22/04/2018
Maritain diagnostique (déjà) le "catholicisme sans Christ"
Puisque le tapage médiatique en est à Maurras, lisons cette analyse de Jacques Maritain - hélas non dénuée d'actualité en 2018 :
Jacques Maritain et "Les erreurs de M. Maurras"
(dans le livre Clairvoyance de Rome, 1929) :
<< La conception maurrassienne veut honorer l’Église. L’Église ne veut pas être honorée sans Jésus-Christ. Le mystère qui fait d’elle comme le prolongement et l’univers de l’incarnation, tout ce qui est de son essence, se trouve méconnu. Dès l’instant que l’on "admire" sans croire en Dieu ni à elle, elle n’apparaît plus que comme l’abri tutélaire de « la civilisation », et de la civilisation telle que [la conception maurrassienne] la conçoit : due non au Christ, mais à Minerve… La réalité centrale [de l’Église], on la cherche dans le monde de la culture, alors qu’elle est dans le monde surnaturel ; même en rendant hommage à son universalité, on se trompe encore sur celle-ci : on croit "essentiellement latine" l’autorité dont elle dépend, on tient cette universalité pour le résultat d’un développement historique supérieur, alors qu’elle descend de Dieu, indépendante en elle-même de tout état de culture particulier.
Cette Eglise que l’on s’est rendu incapable de voir, on voudra la "défendre", et la "défendre" de la manière que l’on juge bonne. Et quand elle montre que ses voies ne sont pas celles où on l’imaginait engagée, et qu’on a orgueilleusement décrétées les seules voies de la civilisation, on prétendra rester, mieux qu’elle et contre elle (à la tête de quelques-uns de ses enfants révoltés, et en dressant contre son chef visible une frénésie toute pure) fidèle à sa mission historique et à son esprit essentiel. Nous voyons aujourd’hui éclater contre l’Église elle-même – sinon contre le fantôme qu’on s’est construit d’elle et que l’on continue de paraître honorer – une fureur longtemps contenue contre l’Evangile de Jésus-Christ. >>
► Et c'est toujours actuel chez les insulteurs du pape François. Voilà pourquoi ils se découvrent une passion pour ce que Le Monde appelle "le spectre de Maurras"...
20:10 Publié dans Histoire, Idées | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : maurras
Commentaires
ACTUEL
> Terriblement actuel. Il décrit en 1929 des gens que je vois aujourd'hui...
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Écrit par : Stanislas Kotska / | 23/04/2018
FACEBOOK
> Sur Facebook, cette note soulève depuis hier d'abondants commentaires et une controverse avec des maurrassiens de stricte observance. Instructif !
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Écrit par : PP/ | 23/04/2018
SITUATIONS
> La situation a bien changé. À l'époque il y avait deux courants importants en France : un catholicisme sans Christ (dont Maurras n'est qu'un représentant) et un anticléricalisme inspiré d'idées chrétiennes. J'ai été très choqué par exemple de lire dans un numéro du journal La Croix du début du XXe siècle un article d'un antisémitisme caricatural et haineux.
En ce début du XXIe siècle l'Église catholique et ses fidèles se sont rapprochés du Christ je pense, mais l'anticléricalisme s'est transformé en anti-christianisme, au moins au niveau culturel. Ce sont bien les idées chrétiennes et leur influence sur l'histoire de notre pays qui sont combattues.
Cela explique peut-être le regain d'intérêt pour Maurras, non plus tellement par intégrisme religieux ou culturel, mais par recherche désespérée d'un défenseur de notre patrimoine.
Guadet
[ PP à Guadet - Vous avez sans doute raison en ce qui concerne les motivations de certains aujourd'hui qui se déclarent catholiques. Mais en ce cas ils font deux erreurs :
- prendre un diviseur pour un "défenseur du patrimoine" ;
- réduire le christianisme à un "élément du patrimoine", à la vive satisfaction d'une droite "patrimoniale" et nullement chrétienne... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Guadet / | 23/04/2018
SUR FACEBOOK
> Aux maurrassiens de stricte observance (il en reste), je réponds notamment :
"Il faut tout de même rappeler que les deux notes ici sur la question Maurras, et les fils de discussion qui s'ensuivent, ne tombent pas de la lune.
