10/07/2021
Fabrice Hadjadj : la tâche des catholiques aujourd'hui
Un livre pour ouvrir les yeux à tous :
Dans les milieux catholiques français, des ligues d’influence politico-religieuse, quasi-schismatiques dans les faits, obtiennent pourtant que des sanctuaires, des abbayes ou des collèges accueillent leurs rassemblements. Et cela, bien que leurs orateurs – tribuns d’un milieu social – soient en opposition avec le pontificat et l’ensemble du magistère ; voire avec le deuxième concile du Vatican (1962-1965)… Ces ligues s’agitent pour la satisfaction des médias : ils additionnent le tapage intégriste au tapage symétrique adverse (LGBTQ version catho), et présentent le tout comme un signe de décomposition du catholicisme.
Le phénomène intégriste participe ainsi au déboussolage global. On s’étonne que seuls quelques évêques français paraissent s’en apercevoir, alors que l’urgence serait de faire la lumière : il faudrait dire fort et clair en quoi consiste la mission du catholique aujourd’hui… et en quoi elle ne saurait consister.
D’où l’opportunité du petit livre mis à jour par Fabrice Hadjadj : L’aubaine d’être né en ce temps. Il faut le lire in extenso.
Sa première partie développe et actualise une conférence donnée au 3e congrès mondial des mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles. Ce sont des vérités qu’aucun chrétien ne devrait oublier :
► “En nous tournant vers Jésus, la conversion nous tourne nécessairement vers tous les autres”.
► “Là où le propagandiste de parti s’impose par conquête, le missionnaire de Dieu s’expose par contemplation : il cherche le Sauveur déjà présent à l’extérieur, dans l’étranger, dans l’indifférent, de manière cachée, et qui demande à être discerné et ‘porté à la taille du Christ dans sa plénitude’ (Ep.4,13)”.
►“Le Dieu qui nous commande l’unité est d’abord celui qui crée la multiplicité” : “quand on a compris cela, on devine que la mission catholique […] est une lumière qui rassemble [les couleurs] pour en intensifier les contrastes”.
► “ L’effort de la propagande, c’est l’effort d’une fraternité à construire. La joie de l’Evangile, c’est la joie d’une fraternité déjà donnée, et qui est donc à dégager, à vivre, à révéler à soi-même et à ceux qui ne la reconnaissent pas encore.”
► “Il faut, non pas nous en remettre au futur ou regretter le passé, mais servir la présence de Dieu en toutes choses, dégager l’Éternel dans le temporel, vivre sur la terre la charité qui est déjà celle du ciel.”
► Face à la rupture anthropologique actuelle due au règne de l’ingénierie : “L’Eglise est d’abord là pour révéler Dieu, et voici que de plus en plus elle a pour simple tâche de préserver l’humain. Elle porte essentiellement le surnaturel, et de plus en plus elle est appelée à défendre la nature… Cette situation terrible, où plus rien ne va de soi, est proprement formidable, parce qu’alors tout ne peut plus repartir que de Dieu…”
► “La mission ne peut que revenir à l’essentiel – à sa dimension eschatologique, celle de l’espérance. Cela veut dire une primauté de l’évangélisation sur toute politisation et une préséance de la métaphysique sur la morale.”
► “Là où il n’y a plus d’espérance, il n’y a plus de morale qui tienne. Il s’agit donc, avant toute morale et même par-delà le bien et le mal dans l’action, de manifester la bonté de l’être, parce qu’il est créé, et parce qu’il est sauvé.”
► “La question écologique est devenue un lieu décisif pour l’évangélisation. Au-delà de son urgence, l’écologie suppose la contemplation d’un ordre naturel donné, et donc, ultimement, la remontée vers un Créateur de cet ordre […] L’attente de la rédemption du corps, qui se love à l’intérieur du fidèle, paraît à présent à l’extérieur sur toute la surface de la Terre...”
