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22/10/2019

"Douze protestants qui ont fait la France" : une traversée de l'histoire par Frédérick Casadesus

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Marie Durand et les prisonnières de la tour de Constance à Aigues-Mortes

Douz protestants : notamment Jean Calvin, Marguerite de Navarre, Henri IV, Théophraste Renaudot, Marie Durand... Une traversée de l'histoire de France, inattendue au regard de lecteurs catholiques mais très instructive – et extrêmement vivante :


 

maxresdefault.jpgMembre de la quatrième génération d’une nombreuse dynastie de musiciens et d'artistes, Frédérick Casadesus, historien de formation, écrit notamment dans Réforme où il traite de la politique, des idées et de la musique classique. A la radio Fréquence protestante, il anime des émissions d’actualité et de musique. Il veille sur la communication des éditions genevoises Labor et Fides...  C’est donc un calviniste assumé : d’où ce livre, aux éditions du Cerf, qui est une vue cavalière de l’histoire de France à travers douze portraits, de Jean Calvin à Michel Rocard. Je le recommande au  catholique : il y trouvera des perspectives auxquelles il n’est peut-être pas habitué.

Le livre s’intitule Douze protestants qui ont fait la France. Frédérick Casadesus veut dire qu’ils sont inséparables à des titres divers (parfois décisifs) du destin historique, politique et culturel de ce pays. Les nations sont des fleuves aux eaux multiples. Prétendre trier ces eaux est une dystopie propre aux époques de confusion mentale : quoi que l’on pense d’un courant intellectuel et moral si l’on est d'un autre courant, leur coexistence   appartient au monde des réalités.

On prend donc beaucoup d’intérêt à voir comment Frédérick Casadesus situe ses douze personnages disparates dans le flux de l’histoire française. J’en choisis quatre :

Ouvrant le livre, le portrait de Calvin le présente en constructeur par le “langage” et la “pédagogie” d’un universalisme “typiquement français”, séparé du germanisme radical de Martin Luther par un “écart considérable de culture”… À propos du déclenchement et des relances des guerres de religion – 1562 à 1598 –, le livre met en lumière le rôle (chez les huguenots et chez les ligueurs) des clans de la haute noblesse française perpétuellement en révolte contre le roi [1]. Le cycle sanglant de ces huit guerres est-il à mettre au compte des persistances de l’esprit féodal, plutôt que d’en accuser exclusivement les calvinistes ou (tendance actuelle) les catholiques ?  Casadesus ne l’affirme pas : mais on le lit entre les lignes.

Le chaleureux portrait d’Henri IV pose la question-clé : “Était-il possible, en France, qu’il y eût un seul monarque et cependant deux confessions chrétiennes ?”  Oui, pensaient les “politiques” mais aussi les calvinistes modérés (ce sera d’ailleurs, après 1688, le symbole de la croix huguenote imitant celle de l’ordre royal du Saint-Esprit). La coexistence de deux “religions” sous un seul roi était une solution française, aux antipodes de ce qui se passait dans les pays luthériens (la foi du prince imposée à ses sujets), ou en Angleterre (le roi chef de l’Eglise), ou dans l’Espagne des rois “très catholiques”… En un parcours acrobatique et mortel, tout en ruses à contre-courants, “le roi de Navarre fait la France à la godille avec tout le génie que nous accorde la grâce” : ressuscitant un Etat supérieur aux factions, il lègue aux Français l’édit de Nantes qui “distingue notre pays des autres nations d’Europe” – et que Louis XIV aura l’aveuglement de “détruire en une nuit”, produisant ainsi l’une des causes de la future Révolution.

Théophraste Renaudot est un autre exemple de protestant à géométrie variable, plaçant le bien commun au-dessus de l’identité confessionnelle. Médecin des pauvres, pionnier des dispensaires, il voulait convertir au social le Père Joseph et le Conseil de Régence de Marie de Médicis. Bloqué par les catholiques dévots, il se convertit à l’Eglise romaine en 1625 : le social vaut bien une messe, pensait cet imitateur du Béarnais ; la conversion permet à Théophraste "de faire aboutir un projet dont les contours dépassaient de beaucoup son propre destin : venir en aide aux plus pauvres”, souligne Frédérick Casadesus… En 1629 Renaudot ouvre avec le soutien de Richelieu une sorte de Pôle Emploi, le “Bureau d’adresses”, et le dote d’une feuille de renseignements (qui deviendra en 1631 La Gazette, hebdomadaire d’informations générales). Casadesus donne à cette action sociale “une source huguenote”. On peut lui rappeler que le prêtre Vincent de Paul poursuivra en catholique des objectifs proches de ceux de Renaudot, mais cette convergence n’est pas une objection.