Elles (et ils) viennent en réponse à l'opération spectaculaire du 'Monde' visant à transformer la parution d'un volume de la collection Bouquins en résurrection d'une tarasque : ce qui revient, comme on disait autrefois, à faire d'une puce un Russe.
A nos yeux, le sujet ne mérite d'être commenté que pour une seule raison : pour un certain milieu sociologique, dire maintenant "vive Maurras" (qu'on n'a pas lu et qu'on ne lira pas) fait partie d'une posture globale, dite "réac", qui englobe la haine envers le pape François.
C'est ce dernier point surtout qui a motivé mes deux notes."
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Écrit par : PP / | 23/04/2018
MAURRAS ET MARITAIN
> Il y a plusieurs choses qui me gênent dans l'ensemble des propos tenus ici ou ailleurs à propos de cette polémique sur une réédition, partielle, des oeuvres de Maurras.
D'abord en dehors de la sphère francophone, et du Vietnam en son temps, le nom de Charles Maurras ne doit pas éveiller bien des souvenirs. Brandissez un portrait de Maurras à Melbourne ou Los Angeles et vous ne soulèverez aucun émoi, restons modestes!
Ensuite, pour ou contre, force est de reconnaître que l'écrivain, comme le pamphlétaire ou le journaliste, marqua son époque par ses écrits, empêcher leur réédition relève d'une censure qui effectivement se porte de mieux en mieux.
Il serait mal venu d'appeler Maritain à la rescousse lui qui chemina avec Maurras jusqu'à la condamnation romaine, même s'il ne partageait pas ni, et pour cause, l'anti-sémitisme ni le nationalisme du maître de Martigues.
Par contre ils furent ensemble dans le combat contre le monde qui évoluait vers cette modernité que l'on connaît et contre l'anticléricalisme républicain du premier-quart du XX ème siècle.
Maritain fut de la Revue Universelle au côté de Jacques Bainville, entre autre.
Maritain se soumit à Rome, Maurras jugea Rome en tort.
Le Vatican parlait en pasteur, Maurras se cabra en politique.
Maurras admirait l'Eglise catholique pour sa structure hiérarchique, donc pour l'ordre qui en émanait, Maritain lui pour l'Evangile.
Mais ne revient-il pas de blamer les deux pour leur admiration d'une Eglise qui, à l'époque, "ordonnait la fraternité"?
Reste que l'Histoire se marque de faits, d'écrits, de dates et surtout d'Hommes, d'accord ou pas elle est, si sa connaissance n'évite pas toujours les tentations du passé, la connaître permet au moins de ne pas avoir l'excuse de l'ignorance et du laisser-recommencer.
Que diraient l'un et l'autre devant les modifications constitutionnelles en cours mais en catimini sur le renforcement de l'exécutif au détriment du Parlement?
Alors relisons sans complexe ni faux effarements Maurras pour ses leçons de géopolitique (Kiel et Tanger), Maritain pour son christianisme y compris et surtout son "Le paysan de la Garonne" et le carme (relevé de ses voeux) Jean Bodin pour son oeuvre qui à la fois servit à théoriser l'absolutisme royal, afin de bien nous mettre en garde, et à la fois plaidait pour la tolérance, qualité qui de toute part s'estompe!
Albert E.
[ PP à AE - Chrétien catholique, je ne peux pas mettre dos à dos et à égalité Maurras et Maritain après 1926. Ce que le second dit de la pensée du premier dans ses analyses de 1926 et 1929 est profond et prophétique.
Je ne peux pas plus renvoyer CM et JM dos à dos si je regarde leur position concrète dans le drame de la Seconde Guerre mondiale. L'aveuglement alors est en entier du côté de Maurras.
Le réalisme (pas seulement la morale) est du côté de Maritain et des chrétiens opposés à Vichy.
