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31/08/2021

Afghanistan : ce qu'il ne fallait pas faire

afghanistan

...mais que les Américains ont fait, comme chaque fois : 


 

Sans doute fatigués d’être experts en maladies infectieuses, les accros des réseaux sociaux jouent maintenant aux experts de l’Afghanistan... pour dire à peu près tous la même chose. Mais il y a deux points essentiels dont on ne parle guère :

l’échec américain en Afghanistan, au bout de vingt ans de guerre, a la même cause que tous les échecs américains depuis 1953 (Vietnam, Irak etc) : les Américains ne comprennent pas le monde extérieur mais veulent l’américaniser. Ce n’est pas moi qui le dis mais le général américain McChrystal, qui fut le chef des forces de l’OTAN en Afghanistan. Je le cite :Nous ne connaissions pas l’Afghanistan… La plupart d’entre nous, moi compris, avions à un degré effrayant une vision simpliste de ce pays et de son histoire.” D’où l’erreur tragique, répétée chaque fois depuis soixante ans : s’imaginer qu’on peut “construire une démocratie” dans un pays étranger, qui plus est en l’envahissant et en l’occupant. On voit le résultat une fois de plus…

Autre erreur, dont nos commentateurs télé ne parlent pas du tout : croire que si le jihadisme existe quelque part, c’est qu’il aurait été apporté là par des terroristes internationaux – et qu’il suffit d’éliminer ces terroristes internationaux pour supprimer le jihadisme… C’est une illusion. On ne supprime pas le terrorisme à coups de drones (surtout quand ils se trompent de cible comme le 28 août en Afghanistan). Et si une population soutient des terroristes, c’est toujours pour des raisons locales : raisons qu’il faudrait discerner si l’on voulait avoir la moindre chance d’améliorer la situation. Au lieu de comprendre ce qu’est la société afghane, ou la société irakienne, ou la société vietnamienne, etc, Washington – suivi de ses supplétifs – projette sur ces sociétés une idéologie “effrayante de simplisme” comme dit le général McChrystal. Plutôt que de trouver des réponses locales à des problèmes locaux, on essaie d’américaniser des pays étrangers : quitte à les confier à des gouvernements fantoches et corrompus, faussement élus, qui s’enfuient dès que l’ambassadeur US fait ses bagages.

 

 

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19:57 Publié dans Asie, USA | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : afghanistan

Commentaires

TÉMOIGNAGE

> La volonté américaine d'exporter son modèle à la Terre entière m'avait frappé durant mes études outre-Atlantique, il y a quinze ans. À l'époque préparant une thèse sur la Chine, j'avais été amené à assister là-bas à de nombreux symposia ou conférences consacrés à ce pays. Toute l'intelligentsia américaine n'avait qu'un mot à la bouche : démocratiser la Chine, y exporter les droits de l'homme, l'état de droit, aider à la fondation d'une autorité judiciaire compétente et indépendante, imposer la reconnaissance de la propriété industrielle, organiser partout des élections libres, encourager le multipartisme, etc. Hu Jintao venait d'arriver au pouvoir et l'on gageait, dans les meilleures universités américaines, que l'ouverture politique suivrait nécessairement et rapidement l'ouverture économique débutée trente ans plus tôt. Que la Chine n'ait jamais été ni libérale ni démocratique au long de ses cinq mille ans d'histoire ne dérangeait guère les experts US.
Des sommes considérables furent engagées par le gouvernement fédéral, via le programme Fulbright, pour attirer les meilleurs étudiants chinois, sans évoquer l'action que la CIA pouvait mener sur place. L'Amérique voulait que la Chine suive l'exemple de Formose, démocratie depuis trente ans. Peu lui importait que le modèle démocratique s'adapte très mal à la culture chinoise, comme on le voit au parlement de Taïwan qui ressemble trop souvent à une foire d'empoigne, l'universalisme supposé des Lumières eût été sauf.
Depuis une dizaine d'années, le fantasme d'une ouverture politique en Chine se heurte aux froides réalités de la gouvernance Xi Jinping ; non que je soutienne en aucune manière cette dernière, mais je reconnais à la Chine le droit de ne pas voir en la "démocratie libérale" à l'américaine le seul modèle vers lequel tous les autres devraient nécessairement converger. La meilleure preuve en est donnée par Singapour, minuscule cité-État à la population extrêmement bien formée, qui a choisi de n'être ni démocratique ni libérale : ses citoyens (majoritairement chinois) accordent en effet bien davantage d'importance au fait de gagner de l'argent, peu leur importe que les châtiments corporels y soient encore couramment appliqués.
Au Proche-Orient, la même approche américaine aboutit aux mêmes effets. Les Afghans ne souhaitent pas devenir Américains, pas plus que les Irakiens. L'arrivée d'internet a permis de sortir d'une niaiserie consistant à voir dans le supposé phare du "monde libre" un eldorado : le "rêve américain" ne tient plus longtemps lorsque l'on voit à quoi est prêt un pays pour mettre la main sur un fleuron français, Alstom, emprisonnant l'un de ses cadres - Frédéric Pierucci - pendant deux ans dans le seul but de servir de monnaie d'échange. La "démocratie libérale", en réalité ploutocratie, sait se montrer d'un cynisme et d'une brutalité sans nom : que les populations du Proche-Orient ne soient pas devenues américanolâtres est assez compréhensible.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 01/09/2021

