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24/05/2024

L'aller-retour incohérent de M. Macron à Nouméa

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L'imbroglio néocalédonien donne la mesure des incohérences actuelles. Principes contradictoires, classe politique parisienne à la dérive, dégâts socio-économiques gigantesques :


Le désastre néocalédonien est un exemple de l'incohérence propre à notre post-démocratie. Violences, incendies, haine entre communautés, disparition de l'idée même de bien commun : on subit cela en métropole aussi, et on en connaît les causes ; mais à Nouméa s'y ajoutent le heurt de deux grands principes invoqués ensemble à Paris sans se soucier de savoir s'ils sont compatibles entre eux – et avec la Constitution.

Revoyons les faits. En 1988, après la première insurrection et la prise d'otages d'Ouvéa, les accords de Matignon-Oudinot prévoient un "statut transitoire" de dix ans et un référendum (mais seulement local) d'autodétermination. Un second accord, en 1998, précise encore l'intention de Paris : une future "citoyenneté néocalédonienne" est annoncée d'avance, et si le référendum prévu repousse l'indépendance, deux autres référendums seront organisés ensuite jusqu'à obtenir le oui sur lequel misent visiblement la classe politique parisienne et le FLNKS. Or le non l'emporte aux trois scrutins : 2018, 2020, 2021. Paris avait pourtant "gelé" la composition du corps électoral, privant ainsi de droit de vote un nombre croissant de citoyens nés dans l'archipel après 1998 ; cette précaution n'a pas suffi à donner une majorité au FLNKS. Se sachant minoritaire même dans ces conditions, le mouvement indépendantiste avait enjoint aux Canaques de boycotter le référendum "final" (2021) afin d'en disqualifier le résultat. Il en était résulté – par défaut – un vote massif pour le rejet de l'indépendance : un considérable 96 % dont Paris ne savait que faire, le maintien dans la République française n'étant pas la réponse attendue.

Deux logiques incompatibles sont ainsi juxtaposées par Paris : a) la logique républicaine classique, celle du suffrage ; b) l'ethnicisme "décolonial", désormais en vigueur, selon lequel les seuls Néo-Calédoniens légitimes sont les Canaques de souche. La logique b revient à nier le principe officiel du "droit du sol" et à suivre dans l'archipel le "droit du sang". Ce dernier est aboli en France depuis quarante ans : mais qu'importe, puisque la Nouvelle-Calédonie doit cesser d'être française ? Qu'importe également la légitimité d'un référendum simplement local bien qu'il s'agisse du sort d'une terre considérée depuis 1853 comme française ? En 1962 tous les Français avaient été appelés à voter sur l'Algérie, considérée comme "française depuis 1830" : notre façon de voir a donc changé radicalement entre les années de la décolonisation et aujourd'hui... Mais sur ces contradictions du bricolage juridique actuel en Nouvelle-Calédonie, le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel restent d'une singulière discrétion.

Inutile et bref, le voyage de M. Macron à Nouméa, le 23 mai, fournit un exemple caricatural de ces contradictions. Le président annonce d'abord que les résultats des trois référendums ne sauraient être mis en cause. Une heure après, il annonce l'inverse : il y aura sans doute un quatrième référendum, effaçant les précédents et entérinant un éventuel nouvel accord entre loyalistes et indépendantistes ! Après quoi M. Macron rentre à Paris, laissant Nouméa toujours en proie aux violences de la branche extrémiste du FLNKS – laquelle n'obéit plus aux notables canaques modérés, dépassés par la situation.

C'est le résultat du conflit des deux principes professés "en même temps" par Paris : la logique républicaine du suffrage, qui ne parvient pas à imposer l'indépendance, et la logique ethniciste, qui rejette la logique républicaine. Comment sortir de ce coup fourré ? Une clause annexe de l'accord de 1998 prévoyait, en cas de triple non,  la renégociation d'un nouveau statut : il faudrait trouver avec toutes les catégories d'habitants (canaques, wallisiens, caldoches) un modus vivendi tenant compte des nombreux changements socio-économiques et démographiques de la Nouvelle-Calédonie depuis 1998. Mais pareille négociation est-elle encore possible maintenant que les durs du FLNKS reviennent à la violence, aidés par des puissances étrangères ? (Ouvertement par le riche Azerbaïdjan, depuis l'accord signé à Bakou fin 2023 entre les Canaques "durs" et le régime d'Ilham Aliev francophobe à cause de l'Arménie.. Plus discrètement par Washington, Wellington et Canberra).

