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Tattoos, piercing : pourquoi ?

La bouffonnerie du député suédois (ici, 27/07) ramène une question récurrente : pourquoi la mode-de-masse du tattoo ? que dit-elle de notre société technoïde ? Je remets ici en ligne une note de 2009 :

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Attesté partout dans les anciennes sociétés claniques, par exemple en Polynésie [1], le tatouage correspondait à des traditions : il symbolisait des rôles sociaux, des mérites personnels, des armes, des sacrifices humains, des animaux divinisés. Il était opéré par des prêtres, au cours de cérémonies. Imité en Occident par des matelots puis des truands  aux XIXe-XXe siècles, le tatouage eut aussi ses codes visuels de « milieu ».

Mais rien de tout cela dans le tatouage en France aujourd'hui. Son iconographie en 2009 se limite au morbide de bazar (esthétique vidéo-gothique), au zéro-sens (papillons, petites étoiles) ou à l'érotomanie. Le comble : les tatouages « tribaux », proposés par les catalogues à des petits-bourgeois français n'appartenant à aucune tribu.

En l'absence de tradition, et vu la laideur du tatouage sur une femme, comment expliquer  sa multiplication ? « Le tatouage chez la femme au XXIe siècle symbolise la liberté d'expression », dit un journal québécois [2] ; autant dire qu'il ne symbolise rien, une liberté n'étant pas un contenu. En fait, la ménagère imite les sempiternels people, tatouées  mais  surtout  Américaines  (on ne dit  plus tatouage mais tattoo). « Manière de s'affirmer », disent les sites commerciaux. L'un d'eux [3] ajoute : « Aujourd'hui tout le monde se fait tatouer, c'est un signe de distinction. »

Se « distinguer » en ressemblant à « tout le monde », c'est-à-dire aux modèles obligatoires ? C'est un réflexe paradoxal. Mais c'est la clé de fonctionnement de la société de consommation.

Piercing « industriel »

Encore plus significatif : le piercing. Le terme anglais est body piercing, « perçage du corps ». Première observation : comme dans le cas du tatouage, le piercing en Occident aujourd'hui n'a pas le sens qu'il avait dans les sociétés anciennes : le labret qui remontait au néolithique, les perforations du nez chez les pharaons, les oreilles percées des esclaves dans la Bible (Exode 21,5), les langues perforées des Mayas et des Aztèques, le bijou dans le nez des castes supérieures indiennes, etc. Voire l'anneau dans l'oreille des matelots de la marine en bois, ou de certains artisans d'autrefois... Rien à voir avec ce qui se passe maintenant en Occident : apparu en 1975 aux USA dans la « culture gay » version sadomasochiste, expliquent les sociologues, le piercing est aujourd'hui répandu partout.

Que veut le percé ? « Se distinguer », affirme la pub. Mais on peut lui faire la même objection qu'au tatouage : on ne se distingue pas en imitant.

Quant aux sociologues, ils pensent que le piercing pourrait être devenu chez les adolescents un « rite de passage à l'âge adulte » : il faudrait donc considérer comme « adulte » (inséré dans la société) ce que véhicule le piercing.

Alors, que véhicule-t-il ?

Un certain type de piercing se compose de deux perçages à l'oreille reliés par une tige de 30 millimètres. Dans le vocabulaire consacré, ce piercing est appelé « l'industriel ». D'ailleurs le matériau de tout piercing évoque l'industrie : acier inoxydable, titane, niobium, teflon, bioplast, plexiglas, acrylique.

Incorporer des matériaux industriels à l'épiderme, c'est forcer son propre corps à « ressembler » à un artefact. Pourquoi ?-

 L'homme trahit sa propre cause

 Dans son livre L'obsolescence de l'homme [4], Günther Anders, qui fut l'époux de Hannah Arendt, affirme que l'homme moderne fait un complexe d'infériorité devant la perfection des objets techniques. Il a « honte […] de devoir sa propre existence au hasard, à ce processus aveugle, non calculé et ancestral, de la procréation et de la naissance, plutôt qu'à la maîtrise. Ce déshonneur tiendrait déjà au fait qu'il s'agit d'une naissance et non d'une production planifiée et rationnelle... », d'où aujourd'hui les fantasmes de l'utérus machinique, des humains génétiquement modifiés, et la pratique « bien réelle et déjà programmée du tri des embryons », explique Paul Ariès [5] : « Ce que l'homme moderne considère comme un déshonneur, ce n'est plus d'être "chosifié", mais de ne pas l'être.... L'homme moderne non seulement accepte sa propre réification (métro-boulot-MacDo-dodo), mais finit par passer dans le camp des instruments, bref, par trahir sa cause : il accepte la supériorité de la technoscience et des objets, il accepte d'être mis au pas... L'homme va déserter son camp en adoptant le point de vue et les critères des objets... Cette honte prométhéenne serait donc ce qui pousse tant d'humains à pratiquer des sports extrêmes, ou à se livrer à des conditions extrêmes de survie, ou à pratiquer des jeux dangereux, ou encore à ces nouvelles formes d'alcoolisation des jeunes qui seraient autant de formes d'ordalie. »

Voilà comment nous en sommes au fantasme des cyborgs, de l'homme pharmaceutique, et du corps mis en scène comme un artefact : piercings et tattoos  qu'il ne faut pas dramatiser pour eux-mêmes, mais qui sont le signe de quelque chose de grave. Il s'agit de « donner au corps la beauté des choses fabriquées ». Il ne s'agit plus d'esthétiser la vie humaine, comme dans les sociétés primitives, mais de la déshumaniser par complexe d'infériorité devant la Machine. C'est le stade léthal de la société technoïde. Pour changer de société, il faut une révolution. Toute autre voie serait une esquive.

