13/07/2018
Le discours de Macron à Versailles [2]
"En marche" vers le darwinisme social, estime G. de Prémare :
<< Vers un darwinisme social
Que retenir du discours-fleuve prononcé par Emmanuel Macron devant les parlementaires le 9 juillet dernier ? Je voudrais commenter un aspect qui me semble essentiel. Macron a déclaré tout de go : "La priorité de l’année qui vient est simple : nous devons construire l’Etat-providence du 21e siècle." Reste à savoir ce qu’il entend par "Etat-providence du 21e siècle". Historiquement, l’Etat-providence désigne en France le fameux "modèle social français" bâti par le Conseil national de la Résistance après la deuxième guerre mondiale.
Pour Macron, ce modèle est obsolète : « Notre solidarité est devenue, dans son fonctionnement, statutaire ; elle s'est attachée aux carrières, aux secteurs d'activité et ne correspond plus aux règles d'une économie de l'innovation et de la compétence. » Et le président de nous promettre désormais un "Etat-providence émancipateur" : « Le pilier premier de la politique sociale à laquelle je crois est une politique de l’émancipation de chacun qui libère du déterminisme social, qui s’affranchit des statuts ».
Pour lui, supprimer les "statuts" ne constitue pas une remise en cause de ce qu’on l’on appelle parfois les droits acquis, mais une émancipation, un peu comme un affranchissement d’un lien d’esclavage qui empêche d’être adapté à la marche triomphante de la mondialisation-globalisation. D’une certaine manière, c’est une mutation historique qui s’opère, presque un nouveau stade de l’évolution de l’humanité. Ici, l’évolution n’est plus seulement un processus naturel dans un contexte donné, mais un processus culturel permis par la révolution techno-marchande et porté par le processus historique de globalisation.
Cette mutation-évolution exige de chacun une hyper-adaptabilité, une hypermobilité et un niveau de performance élevé. Ce qui se profile, c’est une forme de darwinisme social, c’est-à-dire une sélection naturelle des catégories socio-géographiques adaptées ou inadaptées aux exigences de la mondialisation.
Or, des catégories socio-géographiques nombreuses ne sont manifestement pas "adaptées" au néo-nomadisme performant. Je pense notamment à notre France périphérique. L’objectif de Macron est de les rendre adaptables. Et pour ceux qui ne seront pas "adaptables", on peut craindre une relégation sociale qui sera alors traitée par le nouvel Etat-providence du 21e siècle. Dans la nature, les inadaptés disparaissent ; dans le "nouveau monde" humaniste, ils sont relégués et "traités" socialement.
Se pose ici une question cruciale : peut-on accepter l’avènement d’un monde qui admet que des personnes soient exclues de facto, et en grand nombre, de la participation à l’œuvre commune et empêchées d’exercer leurs responsabilités dans la société, notamment par leur travail ?
Ce n’est pas parce que la société fournit - via un traitement "providentiel" - des moyens de subsistance aux personnes, que la justice se trouve satisfaite. Au contraire : le principe de participation au bien de la société est un élément constitutif de la dignité humaine.
C’est l’un des enjeux majeurs du monde qui vient. >>
Guillaume de Prémare
chronique Radio Espérance du 13 juillet 2018
14:55 Publié dans Idées, Macron | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : macron
Commentaires
CONDAMNÉS
> Le darwinisme social condamne "ceux qui sont bien quelque part" à périr pour le profit de "ceux qui sont bien partout" suivant l'expression de Charles Gave récemment. Ces derniers, ne se préoccupant que d'accumuler des richesses extérieures, sont incapables de mesurer l'éminente dignité du travail rappelée dans "Laborem exercens".
"A cette lumière émanant de la Source même, l'Eglise a toujours proclamé ce dont nous trouvons l'expression contemporaine dans l'enseignement de Vatican II: «De même qu'elle procède de l'homme, l'activité humaine lui est ordonnée. De fait, par son action, l'homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cette croissance, si elle est bien comprise, est d'un tout autre prix que l'accumulation de richesses extérieures... Voici donc la règle de l'activité humaine: qu'elle serve au bien authentique de l'humanité, conformément au dessein et à la volonté de Dieu, et qu'elle permette à l'homme, considéré comme individu ou comme membre de la société, de développer et de réaliser sa vocation dans toute sa plénitude» 79.
http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_14091981_laborem-exercens.html
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Écrit par : isabelle / | 13/07/2018
HYPER
> Sur l’« hyper-adaptabilité » l’ « hypermobilité » et le « niveau de performance élevé » pointés par Guillaume de Prémare : c’est une réalité terrifiante pour tout observateur du marché du travail qui voit la variété et le niveau des qualifications désormais exigées dans le vaste monde du numérique.
