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Politique française : une fin d'année édifiante
...et digne des douze mois qui l'ont précédée :
L'actualité du 31 décembre conclut une année politique consternante. Incohérence, grands mots, abus de pouvoirs pour masquer l'impuissance matérielle et mentale... Prenons trois exemples :
1. Les calanques de Cassis
Moins de trois semaines après une COP 21 montée à grand spectacle* au nom de l'écologie, la première décision de Matignon en matière écologique est pour capituler devant le retour du vieux scandale des boues rouges de Gardanne. En quarante ans, l'entreprise Alteo a déversé en mer 20 millions de tonnes de résidus de bauxite (les fameuses « boues rouges »), au milieu du parc national des calanques de Cassis ; le 29 décembre, le préfet des Bouches-du-Rhône a donné son feu vert à Alteo pour reprendre le déversement, non plus des boues rouges elles-mêmes (elles seront déshydratées et stockées, au grand dam des riverains) mais du produit de leur déshydratation : des effluents liquides chargés en arsenic, mercure, dioxines, furanes, PCB, chrome, fer, aluminium etc. Contamination grave des eaux de la Méditerranée ! L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation avait mis en garde Matignon. Mais quand il s'agit de céder au Medef, on sait M. Valls rigide dans ses bottes et talonné par la concurrence Macron : d'où le décret du 29 décembre.
« L'ordre est venu du Premier ministre : c'est une mauvaise décision essentiellement suscitée par le chantage à l'emploi », accuse Mme Royal. Matignon tente de se couvrir en déclarant que le préfet n'a pas obéi à un ordre du Premier ministre mais à un avis « indépendant » : celui du « Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques ». Or ce « conseil » n'est qu'un organisme consultatif derrière lequel l'Etat ne saurait se dissimuler. Surtout lorsque l'on examine la composition* dudit conseil peuplé de représentants de l'Etat, du Medef, de la FNSEA, et autres amis de l'environnement !
Cet exemple local en dit long. Les questions d'environnement sont cruciales pour l'avenir de tous. L'exécutif reconnaît qu'elles le sont. Néanmoins – coincé par ses allégeances économiques et financières – il fait (ou laisse faire) des choses irresponsables dans ce domaine crucial. C'est pervers au sens psychique du terme.
2. La déchéance de nationalité
Le 13 novembre fut un trauma collectif. Malgré les efforts des médias (Libération, Le Monde, les radios) pour faire croire que ce massacre ne visait qu'une élite de « jeunes urbains cosmopolites », le réflexe des Français fut un appel instinctif au sens de la solidarité générale entre compatriotes. Même la classe politique, outil habituel des dénis de réalités, s'en est rendu compte. D'où la séquence tricolore de François Hollande, qui aurait fait grand effet si elle n'était pas venue de lui. D'où aussi son discours devant le Congrès : numéro de transformisme qui donna la mesure du désarroi des dirigeants.
Il en résulta l'embrouille de la « déchéance de nationalité ». Mesure annoncée, puis annulée, puis ré-annoncée dans une cacophonie croissante – pour devenir en fin de compte (et comme d'habitude) une querelle parisienne hystérique sur des postures et des faux-semblants, sans que l'on cherche à savoir si la mesure apporterait quelque chose de réel. M. Hollande sait au demeurant que son histoire de déchéance est vouée à la censure du Conseil constitutionnel, à moins de procéder à un nouveau charcutage de la Constitution – dont la faisabilité ne serait d'ailleurs pas certaine, même si le domaine constitutionnel est devenu depuis vingt ans l'île du Dr Moreau... Certains, tel M. Raffarin (il ose tout), suggèrent même d'étendre la déchéance à tous les nationaux suspects, en application de la convention internationale de 1961 dont un article 8 alinéa 3 réserve aux Etats le droit de priver de leur nationalité les individus qui auraient « manqué de loyalisme » ou « porté un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat ». Compte tenu de ce que sont les nouvelles-valeurs-de-la-République, et du genre d'intérêts que se donne l'Etat postdémocratique, toutes les craintes sont permises.
