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12/12/2019

"Le christianisme ne contient aucun appel à l’identité"

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Remarquable entretien du Pr Jean-Marie Salamito (Sorbonne) :


Texte intégral : https://www.cath.ch/newsf/jean-marie-salamito-comment-esperer-quand-les-cathedrales-brulent/

 

Extraits :

<< Que dit saint Augustin aux chrétiens effrayés [du sac de Rome par les Wisigoths en août 410] ?
JMS – ...Sa réflexion peut nous aider à éviter de forger un sens de l’histoire hors de sa dimension chrétienne, c’est-à-dire en oubliant l’espérance du retour du Christ et la foi en l’action de l’Esprit-Saint dans la vie de l’Eglise. Augustin prend beaucoup de recul face aux destructions matérielles. Chez certains catholiques, l’émotion après l’incendie [de Notre-Dame de Paris] s’est exprimée avec beaucoup plus de force que celle que l’on devrait avoir face à la misère humaine. Il y a un snobisme à s’affliger de l’état de Notre-Dame alors que l’on ne se scandalise pas que des enfants meurent de faim. Augustin ne se lamente pas sur les pierres, il pense aux Romains, aux personnes et à leur salut. […]  Il développe une vision très dynamique de la vie humaine et de l’histoire. Il peut nous parler parce que nous vivons non pas dans une société stable et sûre d’elle-même, mais dans l’instabilité, le changement et le doute. Il est un penseur du mouvement. Pour lui, la vie humaine est un voyage. Il a sans cesse dans la bouche le mot viator (voyageur): on est en voyage vers la patrie céleste. [...] Il nous pousse à ne pas être ‘installés’ dans l’autosatisfaction, mais à développer un rapport personnel à Dieu...

Les chrétiens sont désormais minoritaires dans les sociétés occidentales…
Être minoritaires est un défi analogue à celui des chrétiens du Ve siècle. Augustin vit dans une société souvent hostile où seulement la moitié des gens sont chrétiens. Ce n’est pas une situation confortable, mais c’est typiquement chrétien.

Face à ce défi, on assiste souvent à une réaction identitaire parmi les catholiques ?
La notion d’identité est un piège pour les chrétiens. Elle vient des sociologues qui ont développé l’idée qu’un groupe, pour s’affirmer, va mettre en place des rites d’intégration, mais aussi d’exclusion. Cette notion peut être utile en sociologie, mais ce n’est pas une valeur chrétienne. Le christianisme ne contient aucun appel à l’identité : la vertu dont il parle est la fidélité. […] Nous ne sommes pas une tribu en voie de disparition qui devrait essayer de survivre. Nous ne défendons pas une civilisation. L’Evangile rencontrant des réalités humaines à n’importe quelle période de l’histoire produira des civilisations particulières. Le repli sur soi n’est absolument pas chrétien.

Cette tentation est pourtant assez nette dans le catholicisme français ?
Il faut la combattre. C’est une défaite de l’esprit chrétien, car celui-ci consiste, au contraire, à ne pas avoir peur, à faire confiance à Dieu. La tradition est une dynamique pour transmettre ce que l’on a reçu sans le confondre avec nos habitudes humaines. […]

Comment l’historien que vous êtes a-t-il quelque chose à dire dans la société et dans l’Eglise ?

[…]  L’historien brasse des documents qui lui ouvrent le sens du réel. Il doit avoir le sens du concret et du complexe. Ce qui évite les raccourcis et les caricatures, naïves ou désespérantes. Dans les Actes des Apôtres, nous avons une image magnifique du partage des biens entre les chrétiens, mais aussi celle d’Ananias et Saphira qui mentent aux apôtres pour préserver leurs biens. Dès les origines, il y a l’idéal et la trahison. Cela doit amener une attitude de solidité face au péché. L’histoire est un remède contre l’idéologie. Elle est du côté de la raison et non pas de la passion… >>


Cet entretien est à lire intégralement sur le site cath.ch.