La technologie contre l’humain
Le chapitre sur le “culte de l’émotion”, ou “pathocentrisme”, analyse le formatage psychologique en vigueur. Fabrice Hadjadj montre comment tout est fait pour donner à chacun l’illusion d’être – individuellement – la mesure de tout, en tous domaines : “Dans le pathocentrisme, c’est par mode d’émotion subjective ; dans la technocratie, c’est par mode de manipulation objective. Le réel, c’est, là, ce que je sens, ici, ce que je construis, mais ici et là, par fusion sentimentale ou par exploitation technico-commerciale, l’être est toujours réduit à mon bien-être et à mes projets…” Résultat : notre société produit des individus capables de “sauter facilement de la maîtrise d’un algorithme à une explosion d’affectivité immature” ; ce qui explique par exemple l’aisance avec laquelle les codes du terrorisme (“version héroïco-mystique du culte de l’émotion”) ont infusé dans nos psychologies. Cette aisance est proprement occidentale : ce que bien sûr la droite réac – pourfendeuse exclusivement de “l’islamo-gauchisme” – ne veut pas voir… En soi, d’ailleurs, les intégrismes politico-religieux sont apparentés à la société qu’ils prétendent combattre : “Ce sont aussi des utilitarismes religieux, qui conçoivent le règne de Dieu sur le modèle de la domination technologique, militaire ou médiatique”.
Mêmes aperçus pénétrants de Hadjadj sur deux effets du néolibéralisme technolâtre :
> le“dématérialisme” de l’économie du virtuel, qui fait perdre “le sens de la matière” et “impose ses plans à une nature réduite à un stock de matériaux et d’énergies”… (Face à lui il faut “revenir à une théologie de la création en actes”, redécouvrir la matière non comme “agrégat d’atomes” mais comme “dynamisme tendant vers une forme”) ;
> le “dividualisme” qui pousse chacun à “se réduire lui-même à un ensemble de pièces détachées” : “individu éclaté, dispersé, divisé entre les diverses fenêtres ouvertes de son navigateur*”, familles éclatées sous leur propre toit, chacun devant son écran ! “Là encore”, souligne l’auteur, “la famille est attaquée moins par l’idéologie que par la technologie”… (Face à cela : il faut dresser le témoignage vivant de personnes et de petites communautés ouvertes, témoignant d’existences unifiées, enracinées, “capables de résister aux sirènes du marché”)...
Le livre de Fabrice Hadjadj agit à deux niveaux. Sur le plan séculier, il désigne le système techno-commercial actuel comme cause de la crise sociétale. Sur le plan spirituel, il indique la voie qui répond à cette crise ; réponse étrangère – par nature et surnature – aux agitations ligueuses mentionnées plus haut. Ces agitations participent d’ailleurs au déboussolage général : elles parlent de “défendre Dieu” qui n’en a pas besoin ; dans leur version intégriste catholique, elles transforment le christianisme en un “monothéisme monolithique” remplaçant inconsciemment la Trinité par la Loi. Ce qui revient à voir Dieu “non comme Père mais comme Repère”, et à se sécuriser soi-même en prétendant imposer à tous ce Repère absolu… Les réflexions de Hadjadj confirment ainsi ce que nous observions de notre côté : comme l’islamisme contemporain, l’intégrisme catholique contemporain n’est qu’“un phénomène postmoderne”, un produit dérivé de la dislocation sociale. Il est vraiment temps que les évêques se confrontent au problème.
Fabrice Hadjadj, L'aubaine d'être né en ce temps
(Éditions Emmanuel, 8,90 €)
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* “Dans son être même l’individu est morcelé en plusieurs éléments” : “exploité en tant que corps travaillé, revendu en pièces détachées… tandis que les magiciens de la technique lui certifient que c’est là son émancipation”. Ce qui nous rappelle la récente interview télévisée d’une ado française qui vend sur internet des photos de son anatomie membre par membre (“j’adore mon corps, je veux que ça me rapporte...”).
13:15 Publié dans AVEC LE PAPE FRANÇOIS, Eglises | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : catholiques, christianisme
Commentaires
L'UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ
> « En nous tournant vers Jésus, la conversion nous tourne nécessairement vers tous les autres. » Un jésuite proche du Renouveau, le père Guy Lepoutre a une très belle expression : l’Esprit Saint est celui qui fait l’unité dans la diversité. Dès qu’on commence à séparer les gens ça ne vient pas de Dieu. Or ce que font les membres de ces officines c’est précisément ou de vous rejeter si vous n’êtes pas comme eux, ou de vous accepter à la seule condition que vous soyez comme eux. Tout le contraire de l’unité dans la diversité.