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[1] « Tatouer » vient du polynésien tatau : «faire des marques ».  (« Prêtre tatoueur » : tahu'a tatau).

[2] La journaliste québécoise ajoute : « La femme tatouée n'a plus de visage ni de classe sociale. Elle est libre et affranchie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des femmes récemment divorcées se présenter à sa boutique et réclamer leur petit côté «wild». Elles perçoivent le tatouage comme une transition, un passage à une autre étape de leur vie. « ll ne faut jamais sous-estimer l'effet thérapeutique de la coquetterie», commente Jean Gauthier, représentant du service à la clientèle du salon Excentrik à Montréal. Il note que les dessins sont rarement engagés, variant entre la fleur et le papillon.»

[3] Dans un magazine féminin.

[4] L'obsolescence de l'homme : sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, éd. Encyclopédie des nuisances – Ivrea, 2002.

[5]Les cahiers de l'IEESD,numéro 3, juillet 2009. Plus radicale est la critique (la vraie) de la société capitaliste, plus elle recoupe l'anthropologie catholique (la vraie). [ Ajout 2013 – Ces dernières lignes, écrites en 2009, sont d'autant plus objectives qu'Ariès se pose en véhément bouffeur de cathos ! ].

 

 

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Piercings, tattoos : pourquoi ?

BLD066598[1].jpgLe nombre des piercings et des tatouages est frappant cet été, plus que les années passées. Surtout celui des femmes tatouées. Que veut dire cette façon de mettre en scène son propre corps ?

 


Attesté partout dans les anciennes sociétés claniques, par exemple en Polynésie [1], le tatouage correspondait à des traditions : il symbolisait des rôles sociaux, des mérites personnels, des armes, des sacrifices humains, des animaux divinisés. Il était opéré par des prêtres, au cours de cérémonies. Imité en Occident par des matelots puis des truands  aux XIXe-XXe siècles, le tatouage eut aussi ses codes visuels de « milieu ».

Mais rien de tout cela dans le tatouage en France aujourd'hui. Son iconographie en 2009 se limite au morbide de bazar (esthétique vidéo-gothique), au zéro-sens (papillons, petites étoiles) ou à l'érotomanie. Le comble : les tatouages « tribaux », proposés par les catalogues à des petits-bourgeois français n'appartenant à aucune tribu.

En l'absence de tradition, et vue la laideur du tatouage sur une femme, comment expliquer  sa multiplication ? « Le tatouage chez la femme au XXIe siècle symbolise la liberté d'expression », dit un journal québécois [2] ; autant dire qu'il ne symbolise rien, une liberté n'étant pas un contenu. En fait, la ménagère imite les sempiternels people, les Eva Longoria, Britney Spears et autres  Angelina Jolie,  tatouées  mais  surtout  Américaines  (on ne dit  plus tatouage mais tattoo). « Manière de s'affirmer », disent les sites commerciaux. L'un d'eux [3] ajoute : « Aujourd'hui tout le monde se fait tatouer, c'est un signe de distinction. »

Se « distinguer » en ressemblant à « tout le monde », c'est-à-dire aux modèles obligatoires ? C'est un réflexe paradoxal. Mais c'est la clé de fonctionnement de la société de consommation.-

 

Piercing « industriel »

 

Plus significatif : le piercing. Le terme anglais est body piercing, « perçage du corps ». Première observation : comme dans le cas du tatouage, le piercing en Occident aujourd'hui n'a pas le sens qu'il avait dans les sociétés anciennes : le labret qui remontait au néolithique, les perforations du nez chez les pharaons, les oreilles percées des esclaves dans la Bible (Exode 21,5), les langues perforées des Mayas et des Aztèques, le bijou dans le nez des castes supérieures indiennes, etc. Voire l'anneau dans l'oreille des matelots de la marine en bois, ou de certains artisans d'autrefois... Rien à voir avec ce qui se passe maintenant en Occident : apparu en 1975 aux USA dans la « culture gay » version sadomasochiste, expliquent les sociologues, le piercing est aujourd'hui répandu partout.

Que veut le percé ? « Se distinguer », affirme la pub. Mais on peut lui faire la même objection qu'au tatouage : on ne se distingue pas en imitant.

Quant aux sociologues, ils pensent que le piercing pourrait être devenu chez les adolescents un « rite de passage à l'âge adulte » : il faudrait donc considérer comme « adulte » (inséré dans la société) ce que véhicule le piercing.

Alors, que véhicule-t-il ?

Un certain type de piercing se compose de deux perçages à l'oreille reliés par une tige de 30 millimètres. Dans le vocabulaire consacré, ce piercing est appelé « l'industriel ». D'ailleurs le matériau de tout piercing évoque l'industrie : acier inoxydable, titane, niobium, teflon, bioplast, plexiglas, acrylique.