Jean-Marie Salamito enseigne à l’université de Paris-Sorbonne où il dirige l’école doctorale d’histoire antique. Il est auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages sur l’Eglise primitive, en particulier sur saint Augustin. Il a notamment publié Monsieur Onfray au pays des mythes (Salvator 2017) qui démonte les préjugés rabâchés par le philosophe dans son dernier ouvrage.

 

 

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Commentaires

Amen

> Et au cas où, PP me permettra de rappeler ceci :
le "Pèlerinage pour la France" ne prie pas pour l'identité de la France ou pour sa conservation mais pour la conversion de la France, (c'est-à-dire des gens qui y sont ; la patrie n'est pas un concept abstrait) : conversion, donc changement, donc vie.
Prier pour la France ne signifie pas une méfiance des autres mais au contraire qu'elle a besoin de prière pour être fraternelle.
Ce n'est pas non plus une idolâtrie puisque cela sous-entend que la France a besoin de prière donc qu'elle n'est pas parfaite : aucune adulation ou culte nationaliste dans cette prière, au contraire.
Ces cultes ont été condamnés de la manière la plus ferme pas les encycliques "Non abbiamo bisogno" (contre le culte de l'Etat du Fascisme) et "Mit brennender Sorge" (contre le culte de la race et du chef du nazisme), qui les condamnent autant que les cultes aussi matérialistes l'un que l'autre induits par le libéralisme (l'argent) et le communisme athée (donc sans fraternité possible puisque l'idée de Dieu le Père de tous les Humains est rejetée).
Nous ne prions pas pour sa "conservation" mais au contraire pour que les âmes de ceux qui peuplent la France soient vivantes car nous sommes dans l’Église et non dans un musée.
La Tradition véritable est comme un graine : elle sert à faire pousser quelque chose ; la préserver pour elle-même n'a aucun intérêt.
Eau bénite, oui ; formol, non.
Toutes les cultures sont bonnes tant qu'elles élèvent l'âme et la vraie politique "est le domaine de la plus vaste charité" quand elle fait son vrai travail : veiller au bien commun.
Et pour nous chrétiens : que nous vivions fraternellement, en enfants du Père et c'est seulement si notre pays est imprégné de cette charité que notre pays devient réellement, factuellement, une "Patrie" au sens le plus élevé du terme: plus seulement un pays hérité de nos parents mais du Père.
Dans 'Divini Redemptoris' (contre le communisme athée, publiée après celle contre le nazisme), le pape ne parle jamais de lutter pour la civilisation occidentale mais bel et bien de la "civilisation chrétienne", c'est-à-dire fondée sur l'Evangile.
Or ce souci de l'Evangile, les "pays occidentaux" ne l'ont pas ou plus.
Donc il faut prier et faire des sacrifices (se priver de petites choses).
"J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux.
Voilà une vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter, car il veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité.
(...) Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions. "
Saint Paul à Thimothée 2 1-8
https://www.prionseneglise.fr/textes-du-jour/lecture/2011-09-12

