29/05/2020
M. Edouard Philippe en Voix du Destin néolibéral [1]
Au président les belles phrases sur la démondialisation, la transition écologique, la relocalisation industrielle et agricole... Au chef du gouvernement les décisions techno-libérales qui prolongent et aggravent le “monde d’avant” :
Nous étions donc suspendus derechef à des “annonces-du-Premier-ministre” comme si c’était la voix du Destin. Mais si M. Philippe a sa conception de l’avenir, ce n’est pas celle des Français moyens : son idéologie est celle des milieux néolibéraux. Sous les apparences d’une modeste recherche de solutions, il fait progresser cette idéologie, selon la technique des cliquets successifs, vers l'inverse du “monde d’après” dont M. Macron fait provisoirement son stand-up. Dans un entretien daté d’hier [1], la Pr Barbara Stiegler (université Bordeaux-Montaigne) souligne des points cruciaux :
<< L'inflation de projets technologiques pour s’adapter à un monde de pandémie et de distanciation sociale (traçage, e-learning) n’augure rien de bon pour l’avenir de la recherche. […] Le management néolibéral [transforme] de fond en comble le sens de nos institutions d’enseignement et de recherche […] S’il dessaisit les anciens mandarins de leur magistère, et avec eux ces chefs de service hospitaliers entrés en grève dès avant la crise sanitaire, c’est pour les mettre au service d’un agenda dominé par la mondialisation, la compétition, l’adaptation et l’innovation : agenda sur lequel nos démocraties n’ont jamais été invitées à délibérer… >>
<< Les néolibéraux ont, dès les années 30 et jusqu’aux derniers travaux de Hayek et des ordolibéraux […], insisté sur le rôle constituant de l’Etat et sur la nécessité d’instituer le marché par tout un ensemble de normes, elles-mêmes structurantes pour les politiques publiques. […] La plupart des agents de la fonction publique et de ses usagers sont imprégnés sans le savoir de cette nouvelle manière de gouverner, qui par exemple corrèle l’éducation à la capitalisation des compétences, ou la recherche et la santé à la compétitivité… >>
<< Les libéraux m’amusent car lorsqu’ils parlent de “l’Etat bureaucratique”, ils brûlent ce qu’ils ont adoré : le New Public Management chargé de réformer nos institutions en harcelant ses personnels de normes, de process et de contrats objectif-moyens, qui ont tant abîmé l’hôpital et qui sont en train de détruire l’université et la recherche. En revanche, lorsque le néolibéralisme déploie, un peu partout dans le monde, ses grands «plans de continuité» qui entendent tout contrôler par le haut et rappellent les grandes heures du système soviétique, liquidant au passage toute discussion collective et démocratique dans nos espaces de travail au nom de la catastrophe sanitaire, on ne les entend plus protester. En bons libéraux, ils devraient pourtant s’indigner qu’on ne fasse pas plus confiance à l’inventivité sociale des groupes et des individus. Si le virus s’installe, Jean-Michel Blanquer compte bien en profiter pour accélérer le contrôle de l’enseignement par les algorithmes…>>
<< Le néolibéralisme se sert de l’Etat et des politiques publiques pour […] transformer le sens même de nos métiers et de nos pratiques (enseigner, soigner, se former, etc.) et qui est – lui, pour le coup – si intime qu’on n’ose s’y attaquer de peur d’entrer en conflit avec nous-mêmes et avec les autres. Tous ceux qui travaillent ou qui participent aux institutions publiques ont, de ce point de vue, une mission historique : celle de réfléchir au sens de leurs actes et de le faire valoir à tous les échelons ; ce qu’ils ne pourront faire que s’ils s’organisent collectivement, même à toute petite échelle et même s’ils sont oubliés par les partis et les grandes centrales syndicales. C’est ce que les luttes collectives ont commencé à initier pendant les dix-huit derniers mois, en revendiquant, un peu partout sur le territoire, un autre rapport à l’éducation, au travail, à la santé, à la justice sociale et à l’environnement. >>
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[1] Libération, 28/05.
12:51 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : edouard philippe, macron
Commentaires
TECHNOLÂTRIE
> "L'inflation de projets technologiques" qu'évoque la Pr Stiegler est un aspect éloquent du moment - ou de l'époque - que nous vivons : nous avons abondamment entendu parler de l'imprévoyance de bon nombre de gouvernements et de leur insouciance quant à des orientations simples, comme les contrôles aux frontières. Pour compenser cette imprévoyance, voilà qu'on prétend nous inonder de solutions techniques dont l'efficacité n'est pas acquise et qui pourront avoir des conséquences néfastes.
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Écrit par : Sven Laval / | 29/05/2020
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