Je pense que la classe politique porte une lourde responsabilité à l’origine de cette attitude. Il me souvient d’un beau documentaire sur Geneviève Anthonioz-De Gaulle: elle était plutôt de droite mais prête à aller frapper à la porte d’hommes politiques de gauche s’il elle pouvait obtenir quelque chose pour les pauvres. Nos contemporains dont on parle ici seraient bien incapables d’une telle attitude ( dans un sens ou dans l’autre). Geneviève Anthonioz-De Gaulle qui manifestement n’aspirait pas à vivre dans une prison fut elle politique a été un temps en procès de béatification.
Vous exclure ou vous emmener dans leur prison: c’est tout ce qu’on a à vous proposer. On critique le pape (vous savez, le réchauffement climatique…), et on en veut à quiconque émet des doutes sur tel Bellamy ou général en retraite. Si vous n’êtes pas d’accord avec eux, vous êtes un irresponsable. Dans tout cela on cherche en vain le Christ et les pauvres.
On relira avec plaisir l’homélie du cardinal Raniero Cantalamessa le Vendredi Saint de cette année dont le titre est: « la fraternité catholique est déchirée. » Ce dont on parle ici, le cardinal le définit comme « le péché dans le sens le plus strict. »
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Écrit par : ND / | 10/07/2021
ABANDONNISTES
> Dans le livre du P. Louis-Marie Chauvet "Dieu, un détour inutile?" que je commence tout juste, l'auteur, théologien ET curé de paroisse commence par une auscultation de la déchristianisation. Son constat: elle est la plus marquée chez les "Gaulois de souche" comme il dit, imprégnés qu'il sont de l'esprit des "Lumières", beaucoup moins ravageuse chez nos concitoyens d'Outre mer ou les immigrés chrétiens.
Il a été choqué et troublé lors de sa seconde affectation à Cregy-Pontoise, par l'éloignement de chrétiens vigoureusement engagés une dizaine d'années plus tôt.
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Écrit par : PF. Huet / | 12/07/2021
> C'est une réédition, en fait. Le livre ( de F.H.) a été publié en 2015.
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Écrit par : Alex / | 12/07/2021
à PF.Huet :
> Les Français "imprégnés de l'esprit des Lumières" : c'est bien vrai. Cela me rappelle l'incendie du château de Lunéville, en janvier 2003. Les murs étaient encore fumants que le bâtiment s'était vu affublé du titre de "château des Lumières" au motif que Voltaire s'y était arrêté à deux ou trois reprises. Qu'il ait été avant cela une résidence ducale ne comptait guère : en bonne logique, la chapelle du château "des Lumières" fut par la suite transformée en salle polyvalente. Écrasons l'infâme...
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 14/07/2021
ENCORE GUÉNOIS !
> https://www.lefigaro.fr/actualite-france/les-tergiversations-de-francois-dans-sa-reforme-de-l-eglise-20210628
"La méthode François déroute jusque dans son propre camp"... Non, M. Guénois, il n'y qu'un seul "camp", celui de l’Église du Christ ! De même, le pape n'a jamais "soufflé le chaud et le froid" en matière d'avortement (les avorteurs comparés à des "tueurs à gages" !) ou d'homosexualité (allant jusqu'à parler de "psychiatrie").
S'il y a quelque chose de déroutant, c'est la méthode employée depuis des années par l'auteur de l'article en question, avec l'assentiment de son journal d'attache...
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 14/07/2021
à P. e Visieux
> Déroutant et même comique : avant d'être au Figaro, Guénois avait une ligne complètement différente ! "Ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c'est le vent" (Edgar Faure).
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Écrit par : T. Reynaerts / | 14/07/2021
> Ah, toujours ceux que Mgr Gérard Daucourt, ancien évêque de Nanterre, appelait "les athées pieux".
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Écrit par : Michel de Guibert / | 14/07/2021
EN ALLEMAGNE
> https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2021-07/allemagne-eglise-europe-statistiques-foi-eveques-pratique-rel.html
A tous ceux pour qui la réforme de l’Église semble être un lointain projet, voici la froide réalité des diocèses allemands : 221 390 fidèles ont quitté l’Église l'an dernier, s'ajoutant aux 272 771 de 2019. En deux ans, l’Église qui est en Allemagne a perdu 500 000 fidèles. Un demi-million ! L'équivalent de la population lyonnaise partie en quelque 700 jours.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 16/07/2021
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