Amen

PS : et si l'eau bénite est ferrugineuse, alors doublement oui.
______

Écrit par : E Levavasseur / | 12/12/2019

DISCUSSION

> "La notion d’identité est un piège pour les chrétiens. Elle vient des sociologues qui ont développé l’idée qu’un groupe, pour s’affirmer, va mettre en place des rites d’intégration, mais aussi d’exclusion. Cette notion peut être utile en sociologie, mais ce n’est pas une valeur chrétienne."
C'est un petit peu plus compliqué que cela à mon avis. On ne peut pas sur ce point opposer la sociologie au christianisme. Car ce dernier est une religion de l'incarnation. En se faisant chair (Jn 1,14) le Verbe épouse la condition humaine. Or l'une des caractéristiques de cette condition, c'est la diversité et la pluralité des nations, des langues, des peuples, des confessions, etc. inséparable de cette dialectique de l'inclusion et de l'exclusion dont parlent les sociologues. L'homme autrement dit n'est jamais simplement humain, son humanité se réalise nécessairement dans une ethnicité particulière (il n'est pas possible par exemple de parler "humain" tout court, nous parlons nécessairement en langues, différentes). Ce qui veut dire que l'universalité (étymologiquement la catholicité), n'est jamais donnée, elle suppose de dépasser les différences, de traduire, etc. Mais les différences demeurent. Le magistère le reconnaît, d'ailleurs (cf. par exemple Jean-Paul II aux Nations-Unies, le 5 octobre 1995). Le problème dans ce cadre n'est pas tant cette dialectique de l'inclusion et de l'exclusion, qui est une donnée humaine incontournable, que la réification, je dirais la « fétichisation » de l'identité, quand par exemple une messe n'est pas une messe si elle n'est pas en latin et tridentine. C'est là que l'Église devient secte, au sens péjoratif du terme.

JM


[ PP à JM – L' "identité" au sens actuel (narcissique) du mot est étrangère à la notion chrétienne d'identité telle que Jean-Paul II l'exprimait. Et cette dernière est très spéciale, échappant totalement à la doxa contemporaine : l'identité chrétienne est la grâce universelle venant transfigurer (ouvrir) le donné historique particulier, comme l'incarnation du Fils éternel (venu sauver toute l'humanité) transfigure la nature humaine en la portant au-dessus d'elle-même. C'est ce que dit saint Augustin quand il exhorte ses fidèles à voir au delà de la chute de Rome...
La pire des confusions, actuellement, pèse sur le mot "identité" quand on annexe son acception chrétienne à son acception ethniciste, ce qui aboutit à un non-sens et au reniement de l'Evangile. (Un certain micro-milieu parmi les catholiques entretient ce non-sens en jouant sur les mots ; c'est une manipulation des simplets par des pervers). ]

réponse au commentaire

Écrit par : JM / | 12/12/2019

> Très juste
Allons au bout du raisonnement : comme le dit st Augustin, c’est l’espérance du Salut par le Christ qui constitue l’identité chrétienne. Cela n’a rien à voir avec une approche identitaire d’un groupe qui serait meilleur que les autres.
Mais pourquoi cette tentation identitaire chez les chrétiens aujourd’hui ? Parce que cette centralité du Salut à été totalement mise de côté. Donc on trouve des ersatz. Être identitaire en est un (c’est là salut par le groupe). Être universaliste humaniste un autre (c’est le salut par l’homme).

Ludovic


[ PP à Ludovic – Sans oublier que l'universel est l'horizon de la Révélation en Jésus-Christ ! D'où le non-sens du "national-catholicisme" nombriliste, professé ici ou là dans l'histoire moderne pour couvrir des idéologies ou des pouvoirs incompatibles avec l'Evangile.
La différence entre l'universel chrétien et le mondialisme néolibéral (qui a succédé dans le temps à l'internationalisme marxiste), c'est que l'homme n'accède à un universalisme viable et vivant que par grâce : ce n'est pas inné. L'universalisme chrétien est un produit de l'Incarnation du Fils éternel : en un certain peuple, un certain lieu et un certain moment de l'histoire, mais pour tous les peuples jusqu'à la fin des temps... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Ludovic / | 13/12/2019

DISCUSSION

> Il reste que le christianisme est fondé sur l'évènement de l'Incarnation, qui s'est produit dans une période précise et dans une culture précise. À n'importe quelle époque et n'importe où sur terre, le catéchumène devra apprendre quelque chose de l'attente juive à l'époque de Jésus, du polythéisme antique méditerranéen de l'antiquité et du monothéisme dans la philosophie grecque. Sans quoi il ne peut pas comprendre la Bible, qui reste un passage obligé pour la rencontre avec Jésus. M. Salamito va donc trop loin quand il dit que "Le christianisme ne contient aucun appel à l’identité" et qu'il peut produire différentes "civilisations particulières". Plutôt que de mettre en demeure les non-chrétiens de créer leur propre civilisation chrétienne, je préfère qu'on passe par un dialogue respectueux entre civilisations. Ce n'est pas à nous de décider ce que devrait être la conversion de l'humanité. Nous devons seulement témoigner de la Bonne Nouvelle, ce qui ne peut se faire que sur une certaine base historique et culturelle.

