13/12/2019
Londres: quand le nationalisme engendre... son contraire
Ce qui va se passer outre-Manche est profondément paradoxal :
...Le peuple anglais [*] vient certes de manifester une capacité d’auto-affirmation patriotique qu’ont perdue d’autres Européens, dont nous faisons partie. Mais cette rébellion d’un peuple contre la Machine libre-échangiste bruxelloise risque de n’engendrer, à Londres, qu’une autre Machine libre-échangiste ! Ce matin Donald Trump tweetait ceci à destination de Boris Johnson :
<< Donald J. Trump (@realDonaldTrump) December 13, 2019” – Congratulations to Boris Johnson on his great WIN ! Britain and the United States will now be free to strike a massive new Trade Deal after BREXIT. This deal has the potential to be far bigger and more lucrative than any deal that could be made with the E.U. Celebrate Boris ! >>
Ainsi Washington va pouvoir imposer un “massive new Trade Deal” (“énorme nouvel accord commercial”) à Londres : privée du libre-échange continental, l’Angleterre s'offre au libre-échange américain. La City se rêve en Singapour financière et en paradis fiscal à quelques encâblures du continent, qui éclipserait le paradis fiscal officiel de l’UE : Luxembourg… Sans oublier une action législative de dérégulation économique et sociale qui liquidera, entre autres, le système de la santé publique (National Health Service)... auquel les sujets d’Elizabeth II étaient attachés comme à une sorte de “religion nationale”– selon Nigel Lawson lui-même, ancien ministre de l'Economie de Mme Thatcher ! On plaint les chômeurs de Newcastle et de Manchester quand ils subiront cette conséquence de leur vote contre-nature en faveur de M. Johnson – finalement seul capable de réaliser un Brexit qu’ils prenaient pour le remède à leurs malheurs. Le populisme de droite est un piège à pauvres...
Pour achever le tableau des contradictions :
– tandis que le nationalisme anglais réalise le Brexit, le nationalisme écossais (indépendantiste) s’exprime au contraire dans une fronde résolument pro-UE ! Sur les 59 sièges écossais aux Communes, le SNP vient d’en conquérir 48 : il exige donc un nouveau référendum d’autodétermination.
– Une courte majorité des sièges nord-irlandais aux Communes appartient désormais aux deux partis qui veulent un référendum d’unification avec l’Irlande du Sud : le Sinn Fein et le SDLP ! Pousser Belfast vers Dublin, serait l’un des plus étranges effets de la victoire (en Angleterre) des nostalgiques de la Couronne impériale…
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[*] Ne disons plus “les Britanniques”, le Royaume-Uni commençant à se désagréger.
20:14 Publié dans Angleterre, Ecosse, Europe, Irlande, Trump | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : brexit
Commentaires
GODONS
> Vladimir et Angela n'ont pas trainé pour faire les yeux doux à Boris.
"[*] Ne disons plus “les Britanniques”, le Royaume-Uni commençant à se désagréger."
Rosbif ?
Yvan
[ PP à Yvan – Je propose : "Godons". ]
Écrit par : Yvan / | 13/12/2019
DE GAULLE AVAIT RAISON
> De Gaulle avait tout compris : il n'a jamais voulu la Grande-Bretagne dans la CEE et n'a jamais cessé d'appeler "Anglais" les Britanniques, comme il appelait "Russes" les Soviétiques.
Il savait que si les nations pouvaient s'associer entre elles, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, elles conservaient de l'histoire des manières de penser qui leur étaient propres : l'Angleterre, le pays de Galles, l'Écosse restent des nations distinctes ; un Écossais ne se présentera jamais comme étant un "Britannique".
Le cas irlandais est encore plus artificiel puisque la partition de 1921 s'est faite à la serpe, sans aucune intention à l'époque de créer une frontière internationale (Londres souhaitait donner à l'"Irlande du Sud" une autonomie plutôt que l'indépendance) : Derry, bien que majoritairement catholique en 1921, resta ainsi sous souveraineté britannique ; aujourd'hui, seul le comté d'Antrim (le Grand Belfast) est majoritairement protestant, ce qui explique en partie le vote de jeudi.
Dès 2016, John Major avait alerté sur le risque que faisait courir le référendum de David Cameron : que le pays sorte de l'Union européenne (chose quasiment faite) et que dans un second temps il se démembre à la soviétique : cette évolution semble aujourd'hui inévitable.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 14/12/2019
CONTRADICTIONS
> Vous avez raison de souligner les contradictions des brexiteurs, je voudrais signaler les contradictions des "indépendantistes" écossais qui une fois indépendants de Londres se précipiteront à Bruxelles pour réintégrer l'UE.
TT
[ PP à TT – Certes : mais par opposition à la position des brexiteurs anglais, celle du SNP (comme celle du Sinn Fein irlandais) montre : 1. que les nationalismes peuvent être parfaitement contradictoires, contrairement à ce qu'on imaginait chez les souverainistes idéalistes ; 2. qu'un nationalisme (anglais) en déchaîne d'autres (écossais, irlandais et même gallois) par contre-coup, ce qui fait boîte-de-Pandore...]
réponse au commentaire
Écrit par : Tryphon Tournesol / | 14/12/2019
à Tryphon Tournesol :
> Il me semble que les velléités indépendantistes écossaises s'enracinent dans l'histoire d'une nation qui n'a jamais vraiment accepté son 'annexion' par l'Angleterre : beaucoup d'Écossais gardent encore aujourd'hui le souvenir amer de la bataille de Culloden, ne se reconnaissent pas dans les débats du parlement de Westminster, et perçoivent les Anglais - surtout ceux de l'establishment, auquel appartiennent MM. Johnson et Cameron - comme parfaitement indifférents à ce qui se passe au nord du mur d'Hadrien.
