Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/05/2020

Pour mieux situer la question des "messes retardées"

6871c2ed2f480546d0af0655cb8a3.jpeg

Un ami prêtre nous adresse ces éléments de repères :


 

"La question n'est pas de savoir si l'Église a quelque chose d'essentiel à dire aux hommes et aux femmes de notre temps, mais comment elle peut le dire avec clarté et de façon convaincante !" (saint Jean-Paul II, 06.11.1999)

 

► Dans son dernier livre (Se remettre à vivre pour Dieu – méditation sur l'avenir de l'Église, Presses de la Renaissance 2019), le pape émérite Benoît XVI exprime sa souffrance au sujet de ce qu'il voit dans l'Eglise au sujet de l'eucharistie. Puisse cette période de "jeûne" sacramentel purifier nos intentions et nos comportements ! Quelques citations du livre de Benoît XVI :  "Notre rapport à l'eucharistie est plus qu'inquiétant" (p. 73). "L'eucharistie est ravalée au rang de geste rituel lorsqu'il devient banal de la distribuer par politesse" (p. 74). "La communion n'est plus guère qu'un geste purement cérémoniel" (p. 75). "Il nous faut [...] un renouvellement de la foi en la réalité de Jésus-Christ qui nous est offerte dans le sacrement" (p. 75)…

 

► La liberté de culte ? Elle entre dans le sujet plus large de la liberté religieuse qui n'est jamais un absolu, mais comporte nécessairement des limites : déjà en temps normal, et donc limites spéciales en période de crise. Les détails pratiques sont individuellement tous contingents et objet d'une décision de l'autorité civile, sans doute discutable, mais à laquelle nous devons obéir à moins qu'il soit absolument certain que notre obéissance conduirait à un péché. Quelques citations de Dignitatis Humanae, déclaration sur la liberté religieuse appartenant au magistère solennel du dernier concile (7 décembre 1965) :

"La personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres."

– "L'exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs, volontaires et libres, par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale de l’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes intérieurs de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire. C’est donc faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion dans la société, dès lors que l’ordre public juste est sauvegardé."

– "La liberté ou absence de toute contrainte en matière religieuse qui revient aux individus doit aussi leur être reconnue lorsqu’ils agissent ensemble. Des communautés religieuses, en effet, sont requises par la nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même. Dès lors, donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces communautés sont en droit de jouir de cette absence de contrainte afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la divinité suprême, aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux."

–  "Le pouvoir civil doit veiller à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou occulte, pour des motifs religieux, et qu’entre eux aucune discrimination ne soit faite."

"C’est dans la société humaine que s’exerce le droit à la liberté en matière religieuse, aussi son usage est-il soumis à certaines normes qui le règlent. Dans l’usage de toute liberté doit être observé le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale : la loi morale oblige tout homme et groupe social à tenir compte, dans l’exercice de leurs droits, des droits d’autrui, de leurs devoirs envers les autres et du bien commun de tous. À l’égard de tous, il faut agir avec justice et humanité. En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. Au demeurant, il faut observer la règle générale de la pleine liberté dans la société, selon laquelle on doit reconnaître à l’homme le maximum de liberté et ne restreindre celle-ci que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure où c’est nécessaire."

 

Qui habet aures, audiat ! 

Matthieu 11,15

 

 

réforme c.jpg

 

Commentaires

MAGISTÈRE

> Instructives références magistérielles. Mais les ennemis "catholiques" du pape se soucient-ils encore du Magistère ?
______

Écrit par : Rémi Borchardt / | 09/05/2020

LES REVENDICATEURS

> Merci Patrice pour ces utiles rappels.
La liberté religieuse n'est pas ici en cause, mais le souci et la conscience claire du bien commun sont gravement mis en péril par tous ceux qui pétitionnent et "exigent" la reprise dès le 11 mai (ou à la Pentecôte) des messes et rassemblements dominicaux ouverts aux fidèles (de plus de 10 personnes) et qui réclament la communion eucharistique comme un "droit".
Je suis atterré par ces réactions, y compris de certains prêtres ou évêques.
______