LE PEUPLE U.S. PEUT-IL OUVRIR LES YEUX ?

> Il serait grand temps pour le peuple américain de ruer à nouveau dans les brancards! Discerner et prendre à bras le corps les problèmes fondamentaux du système dominateur est essentiel pour un solide combat politique et ne plus se laisser berner par les créatures de Wall Street, fussent-elles noires, femmes, LGBT ou se réclamant de Jésus. Mais l'idéologie du super-héros et la ruse des dominants qui détournent les consciences dans de chimériques impasses en épuisant l'énergie des personnes dans des luttes factices, sont très puissantes. Oui, la pression systémique intense, fondamentalistes de tout poil et Proud Boys aidant, est effectivement difficile à miner. Cependant, des signes d'espoir se font jour et l'Espérance demeure.
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Écrit par : Francesco / | 01/09/2021

CYNISME

> Excellente constatation de Philippe de Visieux:
"La "démocratie libérale", en réalité ploutocratie, sait se montrer d'un cynisme et d'une brutalité sans nom : que les populations du Proche-Orient ne soient pas devenues américanolâtres est assez compréhensible."
Oui, absolument; nous sommes en présence d'un capitalisme de gangsters, rien de plus.
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Écrit par : Francesco / | 02/09/2021

L'HÉRITAGE U.S.

> Concernant les USA, je pense qu'il faudrait revenir aux sources de cette grande nation, avant d'établir un bilan catastrophique comme on aurait tendance à le faire si volontiers en ce moment, après la débandade afghane. C'est un pays qui a été bâti par des populations arrivant de toutes parts, des "colons", comme il y en a encore aujourd'hui en Israël. C'est cet héritage évident et cohérent que l'Amérique fait fructifier depuis, malgré les accidents. De toutes les révolutions, la révolution américaine est celle qui a inscrit dans la réalité quotidienne la plus grande force progressiste, et donc sans doute démocratique. Même comparé à la Chine, ou encore à la France dont Tocqueville disait que l'Ancien Régime continuait en sous-main après 1789, sans parler de la Russie... Sur les origines de la nation américaine, je vous conseille le livre d'Elise Marienstras, "Nous, le peuple", éditions Gallimard 1988, livre salué par François Furet... Eh oui ! Cet ouvrage savant répond à beaucoup de questions actuelles.

Bégand


[ PP à Bégand – Cet ouvrage passe-t-il sous silence le génocide des populations autochtones, notamment par l'extermination des bisons dont elles se nourrissaient ? Et par la livraison, dans les réserves indiennes, de couvertures infectées par le bacille de Koch ?
Par ailleurs, on voit mal en quoi "l'héritage américain" chanté par Marienstras pourrait faire oublier les guerres d'invasion catastrophiques imposées à divers pays par les Etats-Unis depuis 1953... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Bégand / | 02/09/2021

à Bégand :

