Macron parle d'envoyer des "troupes au sol" en Ukraine : que cache ce dérapage trop spectaculaire ?

Encore une volte-face du président français, mais celle-là est redoutable. D'autant plus qu'elle semble liée à un pari électoral :

Irritation des gouvernements européens (et surtout du chancelier Scholz) après le propos quasi-belliciste du président français. Avant-hier, à l’issue de la réunion à Paris de 21 chefs d'Etat et de gouvernement sur la sécurité européenne, Emmanuel Macron avait déclaré à la presse : "Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre..."  Cette affirmation – d'une gravité inouïe – faisait de la France un cobelligérant virtuel, et appelle quatre réflexions :

► Cette nouvelle posture de M. Macron contredit son réalisme de 2022 et d'une partie de 2023. Le président donne une nouvelle preuve de sa versatilité qui choque ses partenaires européens, inquiète l'opinion française et confirme l’inaptitude des gens de finance aux responsabilités politiques.

► Envisager une guerre entre la France et la Russie semble bien désinvolte, compte tenu de l'écrasante disproportion des forces conventionnelles et nucléaires (pour ne rien dire des autres Etats d'Europe, encore moins armés que nous).

► Un plan russe d’invasion de l’Europe est-il réellement en action ? Les “preuves” avancées par les macronistes – comme Nathalie Loiseau hier matin – sont dérisoires : un ancien prêt d'une banque russe au RN, des fake news de (mauvais) sites de propagande russe, des attaques d'institutions par rançongiciels, d'introuvables "intrusions politiques russes" dans nos élections… Inventaire à la Prévert. Des griefs comparables pourraient d'ailleurs être avancés contre les Etats-Unis : cf. les écoutes de la CIA contre la chancelière allemande,  etc.

► Alors pourquoi M. Macron a-t-il parlé d’entrer en guerre ? Et cela, devant la presse ? Sortant d’une réunion avec ses homologues des Vingt-Sept, il savait d’avance que le reste de l’Europe le désavouerait. Mais son but semble avoir été la politique française plus que la sécurité de l’UE. Il s’agit des élections européennes de juin. Elles sont un enjeu de politique française aux yeux de M. Macron (comme de ses opposants). Et elles s'annoncent mauvaises pour le camp macroniste. Le président de la République entreprend donc de dynamiter la campagne électorale : en évoquant une entrée de la France dans la guerre, il force les autres partis à prendre position, et déclare "agents russes" ceux qui s’opposent à lui. M. Macron compte-t-il là-dessus pour renflouer la liste électorale de Valérie Hayer ? Calcul hasardeux ! L’opinion ne marche pas. Déjà M. Macron et les siens vont trop loin : en disant voir des "manipulations russes" dans la révolte des paysans contre le libre-échange, ils exaspèrent les campagnes. Et ils nous ramènent 56 ans en arrière : en mai 1968, quand le ministre Raymond Marcellin voulait voir le KGB derrière l'occupation de la Sorbonne...