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22/11/2019

Le pape condamne la possession d’armes nucléaires

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Ce nouveau coup d’éclat pontifical irrite évidemment les milieux politico-militaires aux Etats-Unis et en France. Avant que nos cathos anti-François ne prétendent que ce pape “rompt une fois de plus avec la doctrine” (?), rappelons la progression graduelle de l’Eglise catholique dans ce domaine depuis un demi-siècle :


Du site IDN (Initiatives pour le désarmement nucléaire), 5/02/2018

 

Pape François : non aux armes nucléaires

<<   Dans ses prises de position sur l’armement nucléaire, le pape François reprend les éléments d’une doctrine à présent ancienne mais l’actualise en fonction des défis contemporains. Il conclut à une condamnation morale de tous les éléments de la dissuasion nucléaire : non seulement la menace d’emploi de l’arme, mais aussi sa possession.

  • Une prise de distance ancienne de l’Église

Dès le début des années 1960, le pape Jean XXIII demandait l’interdiction de l’arme nucléaire. En avril 1963, quelques mois après la crise des missiles de Cuba, il écrivait dans Pacem in Terris : « La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament … la proscription de l’arme atomique ; elles réclament la réduction parallèle et simultanée de l’armement existant dans les divers pays, la proscription de l’arme atomique et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces. »

En décembre 1965, le concile Vatican II condamnait tout emploi de l’arme nucléaire : « Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation » (Gaudium et spes, n° 80).

  • Pendant la guerre froide, une tolérance provisoire

Dès le concile Vatican II est cependant apparue une distinction entre emploi de l’arme nucléaire et menace de son emploi. L’accumulation des armes nucléaires « sert d’une manière paradoxale à détourner des adversaires éventuels. Beaucoup pensent que c’est là le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer aujourd’hui une certaine paix (peace of a sort) entre les nations ». Ce n’est cependant pas « une voie sûre pour le ferme maintien de la paix » car « le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable, ni une paix véritable. Bien loin d’éliminer ainsi les causes de guerre, on risque au contraire de les aggraver peu à peu » (Gaudium et spes, n° 81).

Le questionnement éthique ne porte plus dès lors sur le bombardement nucléaire, mais sur la menace crédible d’y avoir recours contenue dans la stratégie de dissuasion. Devant cette stratégie, le concile suspend son jugement mais il constate en même temps que l’équilibre de la dissuasion (ou équilibre de la terreur) est le produit d’une course aux armements qui ne conduit ni à une paix stable ni à une paix véritable.

En 1982 Jean-Paul II, dans un message aux Nations Unies, accepte la dissuasion nucléaire, mais seulement si elle est conçue comme une étape vers le désarmement : « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi, mais comme une étape sur la voie du désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable. Toutefois, pour assurer la paix, il est indispensable de ne pas se contenter d’un minimum toujours grevé d’un réel danger d’explosion ». Cette position sera notamment reprise par les épiscopats américain, français et allemand. La tolérance provisoire à l’égard de l’arme nucléaire est ainsi assortie de deux conditions limitatives : elle ne vaut que dans les conditions concrètes de la guerre froide ; elle doit en outre être accompagnée de mesures de désarmement ambitieuses, allant au-delà d’un ajustement minimal des arsenaux en présence.

Dans le document Gagner la paix de 1983, les évêques français soulignaient pour leur part que « la menace n’est pas l’emploi » et, invoquant une « éthique de détresse », ils qualifiaient la dissuasion de « moindre mal » : « Affronté à un choix entre deux maux quasiment imparables, la capitulation ou la contre-menace […] on choisit le moindre sans prétendre en faire un bien. » Cette tolérance de la dissuasion était toutefois subordonnée à quatre conditions : qu’il s’agisse seulement de défense ; que l’on évite le surarmement ; que toutes les précautions soient prises pour éviter un tir par accident ; qu’une politique constructive soit engagée en faveur de la paix, notamment par un engagement dans des négociations de désarmement progressif et réciproque.

  • Après la guerre froide, vers une condamnation complète

Dans les années 1990, le Saint-Siège intègre dans son magistère les conséquences de l’effondrement de l’URSS. Il constate que la menace qui pouvait conduire à une certaine tolérance de la dissuasion nucléaire a disparu.