Où, par exemple, le jeune ingénieur diplômé, nécessairement expert en intelligence artificielle et impitoyable bouffeur de code, doit être – en même temps, cela va sans dire – un parfait manager et un artiste distingué dans ses productions graphiques et vidéos ; et tout ceci dans le cadre d’un stage sous-payé, ou, lorsque le veinard a déjà franchi cette étape, pour un CDI culminant royalement à 25000 euros annuels… Certaines offres d'emploi sont proprement hallucinantes !
Et donc, dans la logique du pouvoir actuel, tous ceux qui ne réussiraient pas, dans les conditions susindiquées, la quadrature du cercle 4.0 seraient de légitimes esclaves, de pauvres hères, des « hommes de Macro-Gnon » tout juste dignes d’être nourris de lait en poudre (comme celui qui fit la fortune de M. Macron) ?
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Écrit par : Denis / | 13/07/2018
LUMIÈRES
> Une histoire à connaître,quand les lumières amènent le nazisme...
bien cordialement.
https://www.herodote.net/XIXe_XXe_siecles-synthese-309.php
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Écrit par : Zitoun / | 13/07/2018
SOLUTIONS
> "Pour ceux qui ne seront pas "adaptables", on peut craindre une relégation sociale qui sera alors traitée par le nouvel Etat-providence du 21e siècle."
Traité comment ? Essayez de demander le RSA et vous verrez comment on vous pousse proprement au suicide, en vous faisant comprendre votre inutilité et votre poids pour la société, dans un langage politiquement correct. Du grand art ! Pousser les gens au suicide est une technique des ressources humaines reprise par l'État. On reprend l'esprit de sélection d'Alexis Carrel, célébrité franco-américaine des années 30, en remplaçant la chambre à gaz, mal connotée, par l'incitation au suicide. Quand on n'est "rien" et qu'on coûte "un pognon de dingue", on n'a que deux solutions : mourir de faim ou se suicider.
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Écrit par : Guadet / | 14/07/2018
NOTRE DEVOIR DE CITOYENS
> Le plus grand vice de Macron, ce n'est pas tellement la baisse des APL, la suppression de l'ISF ou quoi. C'est plutôt que Macron essaie d'instiller l'idée (même si vous avouerez qu'il n'est pas le premier à essayer) qu'un riche est un homme méritant ("premiers de cordée"...) et qu'un pauvre est un homme qui ne sait pas se prendre en main.
Et cette idée a cours dans de nombreux esprit sortis des plus brillantes études. Normal, la conscience est toujours plus légère quand on se convainc de mériter sa richesse.
Je me permettrai un lien avec un tout autre sujet: la Résistance en Europe pendant la guerre de 1940. Je lisais un ouvrage dessus ("Sans arme face à Hitler"). La conclusion de l'auteur est que si la Résistance n'a quasiment pas libéré de territoire, elle a instillé un esprit d'insubordination face à l'ennemi. Grâce à la Résistance, les envahis se laissaient gagner à l'idée que l'invasion n'était pas normale. Et ainsi, elle a préparé le terrain dans les esprit à la victoire.
Vous aurez fait les distinctions qui s'imposent. Je ne compare pas Macron à Hitler. Ce que je veux dire, c'est que si nous n'avons aucun moyen juridique et encore moins matériel pour empêcher Macron de détruire le service public et la protection sociale, la lutte n'est pas perdue tant qu'elle reste possible dans les têtes. De quoi relever la mienne en tout cas.
Notre devoir de citoyen, c'est de protester contre la doctrine Macron encore plus que de voter. La vraie défaite, ce ne serait pas tant que nos hôpitaux ferment un par un (et Dieu sait que ça ne me fait pas rire) mais plutôt les Français finissent par se laisser gagner mentalement.
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Écrit par : Cyril B / | 15/07/2018
PAS D'ACCORD
> Il est à craindre que G.de Prémare et ce site ne soient en train de commettre un contresens total - historique ? N'oublions pas qu'il fallut près de 50 de retard à Léon XIII pour prendre conscience, après Marx, des "rerum novarum" nées de la Révolution industrielle, ce qui le contraint, d'ailleurs, à reprendre les termes forgés par Marx - sur l'intention d'E. Macron. On peut contester les moyens. Mais l'objectif n'est pas celui que, à force de s'opposer à tout, le petit milieu catho réac, voudrait y voir. L'émancipation que vise E. Macron est celle qu'a délaissée l'Eglise en France : l'émancipation des déterminismes sociaux : fils d'ouvrier ouvrier, fils d'immigrés assignés à un développement séparé de la société, etc. L'Eglise à été grande et surtout féconde et fidèle à sa mission quand Elle a été à la pointe des grands combats d'émancipation : lutte pour les esclaves, pour les serfs contre les seigneurs féodaux, lutte contre les mariages forcés pour la femme, lutte pour la Paix de Dieu (concile de Charroux) contre des seigneurs féodaux belliqueux à outrance, etc.
