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19/01/2019

"Ça te donne envie de casser la télé..."

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Critiquant le traitement des manifs, des journalistes se demandent ce matin (21 ans après le livre de Serge Halimi !) si leurs médias, par hasard, ne seraient pas les chiens de garde du système ultralibéral :


"En ne rencontrant que des 'décideurs', en se dévoyant dans une société de cour et d'argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s'est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des lecteurs et son crédit. Il a précipité l'appauvrissement du débat public..." C'est ce que constatait Serge Halimi en 1997 dans son petit livre Les nouveaux chiens de garde (Liber-Raisons d'agir). Le diagnostic se confirme toujours plus, et touche la plupart des médias [*].

Selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel (rapport de la semaine dernière), 88 % des personnes présentées en 2018 dans les programmes d'information télévisée appartiennent aux catégories professionnelles supérieures ;  les classes moyennes et populaires n'apparaissent presque pas.

D'autre part, l'explosion populaire des réseaux sociaux a ringardisé radios et chaînes en tant que sources d'information. Elles croient se relégitimer en se haussant à la posture de maîtresses de morale et donneuses de leçons : mais ce réflexe irrite encore plus le public, auprès duquel beaucoup de journalistes se sont déconsidérés par leur parti-pris macronien...

D'où cet examen de conscience imprévu, sur six pleines pages dans Libération. Extraits :

<< Brice Couturier, chroniqueur sur France Culture : "Désormais l'information nous devance sur les réseaux sociaux. Nous avons réagi en idéologisant à mort, en devenant des directeurs de conscience. [...] Au lieu d'expliquer, on souffle sur des clivages idéologiques faciles. Les gens l'ont très bien compris, et ça les énerve."  >>  (Couturier est bien placé pour décrire le symptôme, étant lui-même macroniste "à mort" !)

<< "On s'est pris au jeu de Macron, concède une figure de LCI. On a peut-être manqué de discernement. Il nous a fascinés, intéressés. Éblouis au point de manquer de recul ? [...]  On s'est peut-être emballés..."  >>

 <<  "Dans le milieu [médiatique], la remise en cause du système global est faible, raconte Elodie Safaris, ex-iTélé. On accepte le monde libéral et capitalisé. [...]  Dans les moments d'élections, on voit que tout le monde a à peu près les mêmes idées..."  >>

Cette entropie s'aggrave des "solutions pas chères" dictées aux radios et chaînes par de nouveaux propriétaires, financiers soucieux seulement de comprimer les budgets. C'est ce qui explique la raréfaction des grands reportages et la démultiplication des "débats" : plateaux de plus en plus peuplés de représentant(e)s d' "agences de communication" dont ils sont parfois le seul (la seule) membre ; ces "communicants" sont présenté(e)s comme expert(e)s en politique, puisque la politique se réduit aujourd'hui au "communiquer" – c'est-à-dire au quasi-néant de la pensée unique, imposée depuis plus de trente ans et réchampie [**] aujourd'hui par l'ex-jeune homme de l'Elysée.

Sans compter les éditorialistes et chroniqueurs...

<< ...qui passent des heures en plateau à commenter l'actualité. À force de pérorer sur tout et rien, y compris sur les sujets dont ils ne sont pas de grands spécialistes, ils essoufflent sur le fond une formule pourtant efficace au vu des résultats d'audience. "C'est du bla-bla-bla, du vide, ça meuble en permanence. C'est insupportable, ça te donne envie de casser la télé", s'emporte Nolwenn Le Blevennec, rédactrice en chef de Rue89 à L'Obs.  >>

L'envie de "casser la télé" vient même à des journalistes ? C'est ce que l'on aurait envie d'apprendre au député LREM qui nous expliquait vers 15 h 30 avec componction, sur LCI ou BFM (je ne sais plus), son chagrin de voir les gilets jaunes détester les chaînes d'info. Ce n'est pas sur les bancs macronistes de l'Assemblée que l'on aurait ce vilain sentiment... Quelqu'un devrait expliquer à l'honorable parlementaire ce qui s'est passé en décembre dans la tête de travailleurs rentrant de la manif, allumant la télévision et découvrant – sur des chaînes qu'ils ne pratiquaient pas souvent jusqu'alors –  ce que Serge Halimi dénonçait déjà il y a 21 ans.

 

__________

[*]  Y compris certains de ceux qui font métier de catholicisme mais parlent comme M. Beigbeder plutôt que comme le pape ! Ils pensent à leur budget, or les donateurs se font rares depuis la hausse de la CSG et la suppression de l'ISF (par... leur ami Macron). Se recroquevillant alors sur la sous-section "réacs" de la section "bourgeoisie d'affaires" de leur zone de chalandise catho, ils se sont mis dans le même engrenage que le reste des médias : fonctionner par communautés. On peut leur appliquer à eux aussi ce que Jean-Marc Four (Radio France) dit de l'ensemble : la fragmentation en bulles de communautés est "un refus du réel, une segmentation du monde peut-être sans précédent",

[**]  "Réchampir" (en décoration) : redonner du champ, c'est-à-dire du relief, par deux tons de peinture différents et juxtaposés. C'est l'esprit du "en-même-temps". Un peintre réchampit les moulures. Un président réchampit l'idole Argent.

 

 

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Commentaires

PEUR ?

> Je suis moins optimiste
C’est simplement une peur : les journalistes serviteurs du pouvoir sentent que le vent va tourner . Comme les résistants de la dernière heure en 1944.
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Écrit par : Ludovic / | 19/01/2019

ENTROPIE

> Permettez une correction d'un lapsus: " Cette entropie s'aggrave "
vous vouliez dire endogamie peut être?
L'entropie est une grandeur physique qui exprime l'accroissement irréversible du désordre Ex: si vous faites tomber une boîte de sucre en morceaux, ils seront moins bien rangés à l'arrivée.