Écrit par : Michel de Guibert / | 09/05/2020

Mgr RAVEL

> Très remarquable intervention de Mgr Luc Ravel, pour Aleteia*. L'archevêque de Strasbourg y indique que « (…) la vie et la vitalité de l’Église ne se résument pas à l’eucharistie dominicale. Même si elle est la source et le sommet de notre vie, elle ne se résume pas à cela (…) ».
Surtout, il donne un sens fort à notre confinement : « Il y a une synchronisation involontaire surprenante entre le traitement de la pandémie par le confinement et les grandes étapes de la vie liturgique. Après la résurrection du Christ, les disciples sont restés confinés jusqu’à la Pentecôte. Ils ont d’abord été confinés par la peur et le doute, jusqu’à l’Ascension, puis par l’unité et l’attente jusqu’à la Pentecôte. Après l’Ascension ils se sont rassemblés avec la Vierge Marie car ils attendaient une force venue d’en haut : l’Esprit-Saint. C’est exactement ce que nous sommes en train de vivre. »
* https://fr.aleteia.org/2020/05/08/mgr-ravel-il-y-a-une-pedagogie-de-lattente-qui-ne-depend-pas-du-gouvernement-mais-de-dieu/
______

Écrit par : Denis / | 09/05/2020

Mgr DUBOST

> Après Mgr Emmanuel Lafont, après Mgr Olivier Le Borgne, un autre évêque qui réagit sagement, Mgr Michel Dubost sur RCF :
https://rcf.fr/actualite/reprise-des-celebrations-religieuses-faut-il-s-impatienter?
______

Écrit par : Michel de Guibert / | 09/05/2020

MONADES

> Il y a un problème réel d'anti-religiosité dans la société actuelle que les catholiques ressentent mais qu'ils expriment souvent mal, jusqu'au contresens. Le pape avait bien résumé ce problème en parlant d'une société de "monades". Les gens se croient libres parce qu'ils n'ont ni religion ni rois, et ils ne voient pas qu'ils sont soumis à une coercition d'Etat plus forte que celle des anciennes monarchies et qu'ils sacrifient à des idoles terribles comme l'argent, le pouvoir et la notoriété. Les moins asservis prennent eux-mêmes la place de Dieu et de juge suprême, ce qui les enferme encore plus dans l'illusion et le mensonge.
Si nous risquions de sacrifier la santé publique à la reprise de messes, nous nous montrerions idolâtres comme eux, alors même que nous devons au contraire témoigner que la foi en Dieu Trinité nous rend libres.
______

Écrit par : Guadet / | 09/05/2020

LE CONCILE

> Merci Pdp de rappeler opportunément que l'Eglise s'est dotée d'une véritable constitution lors du dernier Concile. Ce ne sont pas des mots en l'air et il convient de s'en imprégner. Les réactions épidermiques de quelques catholiques pendant ce confinement illustrent que la mise en oeuvre du Concile est loin d'être achevée.
______

Écrit par : Charles-Alain / | 10/05/2020

LE POINT DE VUE DU P. DEGOUL

> Je me permets de vous partager ce texte très juste d’un prêtre a propos du débat en cours...:

Le P. Dominique Degoul sj partage sa réflexion sur le débat actuel sur la reprise des célébrations publiques de la messe.

Débat vif entre catholiques ces jours-ci, sur la demande des évêques de pouvoir redémarrer la célébration publique de la messe. Les positions maximalistes se radicalisent et risquent à cause de cela de manquer leur cible (le mot grec que nous traduisons par “péché” veut dire “manquer sa cible”). D’un côté, il y a ceux qui disent que l’Eucharistie est “vitale” ; qu’il s’agit du “salut de l’âme” ; et certains même de demander à leurs contradicteurs si “l’Eucharistie est le centre de leur vie”, manière de leur dire sans le dire qu’ils ont perdu la foi. De l’autre côté, on trouve ceux qui voient dans la demande des évêques une revendication catégorielle, communautariste, adolescente dans son esprit ; et qui se désolent de ce que leur parole publique semble ne s’intéresser qu’au culte ; aux dires de ceux-là, la période actuelle permet l’heureuse découverte que la foi peut se vivre ailleurs qu’à la messe ; et la revendication du culte par les prêtres n’est peut être rien d’autre, finalement, que la revendication d’un pouvoir. Le croira-t-on ? Tout ce qu’il y a de colère dans chacun des points de vue exprimés me touche, et peut même, un temps, susciter ma propre colère en consonnance avec celui qui exprime la sienne.