Poignant est le cas de Marie Durand (trente-huit ans prisonnière à Aigues-Mortes dans la tour de Constance) : cette victime de la répression louis-quatorzienne prend rang chez Casadesus parmi les personnages ayant “fait la France”. L’auteur ne m’en voudra pas de lui proposer ma lecture de son évocation de Marie Durand : la nation française n’est pas seulement une œuvre politique, elle s’est “faite” – et se “fait” encore – sur le plan de la conscience collective (sans quoi l’Etat bâtit sur le sable) ; et l’Etat abuse quand il porte atteinte à des familles de conscience.  Il y a une ressemblance profonde entre la lutte des Camisards de 1702 et celle des Vendéens de 1793. Versailles lançant les dragons sur les Cévennes fait penser à la Convention lançant Turreau sur le Bas-Poitou : dans les deux cas, le Progrès – l’idée que s’en fait le pouvoir – écrase des “habitans fanatiques”, autant dire des peuplades de sauvages… La résistance incroyablement longue de Marie Durand et de ses codétenues, et ce mot de RÉSISTER gravé par elles en patois du Vivarais (REGISTER) dans la pierre de leur geôle, témoignent contre l’aveuglement du pouvoir en ce “siècle de Louis XIV” qui va de 1635 à 1715 et que François Bluche qualifiera de “siècle d’accueil aux vaillants jacobins”. Les théoriciens de 1793 mettront toute résistance au compte  de la “superstition” : ce sera cohérent avec leur théorie. Mais le vieux Louis XIV et son Conseil (Louvois, Le Tellier, Le Peletier) asservissent le catholicisme à un plan politique, ce qui est sacrilège ; un sacrilège béni jusqu’à sa mort (1704) par Bossuet, théologien très discutable d’un despotisme en rupture avec l’idéal ancien du roi-justicier. Tous les grands notables catholiques n’avaient d’ailleurs pas applaudi à la révocation de l’édit de Nantes [2] : Vauban, Bégon l’intendant de La Rochelle, d’Aguesseau l’intendant du Languedoc, et six évêques ou archevêques (Paris, Reims, Châlons, Soissons, La Rochelle, Saint-Pons), se désolidariseront ouvertement de la révocation !  Ces choses étant rappelées, on ne peut qu’approuver Casadesus d’élever Marie Durand sur les autels de la mémoire nationale. Entre ici, Marie, avec ton terrible cortège…

histoire,protestants

J’arrête là mes coups de sonde dans ce livre très riche. Il séduira les amateurs d’histoire en relief – qui auront d’autres surprises en découvrant, par exemple, les aspects inconnus du baron Haussmann ou de Ferdinand Buisson. Et c’est un livre qui tombe à pic, à l’heure où les médias offrent leur caisse de résonance à un “combat culturel” qui voudrait annuler soixante ans de travaux d’historiens – et qui se réduit à exhumer les idées mortes de la droite bourgeoise des années 1930. Une nation ne se résume pas en slogans et images d’Epinal. “Un piano ne s’accorde pas suivant la succession des sons, mais en passant du registre grave à l’aigu, du médium au grave, à l’aigu de nouveau. L’harmonie des douze notes provient de leur divergence”, écrit l’auteur – musicien comme tous les Casadesus.

__________ 

[1]  Cf. aussi les chapitres 5 à 7 de l’étude d’Arlette Jouanna Le devoir de révolte : la noblesse française et la gestation de l’Etat moderne, 1559-1661 (Fayard 1989).

[2] “Mme de Maintenon n’a eu aucune part à la révocation de l’édit de Nantes. Ses ennemis n’ont commencé à lui attribuer une influence sur cette décision désastreuse que plus de trente ans après l’événement (Madame Palatine, Saint-Simon), et la thèse d’une Mme de Maintenon acharnée contre les protestants ne repose que sur quatre lettres fabriquées au XVIIIe siècle par La Beaumelle, lettres dont le caractère apocryphe a été surabondamment prouvé depuis plus d’un siècle.” Venue du protestantisme, Mme de Maintenon dont la propre famille subit les violences – n’écrira ni ne prononcera un mot en faveur de la décision de son époux. [cf. Françoise Chandernagor, article Maintenon dans le monumental Dictionnaire du Grand siècle, dir. François Bluche, Fayard 1990. Rappelons que l'historien Bluche s'était converti au protestantisme, tendance Pierre Chaunu, et avait exercé les fonctions de pasteur à Gérardmer).

 

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Commentaires

LA TOUR DE CONSTANCE

> J'invite ceux qui le peuvent à aller à la tour de Constance. J'y emmène régulièrement mes élèves lors de voyages scolaire et c'est terrible et glaçant que de monter dans la tour et d'entendre le récit de la survie de ces femmes dans cette pièce ouverte au mistral, sans hygiène, soumises à la soldatesque, affamées, etc.
Comment des gens se disant adepte du Christ on pu faire cela à d'autres humains....
On parle toujours des camps nazis mais pour moi, la tour de Constance fait parti de ces lieux encore pire car les nazis, eux, ne se sont jamais prétendus chrétiens !
Allez-y, écouter le récit et imaginez-vous trente-huit ans dans cette tour.
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Écrit par : VF / | 22/10/2019

> Merci Patrice pour votre parallèle très éclairant, entre les Camisards et les Vendéens.
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Écrit par : Isabelle Meyer / | 24/10/2019

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