Incorporer des matériaux industriels à l'épiderme, c'est forcer son propre corps à « ressembler » à un artefact. Pourquoi ?-

 

L'homme trahit sa propre cause

 

Dans son livre L'obsolescence de l'homme [4], Günther Anders, qui fut l'époux de Hannah Arendt, affirme que l'homme moderne fait un complexe d'infériorité devant la perfection des objets techniques. Il a « honte […] de devoir sa propre existence au hasard, à ce processus aveugle, non calculé et ancestral, de la procréation et de la naissance, plutôt qu'à la maîtrise. Ce déshonneur tiendrait déjà au fait qu'il s'agit d'une naissance et non d'une production planifiée et rationnelle... », d'où aujourd'hui les fantasmes de l'utérus machinique, des humains génétiquement modifiés, et la pratique « bien réelle et déjà programmée du tri des embryons », explique l'anticapitaliste radical Paul Ariès [5] : « Ce que l'homme moderne considère comme un déshonneur, ce n'est plus d'être "chosifié", mais de ne pas l'être.... L'homme moderne non seulement accepte sa propre réification (métro-boulot-MacDo-dodo), mais finit par passer dans le camp des instruments, bref, par trahir sa cause : il accepte la supériorité de la technoscience et des objets, il accepte d'être mis au pas... L'homme va déserter son camp en adoptant le point de vue et les critères des objets... Cette honte prométhéenne serait donc ce qui pousse tant d'humains à pratiquer des sports extrêmes, ou à se livrer à des conditions extrêmes de survie, ou à pratiquer des jeux dangereux, ou encore à ces nouvelles formes d'alcoolisation des jeunes qui seraient autant de formes d'ordalie. »

Voilà comment nous en sommes au fantasme des cyborgs, de l'homme pharmaceutique, et du corps mis en scène comme un artefact : piercings et tattoos  qu'il ne faut pas dramatiser pour eux-mêmes, mais qui sont le signe de quelque chose de grave. Il s'agit de « donner au corps la beauté des choses fabriquées ». Il ne s'agit plus d'esthétiser la vie humaine, comme dans les sociétés primitives, mais de la déshumaniser par complexe d'infériorité devant la Machine. C'est le stade léthal de la société technoïde. Pour changer de société, il faut une révolution. Toute autre voie serait une esquive.

 

 

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[1] « Tatouer » vient du polynésien tatau : «faire des marques ».  (« Prêtre tatoueur » : tahu'a tatau).

[2] La journaliste québécoise ajoute : « La femme tatouée n'a plus de visage ni de classe sociale. Elle est libre et affranchie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des femmes récemment divorcées se présenter à sa boutique et réclamer leur petit côté «wild». Elles perçoivent le tatouage comme une transition, un passage à une autre étape de leur vie. « ll ne faut jamais sous-estimer l'effet thérapeutique de la coquetterie», commente Jean Gauthier, représentant du service à la clientèle du salon Excentrik à Montréal. Il note que les dessins sont rarement engagés, variant entre la fleur et le papillon.»

[3] Dans un magazine féminin.

[4] L'obsolescence de l'homme : sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, éd. Encyclopédie des nuisances – Ivrea, 2002.

[5] Les cahiers de l'IEESD, numéro 3, juillet 2009. Plus radicale est la critique (la vraie) de la société capitaliste, plus elle recoupe l'anthropologie catholique (la vraie).


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Uburkini : un symptôme d'époque

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Quelle que soit (vendredi) la décision du Conseil d'Etat sur les arrêtés municipaux anti-burkini, cette affaire est typique de notre époque d'Ubu :

 

Si nos élus - tétanisés par 2017 - veulent réellement interdire les plages au burkini, ils n'ont qu'à appliquer... la charia ! En effet, le burkini (invention de marchands de fringues australiens)  est condamné par les docteurs coraniques. La vraie musulmane n'est autorisée à se rendre sur une plage qu'à deux conditions : 1. qu'aucun homme ne soit là ("sauf à la rigueur le mari, le père ou les frères" - disent certains exégètes laxistes) ; 2. qu'elle garde robe longue et hidjab, à l'exclusion du pantalon "trop moulant" du burkini. Mais les islamo-juristes concluent que la meilleure formule est de ne pas aller à la plage, cet acte "ne pesant pas dans la balance des bonnes actions au jour du jugement". Cet avis d'experts met en porte-à-faux tous les protagonistes de l'affaire Burkini :

- ceux des islamistes qui, s'emparant de l'affaire pour crier à "l'islamophobie française", oublient que le burkini est un péché aux yeux du Coran ;

- ceux des anti-burkini qui croient combattre Daech en faisant verbaliser des femmes par les policiers municipaux ;

- et ceux qui invoquent "les valeurs de la République" ou "les repères de la société".

 

Car le maire de Nice a eu tort de signer un texte interdisant la tenue blouse-pantalon comme non "correcte" et non "respectueuse des bonnes moeurs". Veut-il dire que la tenue string et seins nus (avec ou sans tatouage au bas de la colonne vertébrale) correspond aujourd'hui à la "correction" et aux "bonnes moeurs" ? Les mots n'ont alors plus de sens, nous sommes dans l'enfumage officiel semi-porno que prédisait Brave New World (1931), et c'est un cadeau de plus à la propagande de l'islam rigoriste.

 

Le texte du maire de Nice contre le burkini invoque aussi "la laïcité dans l'espace public". Ce qui soulève au moins deux objections :

1. Nice autorise des cérémonies catholiques dans la rue : est-ce que le maire considère le catholicisme, non comme une religion, mais comme un marqueur identitaire local tel le carnaval des grosses têtes (ou le string seins nus sur la plage) ? ce serait à verser au dossier de l'athéisme pieux.