Accepter de faire un pas en arrière.
Commençons par les premiers. L’Eucharistie serait vitale ? En ces temps où une maladie met beaucoup de gens devant des questions de vie et de mort, l’expression parait maladroite, et hypertrophiée. Personne ne meurt en cette vie de ne pas recevoir la communion. Personne ne sera damné dans l’autre monde parce qu’il lui a été impossible d’assister à la messe. Non, il n’est pas question de vie et de mort. Il est question de quelque chose de grave, mais c’est une autre chose que la vie et la mort, temporelle ou éternelle. Il faudrait mettre “l’Eucharistie au centre de sa vie” ? Je suis prêtre, religieux, je suis présent à la messe presque tous les jours depuis 15 ans, et c’est pour moi comme une évidence. Mais ce qui est au centre de ma vie, c’est le Christ, ce n’est pas la célébration : celle-ci est sacramentelle : signe de la grâce efficace. Elle n’est pas “le Christ”.

Au tour des seconds. Les évêques ne s’intéresseraient qu’au culte ? Voilà qui est injuste. Beaucoup d’évêques ont souligné ces derniers jours l’importance de l’implication des catholiques à la fois dans la discipline sanitaire et dans le souci des plus pauvres. L’absence de messe permettrait de découvrir d’autres manières de vivre sa foi ? Oui, c’est vrai. Les communautés chrétiennes étudiantes que j’accompagne font preuve d’inventivité pour aider chacun à prier, à garder le lien, à porter ceux qui traversent des deuils en famille… mais quand même… quelque chose me manque, et, si j’interprète bien ce qu’ils me disent, leur manque à eux aussi. La situation dans laquelle nous sommes est tout sauf idéale.

La réaction des évêques serait disproportionnée ? Peut-être. Peut-être voit-on trop souvent des risques et des méchants là où il n’y en a pas. Mais osera-t-on rappeler ici que le fait de pratiquer son culte est une liberté garantie par la déclaration des droits de l’homme de 1789, par la loi de séparation de 1905, et que l’une des tâches premières des évêques est de garantir cette liberté ? Bien sûr, on peut discuter, en l’espèce : les circonstances n’imposent elles pas une restriction temporaire de cette liberté ? C’était évident pour tous à Pâques… pour beaucoup, ce ne l’est plus maintenant. Et il est tout aussi évident, sauf à désirer secrètement que toute vie sacramentelle disparaisse et qu’enfin l’institution crache son dernier râle, qu’il faudra bien qu’un jour les restrictions (je n’ai pas dit les précautions) soient levées : même si l’épidémie doit durer encore 18 mois ou 3 ans, nous n’allons pas nous abstenir de célébrer la messe dominicale, les baptêmes et les mariages pendant 18 mois ou 3 ans…

Alors, qu’est ce qui est en jeu ?
Tout est organisé, ces jours-ci, pour que soit garantie la survie de nos corps. Et c’est bien entendu très important.

Mais qu’il me soit permis de dire ici un souvenir personnel. Au début de mon service national, à 20 ans, étudiant catho de gauche débarquant dans un milieu militaire pour moi totalement étranger et ressenti comme hostile, je cherchais des points pour me raccrocher à la normalité : le premier fut “a-t-on le droit d’aller à la messe le dimanche ?”. La réponse positive me rassura : l’armée est un milieu où l’appelé perdait une grande partie de ses droits, mais qui n’est pas totalitaire : un espace est laissé pour une respiration. Que les soldats puissent prier n’est d’aucune efficacité immédiate pour la défense du pays. Pourtant, l’armée de la République respecte cela. En réfléchissant sur cet événement, je me dis que, finalement, le mot “vital”, s’il est inadapté et excessif pour définir mon rapport d’alors à l’Eucharistie, vient toucher quelque chose de profond. Un monde où l’on perd beaucoup de ses droits et une grande partie de ses repères est un monde qui peut sembler dur ; mais, tant que ce monde laisse ouverte une petite porte sur autre chose que lui-même, tant qu’il tolère autre chose que le souci de ses enjeux propres, qu’il s’agisse de la défense de la patrie ou de la santé de tous, il demeure humain.