Les gardiens du mausolée refusent de parler de cette période, si gênante du simple point de vue du prétendu "réalisme maurrassien"... Mais refuser de parler histoire quand on se réclame sans cesse de l'histoire n'est pas une attitude cohérente ! (cf mes démêlés actuels sur Facebook avec des irrités).
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Écrit par : Albert E. / | 23/04/2018
DISCUSSION
> Je suis tout à fait d'accord qu'il est destructeur de réduire le christianisme à une tradition, mais il est mauvais aussi d'en faire un spiritualisme, en oubliant qu'il s'agit d'une religion incarnée, incarnée en particulier dans un patrimoine culturel chrétien. J'admire sur ce point le travail de Vatican II qui n'a pas détruit la tradition, comme certains l'en accusent, mais l'a épurée et réformée pour la revivifier.
D'un autre côté, il est légitime que, hors toute question de foi, des croyants ou des incroyants soient attachés à un certain patrimoine chrétien, ne serait-ce que par respect envers leurs ancêtres.
Guadet
| PP à Guadet - Sans aucun doute. Mais ça n'efface pas le problème d'aujourd'hui en France : la prolifération para-politique d'un "catholicisme" sans Christ, qui obscurcit gravement le véritable contenu de la foi chrétienne - quand il n'en prend pas carrément le contre-pied... ]
réponse aun commentaire
Écrit par : Guadet / | 24/04/2018
SUR FACEBOOK
> Cette très bonne réflexion de Michel Fourcade :
« Paix aux morts, et à Maurras comme aux autres...
La question c'est plutôt : que transmettre aujourd'hui en matière de philosophie politique d'inspiration chrétienne et thomiste ?
Allons-nous transmettre (au-delà de leur importance historiographique qu'il convient bien sûr de rappeler) des pensées qui de leur vivant déjà ont été de peu d'utilité, ont fait des tas de très mauvais choix historiques concrets, ont erré sur bien des points majeurs, ont été condamnées au moins pour partie par le magistère, et sont entourées d'un halo quasi impénétrable de polémiques stériles bientôt centenaires ? Des pensées incapables de concevoir correctement le "bien commun" par l'obsession de "l'ennemi", intérieur et extérieur ?
C'est un mauvais service à rendre aux générations catholiques qui suivent, c'est leur plomber la route.
A l'inverse, il y a dans la philosophie politique de Maritain, qui s'est développée, à la demande de Pie XI, après la crise de l'AF et en en tirant les leçons, des voies qui ont prouvé leur efficience contre les divers totalitarismes dans les années trente, puis en ouvrant dès 1940 les voies de la Résistance, puis en participant au grand effort de guerre de la philosophie politique dont sont sortis une démocratie et des droits de l'Homme repensés à neuf. Des voies qui nous ont mené jusqu'à Vatican II et au choix de la liberté religieuse. Des voies qui ont inspiré plusieurs papes, et notamment Paul VI et Jean-Paul II.
Comment hésiter ? »
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Écrit par : PP/ | 24/04/2018
L'AMITIÉ
> N'étant pas maurrassienne, je ne me suis jamais intéressée à la vie de ce monsieur suranné, dont j'avais découvert enfant, par effraction de grenier, qu'il avait dû faire mettre un genou à terre devant le pape à des arrière-grands messieurs à la barbe hautaine et la canne sèche, pour retrouver leur première place au banc de communion.
Ce souvenir m'est aussi resté associé à une volonté de pouvoir sur le spirituel et de puissance de l'ordre sans point de fuite qui personnellement me répugnaient déjà.
Comme les cloches dans lesquelles on enfermait les couronnes de la mariée pour que les fleurs s'y figent en asphyxie me donnaient la nausée.
La vie est tellement aux antipodes de cela!
Des Maritain, qui ont connu au matin de leur vie cette asphyxie de l'âme jusqu'au seuil de la mort, ce qui m'a le plus marqué ce sont leurs grandes amitiés, à mon sens la clef de lecture de leur oeuvre, indissociable de leur vie.