2. Qu'est-ce que "la laïcité dans l'espace public" ? Selon la loi, cette obligation ne s'applique qu'aux écoles et locaux officiels : elle ne saurait en déborder sans devenir liberticide... et prétendre imposer un certain look comme étant celui des "valeurs de la République" ; ce qui les rendrait totalitaires soft, à la façon de Brave New World.

La loi de 1905 garantit le libre exercice des religions tant qu'elles ne prétendent pas influencer l'Etat. La loi de 2010 sur le voile "ne s'impose pas à la société et aux individus", rappelait le Conseil d'Etat à l'époque.

 

Juridiquement incohérente, humainement injustifiable (en rendant laïque et obligatoire l'exhibition du corps-objet), idéologiquement contre-productive (en fournissant des arguments - même de mauvaise foi - à Daech), l'affaire de l'anti-burkini révèle une schizophrénie de la part d'une aile de la classe politique : souhaiter une immigration invisible. Ce n'est pas une posture : c'est un symptôme.

 

 

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Sous l'obsession ”identitaire”, qu'y a-t-il ?

2501_clip-nombril-christal-noir.jpgUne étude intéressante :

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Par Véronique Hervouët

www.contrepointphilosophique.ch

Rubrique Ethique

23 octobre 2010

 

 

Parler de la crise identitaire c’est tout d’abord la situer dans son contexte de crise généralisée : crise économique, crise de l’éducation, crise de l’enseignement, crise des institutions... On peut se douter que ces crises ne sont pas seulement concomitantes. Elles résultent et participent d’un effondrement systémique de la civilisation occidentale. Mon propos consiste à repérer la lame de fond qui l’anime.

 

 

     Dans le contexte de relativisme politique et culturel que nous traversons, nous pouvons constater que nombre de mots et concepts ne fonctionnent plus comme vecteurs de sens au service de la pensée mais comme des agents de communication au service de« l’air du temps ». Je désigne par là l’idéologie distillée par le discours médiatique, constituée d’émanations inconscientes, de fantasmes, non-dits et dénégations des passages à l’acte en cours[1]. 

     Ainsi en est-il du mot «identité », utilisé confusément pour parler de soi et des autres, à divers titres d’appartenance communautaire, notamment sexuelle, ethnique, religieuse, régionale.

     Nous reconnaissons dans cette déclinaison les composantes d’un autre concept à succès : « la diversité » dont les médias nous rebattent les oreilles. Tant pour la légitimer que pour effacer au plus vite de nos mémoires le souvenir d’une cohésion sociale fondée sur le respect des valeurs républicaines, les droits et les devoirs inhérents à la citoyenneté.

     Les revendications identitaires contemporaines se manifestent sur un mode passionnel confinant à la violence, mâtiné de victimisme que leur accréditation institutionnelle[2] rend explosives.

     Nous y détecterons d’emblée les symptômes d’une souffrance existentielle généralisée, d’une grave crise identitaire.

     Afin de l’ouvrir à l’analyse, nous rapporterons tout d’abord ce terme obscur d’ « identité » à la question de « l’Être » qui le sous-tend.

     Aborder cette dialectique primaire de « l’Être » nous ramène aux fondements les plus archaïques des sociétés humaines.

 

Des archaïsmes inamovibles

 

     Les fondements archaïques dont il est question sont non seulement génériques à l’ensemble de l’humanité, mais encore intrinsèques à la structure psychique de tout sujet humain. Si l’on peut qualifier ces fondements d’archaïques, c’est parce qu’ils se rapportent à notre double appartenance au réel biologique et à la réalité langagière. C’est en effet dans cet espace d’ambiguïtés que, depuis des temps immémoriaux, l’identité subjective est appelée à se construire et se réaliser. La problématique identitaire qui submerge le monde contemporain (passionnelle, caractéristique de son ancrage dans la vie intime) s’articule manifestement aux tremblements de cette phase archaïque. Il est donc urgent d’aviser en quoi consistent ces archaïsmes, parce qu’ils participent de l’histoire de chaque sujet et qu’à ce titre ils sont structurellement récurrents. Mais surtout parce que leur contention est au principe de l’élaboration et du maintien des processus de civilisation[3].

 

Comment se construit l’identité ?

 

     L’identité n’est pas une réalité matérielle. C’est une construction qui se réalise par la médiation de la parole et qui comporte deux niveaux inter-dépendants.

     L’un constitue et régit l’économie intime de chaque sujet.

     L’autre, collectif et institué, en prend le relais pour façonner et structurer le champ social (traditions, religions, lois).

      La construction identitaire du «sujet »

     C’est lors de l’acquisition du langage que se produit l’émergence du Sujet humain. C’est en effet le langage qui, dans la relation intersubjective, interpelle le sujet comme tel et le construit en lui donnant reconnaissance.

     Mais en même temps le langage le divise. Car l’Autre de la parole laisse dans le sujet une empreinte en creux, qui fait manque. Ce manque à « être », qui frappe l’existence humaine du sceau de l’incomplétude, est ce qui fonde le désir.

     S’il est vrai que le désir est suscité par un objet convoité, il n’en reste pas moins que le vide qui le cause est de structure. C’est en quoi aucun objet, fut-il le plus désirable, n’est approprié pour le combler. La satisfaction du désir laisse toujours à désirer C’est ce qui fait dire que le désir est insatiable. Quoi qu’ils possèdent, les humains en proie au désir, c’est-à-dire au « manque-à-Être » qui les creuse, réclament « toujours plus»...

 

     Mais quel est donc cet obscur objet du désir ?