Il observe également que la quasi-universalisation du régime de non-prolifération masque une crise profonde. Sa légitimité est fondée sur trois éléments : reconnaissance à cinq puissances du statut d’État nucléaire [1] ; engagement de ces États à négocier de bonne foi leur désarmement ; droit inaliénable des États non nucléaires à développer l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Or, les États nucléaires ne respectent pas leur engagement de désarmement et le développement par certains États non nucléaires d’une forte infrastructure nucléaire civile peut les conduire, en sortant du traité de non-prolifération, à accéder à l’arme nucléaire. Par ailleurs trois États nucléaires « de fait » [2] restent en dehors de ce régime et un État (la Corée du Nord) a invoqué le droit de retrait qu’il prévoit.

On assiste par ailleurs, aux alentours des années 2010, à la reprise de la course qualitative aux armements nucléaires.

Dans ce contexte, Benoît XVI condamne la dissuasion : « Que dire … des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse [3] ».

Dans son message pour la Journée de la paix de 2010, Benoît XVI fait valoir l’argument de la responsabilité à l’égard de l’humanité et de l’environnement naturel : « Il est plus que jamais souhaitable que les efforts de la communauté internationale visant à obtenir un désarmement progressif et un monde privé d’armes nucléaires – dont la seule présence menace la vie de la planète et le processus de développement intégral de l’humanité actuelle et future – se concrétisent et trouvent consensus ». 

  • La condamnation ferme du pape François

Le pape François a détaillé sa position sur l’armement nucléaire lors d’une audience accordée aux participants au colloque international sur le désarmement organisé au Vatican les 10 et 11 novembre 2017 sous l’égide du dicastère (ministère du Saint-Siège) en charge du Développement humain intégral.

Les points principaux de l’allocution du pape François étaient les suivants :

  • La spirale de la course aux armements ne connaît pas de pause et les coûts de modernisation et de développement des armes, notamment nucléaires, représentent des dépenses considérables au détriment des priorités réelles de développement intégral et durable ;
  • les conséquences humanitaires et environnementales de tout emploi des armes nucléaires ou de toute explosion de ces armes par accident ou par erreur seraient catastrophiques ;
  • les stratégies de dissuasion nucléaire reposent sur une logique de peur ; elles n’engendrent qu’un sentiment trompeur de sécurité ; les armes nucléaires ne concernent pas les seules parties à un conflit entre puissances nucléaires mais l’ensemble du genre humain ;
  • il faut donc « condamner fermement la menace d’emploi des armes nucléaires, ainsi que leur possession» ;
  • les relations internationales ne peuvent être dominées par la force militaire, les intimidations réciproques, l’étalage des arsenaux militaires ;
  • le cercle des détenteurs de l’arme nucléaire tend à s’élargir en raison de la diffusion des technologies de l’atome ; ce qui ouvre des perspectives « angoissantes» dans le contexte géopolitique actuel ;
  • les armements qui ont pour effet la destruction du genre humain sont illogiques même sur le plan militaire. Elles sont le produit d’un dévoiement de la science ;
  • la prise de conscience saine de ces réalités fait cependant naître « dans notre monde désordonné» une « lumière d’espérance » dont témoigne la récente adoption au sein des Nations Unies d’un traité d’interdiction des armes nucléaires.

Sur la base de ce jugement moral du pape, l’État du Vatican a ratifié le traité d’interdiction des armes nucléaires. Mais le pape François a également lancé un appel au débat avec les autorités des puissances nucléaires ou membres d’alliances nucléaires sur les moyens concrets d’atteindre l’objectif d’un monde sans armes nucléaires tout en soulignant que ces puissances ne sont pas les seules concernées : dans la mesure où l’arme nucléaire menace la survie de l’ensemble de l’humanité, son élimination est une cause universelle qui intéresse directement l’ensemble des États, qu’ils détiennent ou non cette arme. >>

Article de Michel Drain

__________

[1] États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine.

[2] Israël, Inde, Pakistan.

[3] Message pour la Journée mondiale de la paix (1er janvier 2006).

 

 

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