Et qu'ils aient du sang juif et russe, qu'ils aient baignés dans le protestantisme anticlérical qui par le vide ouvrait le champ à la grâce plus sûrement qu'un catholicisme empesé d'héritage, qu'ils aient eu pour maître le "relieur de vie" Bergson,... en font à mon sens des passeurs du génie français bien plus subtils et profonds, parce qu'aussi bien plus libres, que la pensée maurrassienne, trop hexagonale pour être tout-à-fait française.
Et pourquoi l'amitié? Parce qu'elle seule est authentiquement et politique et christique. Parce qu'elle seule lie les communautés hors d'une relation dominant/dominé, permet de conjuguer Bien Commun et personnalisme. Et que ce ne peut pas être que discours théoriques, gestes flamboyants, mais d'abord humble vécu.
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Écrit par : Anne Josnin / | 25/04/2018
@ PP
> Vous devriez écrire un bouquin, une somme, sur les diverses "chapelles" d'extrême-droite, du néo-paganisme, du national-catholicisme, etc en présentant les racines philosophiques auxquelles elles se rattachent (tel homme d'extrême droite dit telle chose, c'est typiquement hédoniste/nihiliste), leurs visions du monde, leurs origines, à quoi elles aboutissent quand on va jusqu'au bout, en quoi ce sont des erreurs, en quoi elles sont incompatibles avec la foi, en quoi elles servent ce que très souvent leurs adeptes prétendent combattre :
le nationalisme rejetant le catholicisme, sombre en néo-paganisme idiot utile du relativisme mondialisé et in fine de la dictature financière.
Important aussi : ce qui les fait naître, pourquoi elles peuvent fasciner des jeunes qui très souvent les croient nouvelles !
Ce n'est évidemment pas un bon souvenir, mais vous avez une expérience unique là-dedans dont il faut se servir pour éclairer.
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Écrit par : eric levavasseur / | 25/04/2018
Comme toujours, on ne peut pas rejeter en bloc l'oeuvre de Maurras. J'ai lu de lui pas mal de ses oeuvres. Il m'en reste ce que j'ai pris soin de décanter, tout comme je l'ai fait pour Freud ou Marx.
Le pire de Maurras est sûrement sa passivité devant l'occupant allemand (nazi !) qu'il avait pourtant auparavant combattu fermement (on pourrait revenir sur les motivations, de ce combat peut-être parfois contestables).
Combien de royalistes l'ont alors abandonné avec fracas pour entrer dans la Résistance (voir l'ouvrage de F.M. Fleutot. "Des royalistes dans la Résistance") ; mais combien plus, peut-être, se sont laissé séduire par le vieux maréchal républicain et sa "Révolution nationale" qui faisait la part belle à une Collaboration inique et ignoble.
Oui, qui a vraiment lu Maurras parmi tous ces prétendus cathos "identitaires" qui en prennent à leur aise avec le Magistère et qui vouent une haine rance au pape ?
Ils seraient en outre bien inspirés de lire les évangiles...
Réginald de Coucy
[ PP à RC :
Merci de vore message, avec lequel je suis en plein accord.
Les gardiens du mausolée sont de deux catégories :
- Il y a ceux qui brandissent le nom de Maurras sans l'avoir jamais lu (et on les comprend : le style très vieilli rend cette lecture difficile)... Ceux là prennent la pose de la "fidélité au vieux maître" par référence à un folklore de milieu dont le nom de Maurras fait partie ; et ça ne va pas plus loin.
- Par ailleurs il y a des érudits : quelques honorables messieurs qui se présentent en experts du corpus maurrassien. Mais ils le présentent dans sa version finale édulcorée, celle d'après la crise de 1926-1939 : Maurras serait un "défenseur extérieur du catholicisme" parce qu'il serait un "disciple d'Aristote", donc (?) "de saint Thomas d'Aquin", et donc un apologiste de "l'ordre naturel" (?) via "le concept d'empirisme organisateur", etc... Pieusement répétée dans ces cercles depuis un demi-siècle, cette idée d'une convergence entre le système de Maurras et la mission de l'Eglise est loin d'être exacte.