     Le désir réfère incontournablement à celui de la mère. Celui-ci constitue en effet une entrave à la demande d’amour et à la satisfaction des besoins de l’enfant, qui voudraient que sa mère se consacre entièrement à lui. C’est pourquoi l’enfant veut être l’objet du désir de sa mère.

     Ce désir premier reste inscrit dans le psychisme comme une indélébile référence. Et comme le désir féminin est orienté du côté mâle, le symbole phallique qui lui est associé est investi d’un prestige unique et référent qui est à l’origine du phallocentrisme qui structure le psychisme de tous les sujets humains (quel qu’en soit le sexe), mais aussi les institutions de l’ensemble des sociétés humaines. Ce phallocentrisme a pour conséquence que le sexe féminin ne trouve place dans l’inconscient qu’en tant qu’Autre-privé-de-phallus.

     Ce désir originaire et infantile d’être le phallus constitue le prototype de tout désir d’« Être ». C’est ce que nous allons vérifier concernant celui qui sous-tend les revendications identitaires.

 

     L’identification sexuelle : « avoir » ou « ne pas avoir » 

     Cette symbolique phallique fondatrice étant posée, la découverte de la différence sexuelle – qui est pour l’essentiel découverte de ce qui manque à la mère – est un moment déterminant dans la construction psychique du sujet. Elle fait basculer le désir de l’enfant de la problématique primordiale de « l’être » vers celle de « l’avoir » où le sujet est appelé à s’identifier sexuellement. « Avoir » ou « ne pas avoir » le phallus, telle est l’alternative. C’est le moment au cours duquel la symbolique phallique vient s’ancrer dans l’imaginaire[4]. Cette séquence est déterminante car elle amorce la destitution de la mère de sa position de toute puissance et permet d’introduire la loi du père.

 

L’assomption du désir dans le champ éducatif judéo-chrétien

 

Dans la société occidentale, la culture s’est façonnée dans les champs linguistiques hébreu, grec et latin – qui ont engendré les valeurs de justice et d’égalité inscrites dans les Évangiles – et s’est structurée sur le modèle du droit romain[5]Ceci se traduit dans les textes religieux par une dévalorisation radicale de la jouissance qui implique dans le champ social une application égalitaire mais très contraignante de l’Interdit. Cette configuration singulière a déterminé un modèle éducatif qui engendre une forte culpabilité et une frustration douloureusement ressenties sur le plan individuel. Ces dispositions se sont cependant avérées très productives sur le plan collectif car elles ont favorisé l’émergence de l’autocritique et positivé le doute, terreaux fertiles de la pensée créative qui constitue le moteur du développement socio-économique et culturel occidental.

   Il y a cinquante ans à peine, les processus normatifs psycho-éducatifs s’élaboraient encore sous ces auspices.

     Dans la cellule familiale, l’Interdit était incarné par le père, dont le rôle majeur était de séparer la mère et l’enfant. La meilleure façon pour le père de s’opposer au désir de l’enfant pour sa mère étant de faire valoir les prérogatives du sien. Le désir de l’enfant restait ainsi en souffrance, interdit. C’est à l’issue d ’une période dite de « latence » et à la faveur des poussées hormonales de l’adolescence que le désir pouvait refaire surface. Il incitait le sujet à s’affranchir de l’interdit paternel, à renoncer à son objet incestueux en se reportant vers un objet de désir choisi hors du cercle familial.

      Cette configuration liée à cette chronologie montre que l’avénement du désir du sujet, qui permet son affranchissement, est lié structurellement à l’énoncé de l’Interdit[6].

 

L’identification par appartenance dans les sociétés traditionnelles

 

     Dans la plupart des sociétés traditionnelles, les interdits vont dans le sens d’une moindre pression sur les pulsions, voire de leur aménagement social et institutionnel. Le phallocentrisme s’y manifeste explicitement par la prévalence du sexe mâle. Ceci se traduit par une application inégalitaire des Interdits et contraintes qui se concrétise par l’affectation d’un statut inférieur aux femmes, généralement étendu aux minorités ethniques et religieuses[7]. La satisfaction sexuelle masculine y est privilégiée et le report du désir de la femme sur celui de la mère légitimé. Dans ce contexte, la relation fusionnelle mère-fils s’épanouit librement jusqu’à l’approche de l’adolescence. La rupture de ce lien puissant s’effectue généralement sur le mode de la circoncision. Pratiquée au moment de l’adolescence, cette ablation partielle de l’organe impliqué dans le désir exerce une menace explicite et concrète qui suscite la terreur chez les garçons, occasionnant non seulement la rupture avec la mère mais aussi avec l’Autre-sexe. C’est ce « mauvais aiguillage du désir et de la Loi »[8] qui engendre la mise à l’écart, la dévaluation et la discrimination des femmes que l’on peut constater dans la plupart des sociétés traditionnelles.

     Cette bipartition sexuelle assure une fonction identitaire qui conditionne l’équilibre psychique des individus et l’ordre social. Mais le phallocentrisme, qui affecte aux deux sexes des valeurs si tranchées, se projette en enjeux vertigineux sur les procédures identificatoires.

     L’appartenance sexuelle masculine détermine en effet cet enjeu majeur qu’est la dignité du sujet, la supériorité qui s’y attache mais aussi la position dominante dans la relation dominant / dominé que légitime l’organisation sociale.

