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16/12/2020

Hommage à John le Carré (2)

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Dans les années 1970, quand les guerres civiles armées par la CIA ravageaient l'Amérique latine, il disait : "Ce qu'il y a de pire après le communisme est l'anticommunisme”.  Retour sur le Carré comme grand témoin politique... Ma chronique à Radio Présence (Toulouse Midi-Pyrénées) et Radio Fidélité Mayenne :


https://www.radiopresence.com/IMG/mp3/16122020_chroeco_airtemps.mp3

<< Une fois n’est pas coutume, parlons d’un écrivain. Celui-là n’est pas banal. C’est David John Moore Cornwell, alias John le Carré, qui vient de mourir à Truro en Cornouailles après une longue carrière de romancier d’espionnage dont les best-sellers ont marqué nos imaginations : L’Espion qui venait du froid (1963, vingt millions d’exemplaires vendus), ou encore La Taupe en 1974, Les gens de Smiley en 1980, Le Tailleur de Panama en 1998… ou son testament politique de 2018 : L’Héritage des espions, aussi mal traduit en français (hélas) que puissant dans sa vision du déclin de l’Angleterre et de l’Europe actuelle.

Car le Carré est aussi un grand témoin politique, et c’est en cela aussi qu’on peut lui rendre hommage. À travers un demi-siècle d’histoire, de la guerre froide aux impasses du Moyen-Orient et au monde de l’argent qui règne finalement aujourd’hui, ses quelque trente livres racontent, en intrigues fascinantes et complexes, la montée de l’absurde dans le monde occidental. D’abord pendant la guerre froide contre l’URSS : guerre claire dans ses objectifs au début, puis se décomposant au fil des années en opérations de plus en plus confuses et de moins en moins justifiables, entraînant souvent des effets contraires au but recherché et se soldant par de terribles dégâts humains : depuis les duels incompréhensibles entre services secrets, admirablement racontées par le Carré, jusqu’aux carnages des guerres civiles et des dictatures sud-américaines armées par Washington dans les années 1970 et qui tuèrent à l’aveuglette des dizaines de milliers d’innocents, dont le saint archevêque du Salvador Oscar Romero. D’où le mot paradoxal de le Carré dans ces années-là : "Ce qu'il y a de pire après le communisme est l'anti-communisme”.

Puis, à partir des années 1990, ses romans décrivent un autre degré de l’absurde : le monde entre dans l’empire de l’argent. Les Etats et leurs services secrets continuent à exister, mais ne savent plus très bien pourquoi. Les classes politiques se confondent avec la sphère financière. Des actions militaires sont réalisées par des armées privées. Et les méthodes de l’espionnage, y compris les pires, passent aux mains des multinationales comme le montrent les films de Hollywood.

Dans son avant-dernier roman, L’Héritage des espions, le Carré fait dire à son personnage George Smiley : “En dehors d’affronter l’ennemi, si j’ai jamais été conscient d’une mission c’était envers l’Europe. Si j’ai eu un idéal hors d’atteinte, c’était de sortir l’Europe des ténèbres dans lesquelles elle se trouvait, pour l’emmener vers un nouvel âge de raison…” L’âge de raison qu’il faudrait atteindre, et la possibilité de l’atteindre, sont un autre débat. Mais c’est l’occasion de relire le Carré : il fait revivre, comme dans un rêve obsédant et crépusculaire, l’univers qui nous a engendrés.  >>

 

 

 

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08:09 Publié dans Histoire, Idées | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : le carré

Commentaires

GREENE ET LE CARRÉ

> Bel hommage à un écrivain que je n'ai jamais lu (mais il n'est pas trop tard)... J'ai le souvenir d'avoir vu au cinéma l'adaptation du "Tailleur de Panama", habile satire d'un monde d'espions prêts à créer de toutes pièces des conspirations menées par des ennemis sans doute "structurants". A rapprocher de "Notre agent à la Havane", de Graham Greene.
Ce dernier était d'ailleurs aussi réputé pour sa méfiance envers diverses entreprises ou opérations américaines menées au nom de l'opposition au communisme. Un écho des bricolages géopolitiques américains est donné dans "Un Américain bien tranquille" par Greene.
Mais pardon pour cette digression sur Graham Greene, alors qu'il était question de John le Carré !