Que les gardiens du mausolée appartiennent à l'une ou l'autre de ces deux catégories (les poseurs ou les érudits), leur défensive est de toute façon inadéquate.
Une idéologie politique qui a tempêté sur la scène publique pendant près de cinquante ans (de l'affaire Dreyfus à la chute de Vichy) ne se juge pas aux bonnes intentions qu'on lui prête : elle se juge à ses effets concrets. Or Maurras a obtenu des effets contraires à ses intentions affichées : prétendant vouloir "unir les Français autour de l'intérêt national", il a jeté presque constamment (sauf en 1914-1918 ?) de l'huile sur le feu de leurs divisions. Prétendant incarner le réalisme, il a fait naufrage dans le pire onirisme à partir de 1940 et surtout de novembre 1942...
Si nous objectons ces choses aux gardiens du mausolée, ils se fâchent : ils nous reprochent de parler des années noires (c'est "du politiquement correct", disent-ils) ; à la fin, ils nous lancent à la figure le Carmel de Lisieux et les mémoires du chanoine Cormier... Mais quel qu'ait été l'état spirituel de Maurras 'in articulo mortis', cela n'efface en rien le jugement objectif porté sur son action par l'histoire.
Maurras répétait : "notre maîtresse en politique, c'est l'expérience". L'expérience du maurrassisme a été faite. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Réginald de Coucy / | 25/04/2018
DESCRIPTION ACTUELLE
> Il est intéressant de voir comme le dernier paragraphe du passage de Maritain que vous citez décrit encore parfaitement l'état d'esprit qui semble être celui de certains "cathos" actuels : "Cette Eglise que l’on s’est rendu incapable de voir, on voudra la "défendre", et la "défendre" de la manière que l’on juge bonne" (et la suite bien entendu). Dans le cas de l'Eglise, l'illustrer vaut infiniment mieux que la "défendre" et un serviteur anonyme de son prochain fera bien plus pour l'Eglise qu'une armée de croisés de salon devant leurs miroirs.
SL
[ PP à SL - C'est la reproduction de cet extrait de Maritain sur ma page Facebook qui a déchaîné l'ire des gardiens du mausolée. Ils appartiennent (par eux-mêmes ou par leurs enfants) au milieu concerné ; ils n'aiment donc pas du tout lui voir appliquer ce diagnostic... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Sven Laval / | 25/04/2018
SANGNIER
> Le vrai symétrique de Maurras n’est pas Maritain mais Sangnier avec le Sillon, dont les héritiers sont très nombreux dans les chrétiens des médias et dans la politique. Le Sillon c’est aussi un christianisme sans Christ car le mouvement politique devient sauveur.
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Écrit par : Ludovic / | 25/04/2018
Une question, suite à une incompréhension:
> Que Rome ait condamné les professions d'athéisme de Charles Maurras, cela se comprend bien. L'excommunication des membres du mouvement politique qu'était l'Action française m'a, de longue date, dérouté par sa sévérité: enterrements religieux refusés, mariages célébrés dans les sacristies... choquant. D'autant qu'en matière de compromission de catholiques avec des idéologies funestes, on en a vu d'autres depuis.
Pierre Huet
[ PP à PH :
Le point de départ de la mise à l'Index de l'AF en 1926 remonte à février 1906 (je le raconte dans 'Cathos ne devenons pas une secte', chapitre 2) : quand les troupes de choc de l'AF, sous prétexte de "s'opposer aux inventaires" (pourtant acceptés par les évêques et qui ne tiraient guère à conséquences), ont envahi des églises parisiennes et placardisé leurs curés légitimes en disant : "Puisque le clergé faiblit, les catholiques défendront les églises à sa place". C'était se substituer à l'Eglise, au nom d'on ne sait quel catholicisme patrimonial et dans l'intention d'aggraver le conflit avec "la Gueuse", au contrepied du voeu de la quasi-totalité des évêques.