PH


[ PP à PH - Ce n'est pas un lapsus. J'ai bien écrit : "entropie". L'image s'applique aux effets pervers de ce journalisme-là dans la société. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 19/01/2019

COÏNCIDENCE ?

> La coïncidence du jour (19-01-2019) sur deux de mes blogs préférés :
http://www.chroniquesdugrandjeu.com/2019/01/chronique-de-la-desinformation-ordinaire.html
______

Écrit par : Yvan / | 19/01/2019

> Et ailleurs c'est pas mieux :
http://www.entelekheia.fr/2019/01/15/complotisme-fake-news-et-vrais-criquets/
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Écrit par : Yvan / | 19/01/2019

FERMONS

> Tous ces médias sont anxiogènes. On peut se poser à juste titre la réelle valeur ajoutée de ces médias et de leurs experts. Je note plutôt des vociférations entre eux et sans raisonnements très solides. Cela ressemble beaucoup à un café du commerce. Fermons la télé !
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Écrit par : De Vos / | 20/01/2019

'KAIROS'

> Les vœux de la revue Kairos (disponible en France en kiosque): http://www.kairospresse.be/article/2019-tourner-le-dos-aux-medias-dominants-se-federer

pour une alternative aux médias (toxiques) dominants.
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Écrit par : Raphaël R. / | 20/01/2019

SÛRS

> "Des journalistes se demandent ce matin (21 ans après le livre de Serge Halimi !) si leurs médias, par hasard, ne seraient pas les chiens de garde du système ultralibéral"
Nous on se le demande pas, on en est sûrs.
______

Écrit par : ND / | 20/01/2019

ENTRE LES LIGNES

> J'étais aux manif de la MPT, nous étions 1 million, au moins, à voir, de l'intérieur, ce qui s'y est passé, et à voir "ahuri" ce qu'en disaient les médias (télé en tête). Ce jour là, j'ai compris (j'en ai été convaincu, avant j'avais encore des doutes ... naïfs), que les grands (et petits) médias nous mentent, qu'ils manipulent l'information à leur gré, suivant leurs convictions (si vous êtes d'accord avec eux pas de soucis, sinon, dommage pour vous !).
Aujourd'hui c'est "la France d'en bas, la France rurale" qui, à l'occasion des gilets jaunes, le découvre "à l'insu de son plein gré" (s'ils ne le savaient pas déjà).
Dans les années 50 il y avait un ministère officiel de l'Etat "le ministère de la propagande". Au moins il ne cachait pas son jeu, et c'était un sujet de fierté. Le drame aujourd'hui c'est que la population croyait que les journalistes transmettaient la "vérité". Or comme à la "glorieuse époque soviétique", le journal "la pravda" (la vérité), donnait les nouvelles "officielles", mais au moins ses lecteurs savaient que "la vérité" n'était que dans le titre, et que pour avoir des informations, il fallait lire entre les lignes ....
Aujourd'hui, c'est pareil, il faut lire entre les lignes, et réfléchir ... mais c'est difficile ....
Dans une feuille de chou on arrive encore à trouver un bon article, factuel et de qualité, mais il faut chercher. Parfois bien chercher.
La preuve, Patrice, c'est que vous en avez même trouvé un (pas trop mauvais) ... dans "Libé !"
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Écrit par : Bergil / | 21/01/2019

MOOC

> Cassez vos télévisions et instruisez-vous en vous abonnant au mooc sur les sacrements : des vidéos, des textes supplémentaires, un forum de discussion. Tout cela sous la houlette de Mgr Rougé. Excellent ! https://www.sinod.fr/courses/course-v1:SINOD+02b+2019_T1/about
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Écrit par : isabelle / | 21/01/2019

IDEM

> l'info est d'abord sur internet : d'où la l'offensive désespérée sur les "fake-news" ? (in french dans le texte).

" "88 % des personnes présentées en 2018 dans les programmes d'information télévisée appartiennent aux catégories professionnelles supérieures ; les classes moyennes et populaires n'apparaissent presque pas."
Idem pour les films et téléfilms : pas de paysans, pas d'ouvriers et quand il y en a, ça sonne horriblement faux parce qu'il n'y a plus d'acteurs issus de ces milieux. Idem pour les BCBG, c'est de la caricature.
A force de ne pas s'intéresser aux gens, on devient incapable de les faire parler, d'imaginer ce qu'ils pourraient dire.
A l'écran on ne voit que de la petite bourgeoisie : employés de banques ou d'assurances, profs, médecins, psychologues, etc., tous soigneusement voltairiens ou rousseauistes.
Un feuilleton de l'été montrait des gens du sud ouest autrefois au temps des dernières gabares : aucun ne s'exprimait avec l'accent. Et ça sonnait faux !

@ Bergil
> Les 2 journaux soviétiques, les "Izvestia" qui signifie "informations" et la Pravda , qui signifie "liberté" et un dicton : "il n'y a ni pravda dans les Izvestia ni izvestia dans la Pravda".
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Écrit par : E Levavasseur / | 22/01/2019

BILLET DU 20

> Bonjour, dommage que votre billet du 20 n'est pas ouvert aux commentaires.
Pour ma part, je suis entièrement d'accord avec son contenu.
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Écrit par : De Vos / | 23/01/2019

ENTROPIE

> Après réflexion, d'accord avec l'idée d'entropie.
Les grands média rangent leurs lecteurs et auditeurs parfaitement en ordre, ce qui ne peut se faire qu'en produisant de l'entropie dans le monde environnant.
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Écrit par : Pierre Huet / | 24/01/2019

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