C’est peut-être cela que, confusément, je sens planer dans la réaction outragée et parfois maladroite de nos évêques. Une crainte de déshumanisation, au nom de la vie humaine. L’équation des EHPAD est insoluble ; mais notre société technicienne, mise en échec cette fois par son incapacité à empêcher la mort, mais incapable aussi de changer de logiciel en aussi peu de temps, a produit sans qu’aucun l’ait voulu ou planifié, une déshumanisation de la mort ; et cette déshumanisation n’est plus justifiée par rien, si la mort n’est finalement pas empêchée. Je pense à toutes ces personnes âgées mortes seules, sans pouvoir dire au revoir à leurs enfants, sans même qu’une cérémonie d’obsèques digne soit permise, au nom des risques de contagion.

Vouloir maintenir l’ouvert sur autre chose que sur l’enjeu urgent du moment, réaction adolescente ? Oui, sans doute. Infantile même. D’une certaine manière, je revendique ce mot. Dans le petit monde d’avant, même quand j’étais en deuil, même quand j’étais triste, même quand on j’avais fait les pires bêtises de ma vie, j’avais ce repère qui servait de bouée à l’âme : à la messe, ce dimanche, on m’accueillera. D’une certaine manière, ce qui nous est interdit par cette crise, ce sont les signes de la divine douceur. J’espère me faire comprendre. Rien n’est vital dans la messe ; pas plus que rien n’est vital dans le fait de ne pas oublier de souhaiter son anniversaire à un enfant ; que rien n’est vital dans le bisou du soir qu’un enfant fait à sa mère. Pourtant, les parents dont un enfant est très malade et doit être totalement isolé savent à quel point ça manque.

Dans cette crise, face à l’impossibilité de recevoir la communion, il y a sans doute des faibles et des forts.
Les forts qui, parce qu’ils ont des ressources intérieures, peuvent renouveler leur vie de prière pendant ce temps de confinement, trouver dans l’Ecriture de quoi grandir, dans les messes télévisées une substitution utile, dans les liens maintenus par internet le moyen de garder la communion, dans telle ou telle action le moyen de servir. Et je me réjouis pour eux, même si j’avoue en être parfois un peu jaloux, parce que la période est pour moi assez rude.

Et puis il y a les faibles. Comme religieux, je peux célébrer la messe tous les jours ; mais Dieu que les communautés que j’accompagne me manquent ! Et Dieu que ce manque est aride ! Et Dieu que les nouvelles que nous recevons ajoutent chaque jour la tristesse à la tristesse… Et je suis témoin d’amis, des gens qui n’ont pas fait de théologie, qui ne liront pas Le Monde ou Le Figaro, mais qui souffrent dans leur chair intérieure de ce que les signes de la divine douceur ne leur soient plus donnés. Et qui voient leur souffrance redoublée lorsque certains parmi les forts ne voient dans la demande des évêques qu’une revendication de leur pouvoir clérical. De fait, celui qui souffre d’un manque n’obtient pas par le fait même droit à voir son manque comblé ; mais il peut au moins demander, dans l’expression de son manque, à ne pas être ridiculisé.

L’Eucharistie, pourquoi est-ce si important ?
Un dernier point – qu’on me pardonne cette méditation inaboutie. Au fait, l’Eucharistie, pourquoi est-ce si important ? Pourquoi est-elle précisément au nœud du problème ? Parce qu’elle est la forme instituée du culte catholique ? Certes, mais c’est la même question : pourquoi est-elle devenue la forme instituée du culte catholique ? Parce que, dira-t-on simplement, nous obéissons à l’ordre de Jésus. C’est vrai : “vous ferez cela en mémoire de moi”. Mais – qu’on me pardonne de dire cela – j’ai encore le sentiment qu’on ne comprend toujours pas ni ce que Jésus a dit, ni ce qu’il a fait. Qu’on se rassure, je ne prétends pas révolutionner la théologie de l’Eucharistie. Comme on le sait, l’évangile de Jean ne rapporte pas la dernière Cène, mais le lavement des pieds. Mais le sens du lavement des pieds est obvie, et nous n’avons pas besoin de rejouer la scène : “c’est un exemple que je vous ai donné”, dit Jésus. Il s’agit de se mettre au service les uns des autres. Nul besoin de rituel ou de liturgie pour cela : l’engagement suffit, et il est vital.