Tout voyageur traversant la Grande-Bretagne ne peut que noter le contraste saisissant entre l'Angleterre et l'Écosse : il est architectural, linguistique mais surtout humain, le poids de l'histoire n'ayant pas permis de réconcilier deux visions du monde.
Vous êtes probablement tintinophile : comme vous le savez, Tintin passe lui aussi de l'Angleterre à l'Écosse dans 'L'Île noire' ; en 1966, l'éditeur britannique d'Hergé demanda à ce dernier de revoir l'intégralité des décors car le père de Tintin avait dessiné les villages écossais comme ceux du Kent qu'il avait visités avant-guerre. L'album actuel reflète bien davantage la réalité britannique : dans l'édition anglaise, les pêcheurs écossais parlent même le gaélique, ce qui donne au lecteur l'impression, bien plus conforme à la réalité, d'un voyage dans deux pays différents.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 15/12/2019
LIBRE-ÉCHANGE SÉLECTIF ?
> Si, d'ici là, BoJo n'a pas un accident ou une crise cardiaque en buvant du café, il aura au moins le mérite de briser le dogme de l'Irréversibilité européenne.
Sur ce, notre Meilleur Ennemi, étrange pays sans constitution formelle, a souvent vécu dans le paradoxe. Et il possède un pouvoir financier bien réel, y compris sur les USA. Un de vos confères notait il y a peu que, des Iles Caïman à Singapour en passant par Jersey, presque tous les paradis fiscaux sont toujours dans l'influence de la City.
Et John Bull n'a pas peur de contrarier l'Oncle Sam: ainsi, lorsque qu'il abritait le général de Gaulle tandis que l'Amérique de Roosevelt reconnaissait le maréchal Pétain jusqu'en 1944. L'Angleterre continuera à pratiquer un certain libre-échange mais il sera sélectif, dans son intérêt et non selon les vœux de l'UE.
Question: pourquoi parler de nationalisme plutôt que de patriotisme ?
PFH
[ PP à PFH – Parce que "nationalisme" s'applique au fait de nation, et "patriotisme" au fait de patrie, qui sont deux choses différentes. "La patrie est la terre des pères, la nation est (entre autres aspects) leur legs social et culturel"...
Une patrie est agressée si elle est envahie.
Une nation est menacée si sont menacés à la fois sa culture et son vivre-ensemble.
Dans le cas de l'Angleterre, les brexiteurs croient que le mécanisme de l'UE menace l'Angleterre dans son social (le marché de l'emploi) et sa culture ("Bruxelles" étant à leurs yeux la négation du "British way of life").
Il est donc logique de voir le Brexit comme un nationalisme plus qu'un patriotisme...
Je sais bien que la doxa moderne veut que le nationalisme soit une forme exacerbée et morbide du patriotisme ; mais c'est confondre deux notions distinctes. Si l'on veut donner tort à un phénomène politique, mieux vaut réfuter ses arguments plutôt que de croire s'en débarrasser en lui collant une étiquette. C'est que qu'avaient cru pouvoir faire les Lib-Dem anglais ; ils viennent de voir ce qu'il leur en coûte ! La même chose guette nos bredins macronistes. ]
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Écrit par : PF. Huet / | 15/12/2019
à PF Huet
> Sur l'indépendance de la GB par rapport aux USA. Non, elle n'est pas indépendante de l'Amérique et elle ne veut pas l'être : non seulement sur le plan économique mais sur le plan politique, culturel et moral. Rappelez-vous la phrase de Churchill à de Gaulle : « Si la Grande-Bretagne doit choisir entre l’Europe et le grand large, elle choisira toujours le grand large ».
Et son autre slogan sur « la communauté de destin des peuples de langue anglaise ».
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Écrit par : Guy F. / | 15/12/2019
à PF Huet :
> Un collègue anglais m'avait fait remarquer que le Brexit opère comme cinq siècles plus tôt l'anglicanisme : couper les liens avec Rome mais conserver le maximum d'éléments du catholicisme (pour la Haute Église en tout cas). Beaucoup d'Anglais ne veulent plus du "fil à la patte" bruxellois mais, en grands pragmatiques qu'ils sont, entendent garder un lien fort avec le continent. L'âme anglaise est à bien des égards excentrique et contradictoire.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 16/12/2019
@ Guy F.
> Oui, il y a interdépendance, mais pas toujours dans le sens qu'on croit.
Il est vrai que les deux pays marchent en ce moment dans le même sens. Si on en croit le 'Spiegel' :
https://insolentiae.com/comment-trump-vient-tuer-lomc/?fbclid=IwAR3apkNLt09fPLpi9FdfbD3xqimIp4ZL9ah9hxYA10lZKmDZW5ZDl_G1EyU
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Écrit par : PF. Huet / | 16/12/2019
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