     Ces enjeux identitaires sont d’autant plus angoissants qu’ils interviennent sur une base vacillante : le manque à « Être » constitutif du sujet. C’est ce manque structural du sujet qui place sous le signe de la précarité le symbole phallique et suscite l’angoisse de sa perte. Au point de s’opposer à l’assomption du désir. Ce qui est le cas quand pèsent des menaces concrètes telles que la circoncision sur le pénis.

C’est pour contrevenir à cette précarité de l’identité phallique que les sociétés traditionnelles éprouvent la nécessité de l’authentifier par la privation ostentatoire de l’Autre.

     Ce dispositif qui fait supporter à l’Autre la charge du manque, de l’indignité, de la culpabilité et de la honte, constitue pour ceux qu’elle épargne, un écran efficace à leur propre faille subjective, aux frustrations qu’elle engendre et favorise ainsi une certaine stabilité sociale. Mais l’assomption problématique du désir masculin, qui entrave les processus d’affranchissement individuel, la négativation de la culpabilité et du doute qui dissuadent l’autocritique et donc la pensée créative, tendent à confiner le socius dans l’immobilisme et l’anémie économique[9].

 

De la carence du désir à la crise identitaire

 

     Nous venons de voir comment se structurent et se différencient les montages de l’identité dans la société chrétienne et les sociétés traditionnelles. Nous allons maintenant aborder  la crise identitaire contemporaine. C’est-à-dire comment se sont déstabilisés les modèles identitaires, éducatifs et culturels que nous avons exposés.

     Tout d’abord, que se passe t-il quand une société comme la nôtre, congédie l’Interdit et ses applications pour leur substituer le contraire, le principe de l’Impératif de jouissance ?[10] Je pointe en ces termes les mutations sociales, économiques et culturelles que résument parfaitement deux slogans bien connus : « Il est interdit d’interdire » et « Jouissons sans entraves ».

 

Au niveau de l’élaboration subjective

Dans un contexte familial où la présence paternelle tend à s’effacer, la séparation de la mère et de l’enfant devient aléatoire. Le désir tend alors à se perpétuer sur le mode primaire et narcissique du désir « d’être », articulé au désir de la mère. Quant à l’identification sexuelle, elle devient hypothétique faute de la contribution du père et de sa loi pour assurer la représentation de la différence sexuelle et engager l’affranchissement du sujet. Ce qui vient alors à émerger à l’état brut, désarimé du désir d’objet qui le positive, c’est le manque à « être », c’est-à-dire le vide structurel intérieur qui habite l’être humain du fait qu’il parle.

Les symptômes de cette carence identitaire s’expriment de multiples façons. Sous la forme de marquages du corps qui tentent de palier à l’effacement du sujet du langage et du désir : percings, tatouages, coiffes, rasages, marques et accessoires vestimentaires ostentatoires. Où nous reconnaîtrons le retour spontané et privatisé de rituels identificatoires, comparables à ceux qui sont institués dans les sociétés primitives et tribales.

Cette faillite subjective et cette carence du désir se projettent dans le champ de la consommation sur le mode de l’achat compulsif, de l’anorexie et de la boulimie.

Tandis que dans l’espace médiatique, qui a pris en otage les procédures sociales de reconnaissance en les cantonnant dans les limites de la notoriété, elle prend le caractère pathétique de la fascination pour le vedettariat et la quête effrénée de célébrité.

Sur le plan sociétal, la quête identitaire se poursuit sur le mode de la revendication d’appartenance (sexuelle, ethnique, religieuse), connotée, comme nous l’avons vu, des rivalités et frustrations qu’engendre toujours la recherche aléatoire de « l’être ».

Cette quête identitaire comporte aussi un revers : le dégoût et le déni de soi. Position que l’on peut constater, sur le plan individuel, par l’expansion du suicide (notamment chez les jeunes, les chômeurs, les victimes du stress en entreprise).

 

Le relativisme culturel

 

Le dégoût et le déni de soi se manifeste aussi au plus haut niveau politique. Il prend les dehors d’un « relativisme culturel » qui se donne les gants d’un humanisme universel où les cultures et civilisations seraient différentes mais en leur fond et valeurs équivalentes.

Cette considération relève d’un aveuglement (inconscient ou volontaire) mais aussi d’un ethnocentrisme occidental. Car les valeurs supposées à ce « multiculturalisme universel » sont celles des Droits de l’Homme. Que cela plaise ou non ces valeurs humanistes sont issues des valeurs égalitaires énoncées dans les Evangiles. Ce sont elles qui ont permis, sur le temps long, de battre en brèche les principes inégalitaires, sexistes et tribaux (qui régnaient dans le champ occidental comme partout ailleurs) et qui régissent encore aujourd’hui la plupart des sociétés traditionnelles.

     C’est en quoi le concept de l’Homme Universel ne concerne que l’Homme au singulier. L’individu. Il ne peut s’étendre aux différentes sociétés humaines qui sont loin d’être universelles en leur valeurs, modes de vies et conceptions de l’Homme (notamment celle de la Femme, qui constitue quand même la moitié de l’humanité).

   Libre à chacun, à tout Homme de la planète, d’adhérer aux valeurs humanistes, de se les approprier. Et même de les faire revivre quand elles sont aujourd’hui trahies par leurs plus indignes héritiers.

 

     L’usage pervers du terme « racisme »

     Les promoteurs du relativisme culturel sont de ces héritiers indignes. Ils exercent leurs basses-besognes sous couvert de la « belle-âme », étayée de la menace. Celle-ci consiste à faire appel en permanence à cet argument qu’est le « racisme » pour culpabiliser, discréditer et paralyser leurs contradicteurs.