Mais que diable Jésus a-t-il voulu dire lorsqu’il a dit “Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous” ? A-t-il longuement prémédité cette phrase ? Lui est-elle venue lorsqu’il a pris conscience que sa fin était proche ? En tous cas, elle signifie ce que dit ailleurs Jean : “Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne”. Le corps physique de Jésus sera exposé sanglant sur une croix quelques heures plus tard : mais ce qu’on semble lui prendre, Jésus l’a déjà donné symboliquement ; en faisant cela, il affirme déjà que la mort n’aura pas le dernier mot sur lui. Mais comme cela est profondément mystérieux, nous n’avons pas trouvé meilleur moyen de “faire ceci en mémoire de lui” que de reproduire la scène de la cène en confiant à des prêtres de tenir la place du Christ – in persona Christi. Et nous rejouons cela sans le comprendre depuis vingts siècles : les dogmes médiévaux sur la transsubstantiation nous évitent utilement de dire des bêtises, mais ils ne donnent pas le sens de l’Eucharistie : car le sens de l’Eucharistie, nous ne pouvons que l’entre-apercevoir, à condition de la vivre.

Mais c’est peut être là que se joue le nœud d’incompréhension entre les pouvoirs publics et les évêques : pour les premiers, ce dont ils ont la charge, c’est d’assurer la survie du plus grand nombre ; pour les seconds, la survie est une valeur importante, mais nous suivons un maître qui ne s’est pas enfui pour survivre, mais a choisi de vivre la mort qu’on lui imposait comme un don de soi à ses frères. Il rendait ainsi témoignage que être humain, c’est voir plus loin que la mort.

Les évêques ont-ils raison de demander la réouverture des Églises dès le 11 mai ? Honnêtement, je ne sais plus. Mais il y a quelque chose qui je crois devient clair dans ma tête : dire que le jeûne d’Eucharistie imposé aux fidèles est une opportunité de vivre sa foi autrement, peut être même une opportunité de réformer ceci ou cela dans l’Église, pour ma lenteur intérieure, c’est aller beaucoup trop vite en besogne. C’est ne pas voir que l’absence crée une béance, encore accentuée par l’incertitude sur sa durée . Si je ne le vois pas pour moi, je peux entrer dans des colères futiles. Si je ne l’imagine pas chez les autres, je risque de manquer à la charité que saint Paul encourageait à avoir pour “les faibles”.

Il est temps que le Seigneur vienne nous demander “de quoi discutiez vous en chemin ?”.

P. Dominique Degouls sj,
Aumônier d’étudiants
______

Écrit par : Tangui | 13/05/2020

à Tangui
– Votre commentaire Degoul était déjà publié sous ma note du 9/05.
Au demeurant, je respecte ce jésuite mais je trouve que, là, il évacue un peu vite le trop réel problème des diviseurs et semeurs de panique dans l'Eglise en France, en Italie et aux USA.
______

Écrit par : à Tangui / | 14/05/2020

LA MESSE DE CHÂLONS

> https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/premiere-messe-en-drive-in-de-france-c-etait-magnifique-se-rejouit-l-eveque-de-chalons-a-l-origine-de-l-initiative_3969635.html
Ce qui me choque surtout, c'est l'enthousiasme de l'évêque.

Guadet


[ PP à Guadet – Pardonnez-moi, mais pourquoi êtes-vous choqué alors que la foule de fidèles est dans la joie d'avoir reçu l'eucharistie ? ]

réponse au commentaire

Écrit par : Guadet / | 18/05/2020

@ PP

> Pourquoi je suis choqué ? Parce que pour moi l'eucharistie ne se réduit pas une distribution d'hosties qui pourrait se faire "en drive", comme on dit maintenant. Il y a d'abord une assemblée vivante, humaine, qui n'est pas une assemblée de voitures.
Si à la rigueur une messe aussi bizarre peut être acceptée dans des circonstances très exceptionnelles, c'est la tristesse de n'avoir pas pu réaliser une véritable eucharistie qui devrait dominer.
______