Va-t-on en conclure, comme l'historienne Armelle Enders (Paris-Sorbonne)**, qu'en désorientant tout le monde M. Hollande vient de « perdre l'élection présidentielle de 2017 » ? On verra ça ; mais l'historienne n'a pas tort quand elle écrit : « l'affolement de l'ensemble de la classe politique devant ce jihad d'un type nouveau, l'incapacité du pouvoir à dessiner une stratégie à long terme, sa gestion purement émotionnelle de la crise, les arrière-pensées électorales, sont profondément inquiétants. »
3. La Corse et « l'Etat qui ne recule pas »
Quoique montée en mayonnaise par l'audiovisuel, l'affaire d'Ajaccio est d'une grande banalité. Une embuscade tendue à des pompiers par une petite bande de jeunes de cité, c'est l'ordinaire – évidemment condamnable – des banlieues françaises. Une réaction de représailles de quelques centaines de militants corses saccageant une salle de prières pour s'en prendre aux immigrés, c'est également banal (quoique moins fréquent) car ce n'est pas spécialement corse... Les « nationalistes » ethnicistes corses sont peu différents – sauf par le drapeau et les chants – des « identitaires » ethnicistes continentaux : ceux-ci disent « islam » parce qu'il serait délictueux de dire « Arabes » ; si les Corses disent carrément « Arabi fora », c'est qu'ils ont peu à craindre de la justice pinzuta. Mais la démarche est la même. Les « identitaires » continentaux aimeraient (oser) écrire le genre de choses qu'écrivait la revue séparatiste U Ribombu il y a vingt ans, sans être poursuivie pour autant... D'où l'éclat de rire suscité en Corse par M. Valls, virtuose du comique de répétition, avec sa phrase d'avant-hier : « En Corse l'Etat ne recule pas. » Mais si, il recule ! en Corse comme ailleurs ! et malgré ses rodomontades ! et sous tous les gouvernements, depuis les années 1980...
Jean-Pierre Chevènement voit dans les relations entre le séparatisme corse et la classe politique parisienne une énigme enveloppée de mystère ; sans aller jusque là, voyons-y un autre exemple de ce qu'est devenue la République en général. C'est même pour accélérer cette fuite en avant que l'exécutif prétend maintenant se doter de super-pouvoirs qui lui permettraient, croit-il, de réduire au silence toute contestation...
Ces trois exemples montrent en effet un Etat aux abois, un personnel politique errant entre proclamations théâtrales et aveux tacites d'impuissance. L'impuissance vient de l'abdication volontaire du politique au profit du financier. Les proclamations théâtrales viennent de la nécessité fonctionnelle de maintenir le show, pour justifier l'existence d'une élite politico-administrative dont les citoyens se demandent à quoi elle sert... C'est le théâtre de l'impuissance. Voilà la raison des scores du FN, devenu la seule offre « encore à essayer » – bien que personne ne le croie capable de gouverner notre société.
C'est en effet une situation inquiétante, mais elle ne nous prend pas par surprise.
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* << Article D. 510-2 du Code de l'environnement (Décret n° 2011-1891 du 14 décembre 2011, article 1er) - Le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques est composé :
« I. Des membres de droit suivants :
« 1° Le directeur ou le directeur général chargé de la prévention des risques au ministère chargé de l'environnement ou son représentant ;
« 2° Le directeur ou le directeur général chargé de l'énergie au ministère chargé de l'énergie ou son représentant ;
« 3° Le directeur ou le directeur général chargé de la santé au ministère chargé de la santé ou son représentant ;
« 4° Le directeur chargé de la sécurité civile au ministère de l'intérieur ou son représentant ;
« 5° Le directeur ou le directeur général chargé de l'industrie et des services au ministère chargé de l'industrie ou son représentant ;
« 6° Le directeur ou le directeur général chargé du travail au ministère chargé du travail ou son représentant ;
« 7° Le directeur ou le directeur général chargé de l'industrie agroalimentaire au ministère chargé de l'agriculture ou son représentant ;
« 8° Le président de l'Autorité de sûreté nucléaire ou son représentant ;
« II. Des membres suivants nommés pour une durée de trois ans par arrêté du ministre chargé de l'environnement :
« 1° Sept personnalités choisies en raison de leurs compétences sur les sujets énumérés à l'article D. 510-1 ;
« 2° Sept représentants des intérêts des exploitants des installations mentionnées à l'article D. 510-1, dont :
« a) Trois proposés par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;
« b) Un proposé par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ;
« c) Un proposé par l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie ;
« d) Un proposé par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture ;
« e) Un proposé par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ;
« 3° Sept personnes chargées ou ayant été chargées des contrôles des installations mentionnées à l'article D. 510-1, dont au moins un inspecteur de la sûreté nucléaire nommé après accord du président de l'Autorité de sûreté nucléaire ;
« 4° Sept représentants du monde associatif comprenant :
« a) Cinq membres d'associations mentionnées à l'article L. 141-1 ;
« b) Un membre d'une association ayant pour objet la défense des victimes d'accidents technologiques ;
« c) Un membre d'une association ayant pour objet la défense des consommateurs, proposé par le ministre chargé de la consommation ;
« 5° Quatre représentants des intérêts des collectivités territoriales proposés par l'Association des maires de France (AMF) et pouvant être soit des maires ou adjoints au maire, soit des présidents ou vice-présidents d'établissements publics de coopération intercommunale ;
« 6° Cinq représentants des intérêts des salariés des installations mentionnées à l'article D. 510-1, proposés par les organisations syndicales représentatives.