La renégociation appelée par M. Macron est d'autant plus difficile qu'il l'a lui-même compromise d'avance. Annoncer inopportunément son intention de "dégeler" le corps électoral néo-calédonien en y incorporant les citoyens majeurs nés dans l'archipel depuis 1998, c'était fournir aux durs du FLNKS le casus belli qu'ils souhaitaient désormais. D'où les violences et les destructions : ce n'est pas un accident, c'est une nouvelle stratégie. À l'ère du racialisme woke, l'indépendantisme a échappé à ses notables et revient aux mains des extrémistes ; ils sont dans le ton de l'époque. M. Macron, quant à lui, plane loin des réalités.

 

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Commentaires

MACRON ET LE PACIFIQUE

> Ne pensez-vous pas, mais je me trompe peut-être, que la volonté macronienne d'arrimer notre pays au concept quelque peu fumeux d'Indo-Pacifique rendait impossible toute évolution de la Nouvelle-Calédonie vers l'indépendance ? D'où la précipitation avec laquelle Macron organisa le 3e referendum, afin de s'assurer qu'il fût favorable au maintien dans la République ? Même Édouard Philippe, connaisseur du dossier, a récemment reconnu que l'indépendance n'était plus une option possible, ayant été rejetée par trois fois : aux Néo-Calédoniens de s'entendre quant à un statut à venir, mais dans la République.

PP à PV – Au sujet du Pacifique Macron rêve en effet d'avoir la même politique australe que les USA (sans se demander si c'est conforme aux moyens et aux intérêts de la France).
Mais "en même temps", il ne pourra pas échapper à la pression du consensus parisien qui est de laisser la Nouvelle-Calédonie (encore pluri-ethnique pour l'instant) à la minorité canaque... Ce qui livrera l'archipel à des puissances internationales, et privera la France d'une base importante dans le Pacifique alors que les océans deviennent les enjeux du siècle ! Notre République postpolitique a perdu le contact avec le monde réel.]

Réponse au commentaire
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 25/05/2024

MENSONGES ET FAUSSES VÉRITÉS

> Merci pour cette analyse. J'ai l'impression de mieux comprendre le problème. Il faudrait négocier mais c'est ce dont Macron est incapable. Il faut dire que notre époque d'individualisme n'est pas favorable au dialogue puisque chacun est appelé à rester sur "sa vérité". Ces vérités innombrables cachent mal des mensonges favorables aux intérêts ou aux illusions de différents groupes ou communautés. La complexité de la réalité et sa mise en perspective, présentées pas la science historique, sont rejetées au profit de jugements péremptoires en "bien" ou "mal". On se permet toutes les exagérations monstrueuses, comme de parler de "zoo humains", et en même temps on s'obstine à disculper les disciples des philosophes des Lumières. Pour Apathie, seul le nationalisme est responsable des méfaits du colonialisme et pas du tout le capitalisme ni la mondialisation économique. Chacun prend plaisir à déformer la réalité pour avoir raison.
D'un autre côté l'autoflagellation de la France atteint un tel niveau, jusqu'à notre président, que personne ne peut plus être fier d'être français. On peut comprendre les Canaques qui auraient moins honte d'être dominés par la Chine ou par les USA.

Écrit par : Albert / | 28/05/2024

à Patrice :

> Dans l'état dans lequel se trouvent les armées françaises, envisager pour la France une prétention géopolitique mondiale ferait sourire à Moscou, à Pékin comme à Washington. M. Macron qui affirmait il y a peu envisager une action contre la Russie est rattrapé au plan intérieur par une Nouvelle-Calédonie transformée de son fait en poudrière.
Cela étant, le Caillou est-il condamné à devenir la Kanaky ? Je conserve une once d'espoir : voir une terre française passer sous giron chinois serait une tragédie nationale. Regardons Djibouti, dernier TOM à avoir accédé à l'indépendance, qui abrite outre la base française une base chinoise et une autre japonaise. Les élites parisiennes souhaitent-elles l'équivalent à Nouméa ? Ne bradons pas les bijoux de famille !

PV


[ PP à PV – Les "élites françaises" ne seront pas affligées quand Nouméa deviendra chef-lieu d'une Kanaky sous protectorat chinois.
Ce que veulent les "élites françaises", c'est qu'il n'y ait plus aucune terre française hors de l'Hexagone, lui-même voué à se résorber dans une UE fédéralisée. Alors les élites diront que "ce pays sort enfin de la ringardise". ]

réponse au commentaire

Écrit par : Philippe de Visieux / | 28/05/2024

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