Guadet


( PP à Guadet – Je ne vois pas en quoi le fait de l'Incarnation contredirait la pensée de saint Augustin, père de l'Eglise dont le Pr Salamito se fait simplement l'écho. Je l'ai d'ailleurs déjà dit ici, plus haut, en réponse à un autre commentaire.
Croire à une contradiction entre la théologie augustinienne de l'histoire et la notion légitime d'identité, serait une erreur grave.
En outre, ce serait une main tendue à ceux qui confondent l'identitarisme actuel (repli idolâtre) et la notion chrétienne d'identité : notion dont le point de départ est certes l'histoire tde l'Israël antique, d'Abraham au Christ, mais l'histoire d'Israël est très spéciale, intransposable, et ouvre sur une perspective universelle et eschatologique... Perspective incompatible avec l'idolâtrie du temps cyclique (éternel retour de l'identique)... Et l'idolâtrie de l'éternel retour est l'inconscient de l'idéologie identitaire actuelle ! Lourde tentation naturaliste pour les cathos déboussolés.
C'est exposé de façon magistrale par Joseph Ratzinger ('La théologie de l'histoire de saint Bonaventure', PUF 1988) :
– face à l'enfermement païen dans une conception cyclique du temps, "Le Christ a par sa croix rendu direction et sens à l'histoire de l'humanité" ;
– "Bonaventure a connaissance du caractère irréversible de l'histoire" ;
– "la théorie du cycle des temps est démasquée comme étant la véritable hérésie première, le noyau du monstre apocalyptique" ;
– la mission du chrétien n'est pas de rêver à on ne sait quelle essence du Volk, mais "d'accomplir à chaque époque (toujours différente) la loi de l'amour du Christ". ]

réponse au commentaire

Écrit par : Guadet / | 13/12/2019

JEAN DUCHESNE

> Pour ajouter à la réflexion, Jean Duchesne nous propose une sorte de dépoussiérage : 'Chrétiens, la grâce d'être libres - Par-delà les conformismes et les peurs' [Artège]
Table (en fin de livre) : La liberté est grâce ...
1.Résignation à l'effronterie
2.Qui n'est pas marginal ?
3.L'ère de la sécularisation-ou du pluralisme ?
4.Le religieux qui n'est jamais parti
5.Désenchantement et réenchantement
6.Faut-il avoir peur de l'Islam
7.Civilisation ?
8.Les leçons de l'histoire
9.La succession des monothéismes
10.Vers des "retrouvailles" entre juifs et chrétiens
11.Le temps à l'épreuve
12.Un retour du manichéisme
13.Le siècle du populisme ?
14.L'Europe et la chrétienté
15.Un autre mythe qui a fait long feu
16.La foi, les œuvres et la raison
17.Etre, avoir et transmettre
18.Le relativisme chrétien
19.Tradition et nouveauté
20.L'avènement du "moi"
21.Ascèse, mystique et spiritualité
22.Le renouveau biblique
23.Les risques des progrès spirituels
24.Vues du dehors et du dedans
25.Les exemples juif et pétrinien
26.La joie ou l'angoisse ?
27.Le temps des contradictions
Péroraison
Annexes
Brefs prolégomènes
Petit dictionnaire des contradictions non reçues du christianisme
Index des noms de personnes

Bon ! Ce n'est pas un "pavé" juste un manuel de poche-un-peu-pas-trop-petite ; les chapitres sont brefs et denses.
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Écrit par : Gérald / | 13/12/2019

@ Gerald

> Vous ne croyez pas si bien dire! Jean Duchesne (qui fut mon professeur d'anglais quand j'étais lycéen) est pour moi un maître et un exemple depuis plus de quarante années.
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Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 16/12/2019

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