La République poursuit à sa façon le combat délaissé par l'Eglise occidentale : celui des petits et des pauvres.
La voici cantonnée à critiquer, avec aigreur le plus souvent, mais non sans se donner des airs magistériels qui sonnent faux. C'est de sa faute. Il est vrai qu'Elle a un peu perdu aussi le combat de l'intelligence. Le pape François fait ce qu'il peut. Mais les Prémare etc ne l'aiment guère quand il parle de liberté et ouvre les portes de l'Eglise ai grand air !
E. Macron à un boulevard devant lui avec des "cathos" pareils.
Treyville
[ PP à Treyville - Guillaume de Prémare vous répondra sans doute, mais il me semble que vous allez trop loin en lui prêtant un profil et des intentions qui ne sont pas les siens. Qui donc commet le "contresens" ? On ne peut débattre que sur la base : a) des réalités communément constatables, b) de ce que l'autre a réellement exprimé.
Le pape de l'Eglise catholique - Eglise que vous semblez dédaigner - a le mérite de nommer le vrai problème, qui est la nature du système économique en place. Vous écartez ce sujet (pourtant déterminant) pour partir dans des considérations lointaines... et aboutir objectivement dans le camp du "progressisme" macronien. C'est un choix. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Treyville / | 17/07/2018
BILAN PROVISOIRE DU MACRONISME
> Si je comprends bien, pour prendre le parti des petits et des pauvres, il faut
financiariser l'économie en détruisant l'économie réelle,
fermer des lits d'hôpitaux et des écoles,
réformer l'imposition des riches de telle manière que les dons aux organisations caritatives ont déjà été divisés par deux,
faucher les aides des étudiants désargentés,
supprimer les protections sociales,
limiter les indemnités versées par les dirigeants d'entreprise reconnus coupables d'avoir violé la loi,
achever la mue du rail pour tous en réseau ferroviaire ultramoderne pour nantis mais financés par les contribuables qui n'y auront plus droit,
parachever l'enclavement des petites villes et des campagnes,
vendre au plus offrant l'énergie hydroélectrique,
privatiser le nucléaire (les pauvres seront libérés mais irradiés),
nous voler l'assurance-chômage pour laquelle nous cotisons depuis 20 ans,
défiscaliser les grandes fortunes,
laisser courir le mensonge de l'auto-entreprenariat chez les précaires des services de livraison ou de voiturage, tout en traitant les Français qui n'appartiennent pas à votre caste sociale d'illettrés, d'alcooliques, de bons à rien et de flemmards.
Et tout ça au nom de quoi ?
De l'amour des conseils d'administration et des spéculateurs apatrides, certes, mais aussi des fantasmes brumeux de société nouvelle (c'est à dire de la très mauvaise science-fiction) des gosses de riche de la Silicon Valley, ces adolescents incultes, narcissiques et instables.
On reste un peu saisi que la réalité des faits n'ait aucun impact chez les amateurs de slogans.
Nous vivons, il est vrai, dans le monde où Pierre Gattaz affirme que dans libéralisme, il y a liberté... de retour de son voyage en Chine où il a chaleureusement félicité les autorités locales pour leur sens aigu de l'esclavage de masse, du flicage et de l'oppression généralisée.
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Écrit par : Lucas / | 17/07/2018
@ Treyville
1-En quoi les réformes macroniennes, qui consistent davantage à démonter l'escalier social (je n'aime pas l'expression ascenseur social qui gomme la notion d'effort) aideront-elles à réduire les déterminismes sociaux ?
2- La "France périphérique" des vieilles activités qu'on méprise: agriculture, textile habillement, bâtiment... c'est elle qui, tout simplement, nous fait vivre.
Restez une semaine ou même 2 jours dehors en hiver, sans manger, en pagne avec une tablette high-tech pour seule compagnie, vous préfèrerez bien vite une bonne tablette... de chocolat.
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Écrit par : Pierre Huet / | 17/07/2018
MACRON CROUSTILLANT
> Un peu saturé par la "pensée complexe" du disruptif, j'ai évité son discours devant le Congrès.
Évité pas complètement car je suis tombé malgré moi sur un extrait très croustillant :
"[...] je n'aime ni les castes, ni les rentes, ni les privilèges" (sic)
Si ce n'est pas du double langage, on peut se demander ce que c'est !
Impossible, à ce moment là de ne pas penser au livre de Vincent Jauvert, "Les intouchables d'Etat / Bienvenue en Macronie"...
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Écrit par : Réginald de Coucy / | 17/07/2018
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