> Au cours d'une conversation avec un paroissien à Boston, je réalisai combien Européens et Américains divergeaient dans leur conception du monde. En effet, des premiers colons jusqu'aux citoyens de 2021, la population américaine a toujours eu à sa disposition une étendue géographique quasiment sans limites, d'où un esprit de conquête, de ressources à profusion, de puissance jusqu'à l'hubris. Cette soif de gigantisme caractérise la pensée américaine ; combinée à l'universalisme hérité des Lumières, elle enfanta 'Globocop', l'Amérique gendarme du monde, justicière et manichéenne, censée apporter le Bien en terrassant ce qu'elle considère être le Mal partout sur la Terre. Elle enfanta également Elon Musk et sa volonté de coloniser l'espace, un capitalisme débridé, une consommation d'énergie sans équivalent, des avions circulant dans tous les sens, le fantasme transhumaniste d'une vie perpétuelle, le 'toujours plus' qu'incarnent Jeff Bezos et sa société, etc.
Quant à la démocratie en Amérique, elle est me semble-t-il à relativiser. Les États-Unis sont en effet un pays de Common Law, où "Law" ne désigne pas seulement les lois approuvées par le Congrès mais aussi et surtout toute la jurisprudence produite par les juridictions, à commencer par la Cour suprême fédérale : rappelons que la dépénalisation de l'avortement fut le fait non du législateur mais de neuf juges sans aucune légitimité démocratique. Imagine-t-on en France la loi Veil remplacée par un arrêt du Conseil d'État ? En aucun cas, bien entendu. Chez nous, les juges appliquent ; en Amérique, ils interprètent, parfois largement. Un professeur de Harvard m'avait expliqué que la mentalité américaine est résumée au fronton de la bibliothèque juridique de cette même université : "Non sub homine, sed sub Deo et lege" : non sous l'empire d'une loi humaine - par définition inconstante -, mais sous l'autorité de Dieu et d'une Common Law quasi déifiée, produite pour l'essentiel par le pouvoir judiciaire. Voilà, pour l'essentiel, ce qu'est l'Amérique : la religion et un gouvernement des juges. Ne pas s'étonner si M. Biden, il y a cinq jours, évoqua le retrait d'Afghanistan en citant le livre d'Isaïe (« Me voici : envoie-moi ! »), comme si l'Amérique avait fait là-bas la volonté de Dieu. Peut-être devrait-il relire le Livre des Rois, où Elie perçoit la présence du Seigneur dans le "souffle d'une brise légère". Dieu s'exprime en effet rarement dans le gigantisme et le désir insatiable de puissance qu'incarne trop souvent son pays.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 03/09/2021

Réponse à PdP :

> cher PdP, l'ouvrage de Marienstras se veut scientifique, "à la croisée des mentalités et de l'histoire politique". Elle ne "chante" pas l'héritage américain, elle l'analyse avec rigueur, sans oublier les populations autochnones (cf. chapitre 1, "L'Autre dans l'espace symbolique des colons"). D'ailleurs, cette historienne avait publié en 1976 chez Maspero un précédent ouvrage, ce qui peut vouloir dire qu'elle était à gauche. Elle avait donc des qualités de discernement, et savait peser le pour et le contre -- d'ailleurs elle n'est pas là pour donner des bons points, mais pour analyser objectivement l'Amérique à sa naissance. Et c'est ce qui est passionnant dans son cas. A aucun moment elle ne se fait militante. Ce qu'elle explique conduit à mieux comprendre par ailleurs le pourquoi des guerres d'invasion américaines, comme vous dites, sans les justifier pour autant. Ce livre est donc une lecture savante, qui respecte une certaine neutralité scientifique, et dont le but premier est de faire avancer la compréhension que nous avons de l'Amérique, à travers ses premières années, sa fondation -- comme il y a eu la fondation de Rome jadis. Bref, c'est du sérieux, je vous l'affirme.Il ne faut pas vouer les USA aux gémonies, un jour nous aurons peut-être besoin de cette terre de liberté pour y trouver refuge et y pratiquer notre foi catholique. Bonne journée à vous !
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Écrit par : Bégand / | 03/09/2021

> Le fait est que la France, elle, a toujours cherché à connaître les, peuples qu'elle colonisait...
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Écrit par : Feld / | 04/09/2021

@ Bégand :

> "Il ne faut pas vouer les USA aux gémonies, un jour nous aurons peut-être besoin de cette terre de liberté pour y trouver refuge et y pratiquer notre foi catholique"
Je ne sais pas si Rod Dreher serait de votre avis. La patrie du "wokisme" flamboyant, terre de liberté ? Force est de constater que le "monde libre" d'aujourd'hui est plus à l'est que celui d'autrefois...
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Écrit par : Feld / | 10/09/2021

à Bégand :

> https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/16/l-australie-rompt-le-contrat-du-siecle-avec-la-france-sur-les-sous-marins-au-profit-de-technologies-americaines-et-britanniques_6094854_3210.html

Une preuve, s'il en fallait, de la duplicité américaine et du fait que Washington ne considère pas que la France fasse partie 'du club'. Les États-Unis ont certainement exigé l'abandon du contrat français en échange de la participation australienne à l'alliance tripartite, pour une question de gros sous. L'Australie affirme préférer la technologie anglo-américaine mais... je croyais que nous faisions partie de l'OTAN et qu'à ce titre nous étions alliés des États-Unis ?
Pauvre Le Drian ! Il en avait pleuré de joie il y a cinq ans. Les larmes ont dû revenir, mais il voit clair : « Le comportement américain me préoccupe, cette décision unilatérale et brutale ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump. » Mme Parly non plus n'est pas naïve, se disant « lucide sur la façon dont les États-Unis traitent leurs alliés ».
Elle se trompe : l'Amérique n'a pas d'alliés, elle n'a que des laquais.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 16/09/2021

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