Et il y eut pas mal de laïcs catholiques pour emboîter le pas... Résultat de tout ça : le triomphe des candidats anticatholiques aux élections suivantes (20 mai 1906)... Dès ce moment, Pie X - quoique antimoderniste - comprit qu'il y avait un problème, et envisagea de crosser l'AF ; chose faite vingt ans plus tard par Pie XI.
La sévérité des sanctions - cf l'enterrement du baron Tristan Lambert - choque nos esprits d'aujourd'hui. Mais à l'époque, elle était dans les moeurs : l'Eglise était vue comme sévère par définition (ça explique en partie l'abandonnisme au cours du XXe siècle) : par exemple, refuser les obsèques religieuses aux suicidés paraissait admis.
Et du point de vue de l'Eglise, cette sévérité envers des catholiques "rebelles par maurrassisme" avait deux raisons décisives :
1. celle que j'indique ci-dessus (mettre fin à l'influence prise sur des laïcs catholiques par un maurrassisme qui "sentait le fagot") ;
2. les attaques (d'une violence démente) lancées par le journal contre le Vatican après la mise à l'Index de 1926 : vociférations de Léon Daudet contre "le Diffamatore Romano", rubrique "Sous la terreur", attaque du train du nonce par les camelots : "nonce espion, à Berlin !", etc. Rappelons que cette explosion de haine contre la papauté séduisit alors un Lucien Rebatet (comme il l'expliquera en 1942 dans 'Les Décombres') : ce cathophobe devient chroniqueur à l'AF en 1929...
Le point important est celui-ci :
si le maurrassisme "sentait le fagot" selon Rome, c'était justement parce que Maurras revendiquait pour son mouvement une identité "catholique" tout en reléguant la foi au Christ parmi les sujets secondaires. Prétention inacceptable du point de vue d'une Eglise aussi doctrinalement impérieuse que celle de la première moitié du siècle ! Il ne manqua pas de conseillers pontificaux pour dire au pape que le "catholicisme sans Christ" de l'AF était finalement une forme de modernisme, insidieuse et inattendue.
On ne peut donc pas comparer sans erreur de perspective :
a) l'engagement de catholiques "réactionnaires" dans le maurrassisme,
b) cinquante ans et deux guerres mondiales plus tard, l'engagement de catholiques "progressistes" dans un compagnonnage avec le PCF.
Le PCF, contrairement au maurrassisme, ne se présenta pas comme l'expression politique naturelle du catholicisme ! Donc l'Eglise n'eut pas les mêmes raisons de condamner les "progressistes". Elle le fit, mais en anathématisant le soviétisme comme antithèse (énorme) d'une vision chrétienne de l'homme et de la société ! Rien à voir avec le maurrassisme, phénomène franco-français qui semait simplement la perturbation parmi les catholiques de l'Hexagone en détournant trop d'entre eux des tâches que l'Eglise voulait les voir assurer - et en diffusant une vision déformante du catholicisme. Vision qui ressurgit aujourd'hui...
Voilà les perspectives. Voilà pourquoi cette vieille affaire de 1906-1926 n'est pas sans ressemblances avec ce qui s'est passé en France depuis 2013 : des ligues privées se présentant comme "le nouveau catholicisme", celui qui "veut combattre", etc. Et voilà pourquoi un nombre significatif d'évêques m'ont remercié d'avoir publié mon livre de janvier dernier.
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Écrit par : Pierre Huet / | 25/04/2018
@ PP
> Merci pour cette mise en perspective.
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Écrit par : Pierre Huet / | 26/04/2018
CHINE
> En lien avec votre note sur l'Internationale en latin, voici une version pour megachurches, en Chine :
https://www.youtube.com/watch?v=PZlD5RXkeuA
;-)
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Écrit par : Alex / | 29/04/2018
ULTIME
> Le catholicisme est l'ultime dépassement dialectique de tous les dépassements dialectiques possibles.
La Civilisation ultime avec la Cité de Dieu comme finalité.
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Écrit par : Maurice / | 29/04/2018
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