     Pour en finir avec cet argument fallacieux, il faut savoir que le racisme - qui est la haine et la discrimination de l’Autre en tant que tel - a pour prototype le mépris, la haine et la discrimination de cet Autre générique qu’est l’Autre-sexe. Or, c’est précisément ce racisme originel – l’infériorisation et la discrimination des femmes – qui structure les mœurs des sociétés traditionnelles. Et c’est précisément sur ce point que portent la plupart des critiques qu’elles suscitent.. Le relativisme culturel, qui qualifie ces critiques de « racistes », considère donc qu’il est raciste de s’opposer au racisme. Cette inanité ne fait que s’ajouter aux multiples symptômes d’aliénation de la pensée occidentale contemporaine.

     Il est impératif d’étudier cet effacement du sens parce qu’il est le vecteur d’autodestruction de notre culture mais aussi la cause de notre impuissance à y résister.

 

     La substitution du chiffre à la lettre et l’effacement du Sens

      Le relativisme culturel est issu de la désacralisation de l’Homme qui est intervenue au cours des quarante dernières années, quand s’est imposée la société de consommation. Celle-ci a substitué à l’Interdit fondateur « judéo-chrétien » le mot d’ordre opposé : l’Impératif de jouissance qui propulse aujourd’hui la marchandisation du monde et l’industrialisation mondiale de la finance.

Cette désacralisation de l’Homme est liée à celle de la Parole. Les sciences ne sont pas pour rien dans cette dévaluation du verbe. Les performances des sciences exactes et de la technique leur ont conféré une telle crédibilité que la croyance y a trouvé refuge, leur conférant un immense pouvoir qui a porté sur les fondements même de la pensée.Ayant l’efficience pour visée et le chiffre comme outil de mesure, les sciences ont en effet attribué au chiffre le pouvoir de dire la Vérité qui était autrefois fonction de la lettre et des Lettrés. C’est ainsi que le quantum s’est substitué au qualitatum. Quant aux valeurs éthiques qui structuraient la pensée et permettaient d’annexer la technique et l’économie aux décisions politiques, elles ont fait place à la valeur comptable qui impose désormais la prévalence des critères économiques. La logique d’inversion qui sous-tend cette désintégration des structures du langage a pour conséquence de rendre inefficients la plupart des concepts fondateurs de la pensée occidentale, notamment le concept philosophique de « valeur ».

Il n’est donc pas superflu de le redéfinir : les valeurs c’est ce par quoi s’expriment les conceptions du Bien et du Mal qui constituent les fondements de « la » morale[11], c’est-à-dire la boussole et les garde-fous des sociétés humaines.

Ces critères d’évaluation du Bien et du Mal et donc de « la morale » participent de l’élaboration, du respect et de la transmission de normes qui ont pour mission d’assigner un cadre – des limites – au champ d’action des différentes composantes humaines de la société. Mais ces critères s’avèrent fort différents d’une civilisation à l’autre.

      Du point de vue de la société occidentale, celui des Lumières et des Droits de

l’Homme, l’évaluation du Bien et du mal s’élabore à l’aune du critère d’humanité. Le Droit occidental se spécifiant d’opposer des limites à la voracité des plus forts pour garantir le droit des plus faibles.

     C’est là prendre le contrepied de la tendance archaïque, qui a cours dans la plupart des sociétés traditionnelles où le Droit a pour fonction de légitimer et maintenir l’arbitraire des inégalités sociales.

     En optant, au nom de l’efficacité scientifique et marchande, pour des « valeurs » comptables, la société occidentale s’est détournée du langage et du Sens qui donnaient accès à sa conception du Bien et du Mal.

Ce faisant, elle a répudié l’humanisme qui est issu du meilleur de ce que le christianisme avait engendré : ces valeurs de justice, d’égalité et de solidarité, qui donnent sens au concept d’intérêt général .

 

 Le fantasme identitaire des « élites » mondialisées

 La valeur comptable à laquelle est aliénée la société occidentale réfère à un réel dépourvu de sens autre que la jouissance des objets, auquel l’Homme de la masse en tant qu’agent économique et matière première[12] est peu à peu assimilé. Dépouillé de sa dignité de Sujet unique et irremplaçable, de la sacralité que lui avait conféré le christianisme, l’Homme n’est plus protégé contre les pulsions destructrices qui l’animent.

      Cette dévaluation de l’Homme est accélérée par la mondialisation médiatique et économique. Celle-ci consiste à faire gouverner des masses toujours plus vastes et anonymes par un nombre toujours plus restreint d’individus hypermédiatisés.

     Il en résulte une division de la collectivité humaine en deux catégories :

- une masse d’êtres humains anonymés, tels un bétail, auxquels est affecté implicitement un statut de « sous-hommes ».

Et une petite élite mondiale de sujets hyper-identifiés, gratifiés d’exorbitants privilèges économiques et symboliques leur conférant un statut d’exception qui confine à celui de « surhommes ».

Cette bipartition humaine signe la fin de l’Homme Universel et le retour des féodalités.

