout ce que le nazisme recélait de rouge-brun, d'idéalisme eschatologique et d'inspiration prolétarienne". Autrement dit : en s'effondrant, le nazisme, né  - en partie -  à gauche, a pu restituer à la gauche une partie des siens.

Non seulement Grass avoue qu'il fut réceptif à la propagande du IIIe Reich, mais il affirme que tous les Allemands le furent. Ce qui est inexact et assez choquant, si l'on songe aux Allemands liquidés dans les camps : qu'ils soient communistes ou qu'ils soient chrétiens, tel Karl Leisner (dont ce blog parle à la date du 12 août). Sans parler des Allemands juifs, tués à cause d'une origine et non d'une conviction.

Nous avons rappelé dans ce blog que le nazisme était viscéralement cathophobe, quoi qu'en dise le politically correct  d'aujourd'hui. Sans doute cette phobie correspondait à quelque chose chez les Grass, Allemands de Gdansk, héréditairement confrontés aux catholiques Polonais...  Toujours est-il que, vers 1960, Günter Grass s'est permis d'attaquer Konrad Adenauer en le taxant de "catholicisme nauséabond". Ce qui en dit long, si l'on se souvient qu'à l'époque Adenauer et Charles de Gaulle essayaient de construire une certaine Europe.

Une Europe dont il n'est plus question aujourd'hui, alors que la cathophobie s'épanouit à l'Europarlement.

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(*)  De janvier à avril, son unité ne paraît pas avoir fait dans l'objection de conscience. Juste avant leur capture par les Américains, le sous-off de Grass donne à ses hommes l'ordre d'ôter leurs uniformes SS et de s'habiller en soldats ordinaires... Qu'avaient-ils à se reprocher ? Attendons la suite de l'enquête.

 

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Le document qui révèle l'appartenance
de Grass à la SS.

Commentaires

[de : Rony]

> Peut-être, mais rien ne dit qu'il a tué pour autant.... A vrai dire, je ne sais à quoi m'en tenir, à propos de ce monsieur.
Cordialement.


[De P.P. à R. - Rien ne le dit en effet ; le seul indice est l'ordre du sous-officier à ses hommes, de cacher leur appartenance à cette unité quand ils seraient pris par les Américains. On sait aussi comment la Waffen SS était perçue sur les théâtres d'opérations ! Lire à ce sujet les Mémoires de guerre d'Ernst Jünger, sur "les abattoirs de l'Est"... Lire aussi les Mémoires de Josef Ratzinger ("Ma vie"), sur les SS qui pendaient leurs compatriotes au printemps 1945 sur les routes bavaroises... Mais le but de ma note n'est pas de deviner ce que la division Frundsberg a pu faire entre janvier et avril 1945. Il est de resituer la cathophobie de Grass dans son contexte historique.]


Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Rony | 27/08/2006

[de : grendel]

> Voir ce qu'en dit Pierre Assouline sur son blog (http://passouline.blog.lemonde.fr/livres/2006/08/gnter_grass_pou.html) :
" ...Tout le monde se demande pourquoi l'écrivain, conscience de la gauche depuis des décennies, a tant tardé à le confesser : depuis la publication du 'Tambour' (1961)notamment, et l'adaptation cinématographique de Volker Schlöndorff, jusqu'à la récente parution de 'En crabe' (2002), ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Grass soutient que le moment était venu, maintenant et pas avant, car il attendait d'avoir à écrire quelque chose de 'directement autobiographique'... Peu convaincant. Il l'est davantage quand il avoue à demi-mots que cette vérité là, il n'avait jamais pu se l'extraire des tripes avant tant elle était complexe, douloureuse, inacceptable. D'autres rétorquent qu'il ne fait qu'appliquer avec cynisme une loi élémentaire du marketing que l'on appelle le 'teasing' : celui-ci consiste à exciter le lecteur en lui balançant un petit scoop en prévision de la publication dans deux semaines du livre de Mémoires dont il est issu.
Mais il est une troisième hypothèse qui n'a guère accaparé les esprits : étant donné que, de son propre aveu, Michaël Jurgs, le biographe autorisé de Grass, n'avait jamais rien su de cette affaire (mais on imagine difficilement qu'un tel secret puisse le rester longtemps encore), l'écrivain n'a-t-il pas essayé de désamorcer la publication prochaine d'une enquête de journaliste, ou d'une nouvelle biographie, révélant ce passé caché ? Cette anticipation d'une dénonciation annoncée est tout à fait plausible, surtout depuis la récente divulgation d'un grand nombre de dossiers d'archives récupérés dans les ruines de l'Allemagne nazie, et longtemps conservés à l'abri des regards dans l'ex Union soviétique et dans les pays de l'Est, notamment l'ex RDA...
Quoi qu'il en soit, en attendant que l'on sache précisément 'warum jetzt', les traditionnelles leçons de morale de Günter Grass à la conscience collective allemande vont devenir inaudibles. Quand on songe, entre autres, à sa condamnation sans appel de Reagan et de Kohl lorsqu'ils avaient osé visiter le cimetière de Bitburg près de la frontière belge au motif que des Waffen SS y étaient enterrés auprès de soldats allemands et américains...
P.S. du 17 août : L'éditeur ayant avancé la sortie du livre de deux semaines, le premier tirage (150 000 exemplaires) des Mémoires de Günter Grass a été pratiquement épuisé en deux jours. "

Écrit par : grendel | 27/08/2006

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