Écrit par : Guadet / | 18/05/2020

@ PP (suite)

> Dans ma jeunesse, les drive in américains étaient le symbole même de l'individualisme, de la société de consommation, de l'idolâtrie de la technique et du productivisme. Voir l'image associée aujourd'hui à une messe chrétienne est extrêmement dérangeant. (Mais je me rends compte que votre réaction était peut-être ironique ?)
______

Écrit par : Guadet / | 18/05/2020

à PP

> Je rejoins Guadet et je trouve surprenant que l'on se réjouisse de ce genre de célébration supermarché.
Je vois mal comment dans de telles conditions, chacun enfermé dans sa voiture, on peut faire une communauté, comment on peut faire Eglise (assemblée du peuple, c’est le sens du mot grec εκκλησία, ecclesia) !
______

Écrit par : Michel de Guibert / | 18/05/2020

ENCORE ?

> Mgr Rougé en remet une couche ce matin sur RND dans un édito un brin polémique, tout du moins inutile... Enfin c'est mon ressenti personnel.

Tangui


[ PP à Tanguii – On aimerait les voir plus prompts à critiquer la politiqiue socio-économique de M. Macron, contraire à la doctrine sociale de l'Eglise, qu'à suspecter ledit Macron d'une cathophobie qui n'est pas sienne.
Mais le réflexe des cionservateurs a toujours été de se réfugier dans les procès d'intentions pour ne pas affronter les réalités.]

réponse au commentaire

Écrit par : Tangui / | 22/05/2020

PRUDENCE DES PASTEURS, RABBINS ET IMAMS

> C'est triste à dire, mais les autorités juives, musulmanes et protestantes font preuve de plus de prudence et de discernement que certains de nos évêques...
______

Écrit par : Michel de Guibert / | 22/05/2020

> Je vais être provocateur mais l'hystérie provoquée par cette interdiction ne vient t'elle pas aussi du fait que beaucoup de nos cathos ne peuvent plus se retrouver "entre eux"...?
______

Écrit par : à Tangui / | 23/05/2020

LE P. CASSINGENA-TRÉVEDY

> Une note importante et stimulante du frère François Cassingena-Trévédy, moine bénédictin de l'Abbaye Saint-Martin de Ligugé : "De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe." dont je cite seulement ici la conclusion :

« Nos églises vont ouvrir à nouveau leurs portes à tous ceux dont nous serons si heureux de revoir le visage et d’entendre la voix au terme de ces longues semaines de séparation. Fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et ton visage est beau (Ct 2, 14), dit le Seigneur à son Peuple, dit la Parole de Dieu au Peuple de Dieu.
Nos églises vont ouvrir bientôt leurs portes : il est temps d’y faire encore un peu de ménage.
De nous mettre au clair, surtout, quant à la conception que nous nous faisons de leur finalité, c’est-à-dire de l’Eucharistie que nous y célébrons.
Nos églises vont-elles ouvrir seulement pour un entre-soi confortable, pour des cérémonies où le rituel distrait du spirituel, pour la répétition de fadaises et de boniments infantiles, pour l’appel racoleur et tapageur à des émotions fugitives, pour l’entretien exténué et morose de la consommation religieuse ?
Ou bien vont-elles s’ouvrir pour un questionnement et un approfondissement de nos énoncés traditionnels, pour une interprétation savoureuse de la Parole de Dieu loin de toute réduction moralisante, pour une ouverture efficace aux détresses sociales, pour une perméabilité réelle aux inquiétudes, aux doutes, aux débats des hommes et des femmes de ce temps, en un mot pour la révolution eucharistique ?
Si le temps de confinement et de suspension du « culte » public nous a permis de prendre la mesure de la distance qui sépare les deux extrêmes de cette alternative, autrement dit du pas que le Seigneur de l’histoire attend de nous, alors, pour parler comme le bon roi Henri, le bénéfice que nous avons retiré valait bien quelques messes… en moins. »

https://www.facebook.com/notes/françois-cassingena-trévedy/de-la-fabrique-du-sacré-à-la-révolution-eucharistique-quelques-propos-sur-le-ret/3198309117060239/
______

Écrit par : Michel de Guibert / | 23/05/2020

Les commentaires sont fermés.