 

     Le sacrifice culturel : par pertes et profits

     Cet élitisme à dimension planétaire est le vecteur politique et médiatique du relativisme culturel. Il consiste à accorder reconnaissance aux exigences de l’Autre, liées à sa « différence », sans condition ni contrepartie. Mais qu’on ne s’illusionne pas sur cette apparente générosité. Si les « élites » ne demandent rien en échange de la légitimité qu’elles accordent aux revendications identitaires, c’est d’une part parce que ça ne leur coûte rien et aussi parce ce qu’elles ne leur confèrent aucun sens. Tout comme elles ne confèrent aucun sens à leur propre héritage culturel. Parce qu’elles ont cessé d’y associer leur identité qu’elles projettent désormais dans un miroir à la dimension du monde... qu’elles entendent diriger !

     Le relativisme culturel, pour ancré qu’il soit dans les fantasmes identitaires des « élites », ne l’est pas moins dans celui du profit. C’est en ce point qu’il s’articule au totalitarisme économique.

      Les revendications identitaires des sociétés traditionnelles, qui ont pour objet de faire appliquer leurs principes inégalitaires et légitimer des relations de domination indexées à la différence sexuelle, se substituent en effet avantageusement aux revendications économiques auxquelles les peuples occidentaux ont associé leur dignité. Mais ce que les accommodements consentis par les « élites » impliquent, c’est de subvertir les fondements égalitaires de la Loi occidentale.

     L’Histoire et la géopolitique la plus contemporaine nous enseignent que de telles concessions du Droit impliquent tôt ou tard d’autres exigences, notamment territoriales. Mais ceci ne décourage pas les « élites » qui commencent à y faire droit sans état d’âme. Parce que ces territoires ne représentent plus rien pour elles. Leur désir étant de donner réalité à un monde sans frontières, pour avoir accès aux seuls territoires qui leur importent : ceux qui détiennent les ressources énergétiques.

     La satisfaction des revendications identitaires des sociétés traditionnelles en territoire occidental a pour contrepartie le sacrifice des populations d’accueil. A commencer par leur héritage culturel où s’enracine leur identité et leur mode de vie. Un mode de vie auquel ils sont d’autant plus attachés qu’il s’est construit au prix de luttes et sacrifices qui ont permis, sur le temps long, d’élaborer une société où s’équilibrent la liberté individuelle et l’intérêt général. C’est-à-dire la moins pire, sinon la meilleure des sociétés possibles.

 

     Le Nouvel-Homme du Nouvel Ordre Mondial

     On nous parle de l’avènement d’un « Nouvel Ordre mondial », d’une « gouvernance mondiale »... Cette visée suppose logiquement l’avènement d’une nouvelle humanité mondialisée. C’est-à-dire, in fine, son unification.

     L’éloge de la « diversité » et le relativisme culturel recouvrent en effet un idéal paradoxal d’uniformisation humaine et culturelle. Celui-ci présente tous les caractères fantasmatiques de « l’Homme Nouveau ». Cet idéal s’exprime dans les mêmes termes racialistes que la sinistre version précédente, mais sous une forme inversée. Il s’agit cette fois-ci de promouvoir l’émergence d’un Homme planétairement unifié, mais sur le mode de « l’hétérogénéité métisse » et de « hybridité culturelle »[13]. Cette élection n’en souligne pas moins l’existence de « races pures », mais cette fois pour les condamner à disparaître, pour le bien de tous. Sous cette vision messianique d’un futur où l’humanité serait enfin réconciliée avec elle-même grâce à l’effacement des différences, se profile à nouveau le redoutable rejet de l’altérité. Cette conception idéologique du métissage présente un point commun avec cet autre versant de la crise identitaire qu’est l’homosexualisme[14] : ils sont sous-tendus par le même fantasme phobique et totalitaire d’Unicité. La raison en est que la problématique inhérente à l’altérité a pour prototype celle de la différence sexuelle[15]. Dans les deux cas, l’idéologie a pour objet d’abolir le Réel de la différence et de lui substituer le fantasme d’un fusionnement où l’UN résorberait l’Autre.

     Loin d’instaurer la pacification des conflits identitaires, il est notoire que toute tentative d’effacement des différences contribue au contraire à leur exacerbation[16]En suscitant l’essor réactionnel du phallocentrisme qui les sous-tend. Les angoisses, rivalités et frustrations liées à la précarité de l’identité phallique génèrent alors une multiplicité de processus de ségrégation et revendications. Ceux-ci créent les conditions de guerres civiles qui ressemblent en tous points aux guerres tribales où la pulsion de mort, la phobie et la haine sont indexées à celles de l’Autre, déterminé comme toujours à l’aune de signes ayant valeur de castration.

 

     Les ressorts archaïques du victimisme identitaire

     La problématique phallique sous-jacente à la construction identitaire que nous venons d’examiner permet de comprendre le sens et les enjeux mais aussi le caractère formel des revendications identitaires contemporaines.

     Nous pouvons remarquer qu’elles en présentent toutes les caractéristiques et paradoxes : un style impérieux et violent, une formulation victimaire exprimant un sentiment de privation et d’humiliation – c’est-à-dire d’outrage à la « dignité » phallique.

     C’est en quoi les revendications identitaires ne peuvent être confondues avec celles de la « lutte des classes ». Car les revendications économiques sont mobilisées par des valeurs égalitaires et motivées par le manque à « avoir » qui peut être solutionné par des gratifications matérielles négociables. Tandis que les revendications identitaires, qui sont mobilisées par le manque à «Être», ne peuvent trouver réponse satisfaisante à leur quête de « dignité » qu’en instaurant en leur faveur des rapports de domination.

      Car il en est de la « dignité » de l’Être comme du symbole phallique : rien ne permet mieux de l’attester que de s’en assurer le privilège par la privation de l’Autre.

 

(à suivre)

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