SL

[ PP à SL – Ils se connaissaient et s'estimaient beaucoup (jusqu'à leur rupture à propos de Kim Philby). Le spirituel mis à part, leurs points de vue sur le rôle néfaste des Etats-Unis à partir des années 1950 étaient assez voisins.
Cela dit, Greene eut la chance de publier à une époque où il y avait encore des traducteurs français parlant le français : ce qui n'est plus le cas depuis dix ans... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 16/12/2020

LE CARRÉ

> J'en ai lu quelques-uns, dont "L'héritage des espions", qui m'a relativement déçu. Le Carré doit beaucoup à la guerre froide. A le lire, on éprouve toujours une sorte de nostalgie pour cette époque, vue du bloc de l'Est, là où les espions infiltrés opéraient. Une certaine complaisance aussi, même si les positions politiques de le Carré [avec un "l" minuscule] étaient claires. On raconte qu'il aurait quitté les services secrets parce qu'il se serait fait griller -- manière de dire qu'il était un mauvais espion. Il s'est bien reconverti, en tout cas, à voir son succès, ses tirages extraordinaires. Je trouve que ses intrigues laissent à désirer, en revanche il dépeint bien les atmosphères, le quotidien médiocre, les hommes sans qualités que sont les espions. Et puis, il y a Smiley. Un personnage caricatural, le Carré lui-même idéalisé par ses soins. Je voudrais lire "La taupe", par exemple, pour retrouver cette atmosphère de l'époque. Vous parliez de Graham Greene avec Sven Laval, je mets celui-ci bien au-dessus de le Carré. Enfin, sachez que ce n'est pas Graham Greene, ni a fortiori le Carré, qui a écrit le meilleur roman policier de tous les temps, c'est Conrad avec "L'agent secret" -- du moins c'est ce que Borgès prétendait. J'ai un faible certes pour "The quiet American", mais je dois dire que vraiment je rejoins Borgès pour dire que "L'agent secret" de Conrad les supplante tous. Vous l'avez lu, celui-là, j'espère, cher PdP ? Bonne soirée.

Bégand


[ PP à Bégand – J'ai lu le Conrad, mais justement je ne l'apprécie pas du tout ! Les avis littéraires sont terriblement subjectifs. Quant à 'L'Héritage des espions', que je suis en train de relire, c'est en fait un décryptage de 'L'Espion qui venait du froid'. Il faut avoir lu l'un pour comprendre l'autre... Si 'L'Héritage' donne une impression décevante, c'est dû (selon moi) à la banalité du langage de sa traduction française, qui détruit l'atmosphère propre à le Carré. La vulgarité langagière, reflet de ce qu'est devenue la langue française depuis vingt ans sous la pression du milieu commercial, est le fléau commun à beaucoup des traductions récentes. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Bégand / | 20/12/2020

CONRAD

> Oui, je n'ai pas lu "L'Héritage des espions" en vo, donc je peux difficilement me faire une idée sur le style même de le Carré. Sur "L'agent secret" de Conrad, j'avais apprécié la peinture extrême de la corruption et du vice propres aux espions, et la description de tous ces êtres humains à bout de souffle. Le personnage du terroriste aussi était extraordinaire, selon moi, il en a inspiré de vrais (notamment l'Américain surnommé Unabomber, auteur d'une confession qu'on peut lire et qui vaut le détour). Par curiosité, cher PP, puis-je vous demander pourquoi vous n'avez pas aimé ce roman de Conrad ? Bonne fin de journée à vous.

Bégand


[ PP à Bégand – J'aime Conrad, et je ne retrouve pas dans 'L'agent secret' ce qui me parle dans 'La ligne d'ombre' ou 'Lord Jim'... Mais encore une fois, c'est très subjectif. ]

réponse

Écrit par : Bégand / | 21/12/2020

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