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21/04/2018

Société de marché : les "nouveaux sauvages"

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Dans son nouvel essai (La Découverte), l'universitaire François Cusset démasque l'omni-violence contemporaine et ses causes :


 

Extraits de l'entretien de Libération (21/04) avec François Cusset :

 

<<  Les sociétés contemporaines seraient le théâtre d’une violence inédite [...] ?

F.C. - [...] Il s’agit de prendre en compte les nouvelles formes de la violence contemporaine  - burn-out, suicides au travail, cyber-harcèlement, épuisement, campagnes ravagées, villes de moins en moins vivables… -, et pour cela, changer d’instrument de mesure, dépasser des outils statistiques qui n’ont pas de sens en soi.  [...]  La violence est une énergie affective qui circule, nous relie tous, et peut s’emballer jusqu’à la destruction. [...] La violence est aussi bien psychique et pérenne, que physique et ponctuelle. [...]  Elle s’inscrit dans les structures, les règles, l’ordinaire...

[...]  Un surmoi nous intimide, qui nous empêche de reconnaître la nouveauté de la violence actuelle. [...] Que ressentons-nous de neuf, qui n’était pas éprouvé par nos ancêtres ?  [...] La violence psychique a toujours été indissociable de la violence physique. Ce qui me semble nouveau c’est qu’elle est désormais une condition explicite, légale, managériale, prévue et théorisée, du fonctionnement d’ensemble du système. Là où la violence psychique relevait de l’exception, elle est aujourd’hui l’ordinaire. Elle [...] est le rouage clé d’un système fondé sur l’accélération, la pression, la performance, la permanence de la précarité. Même les guerres aujourd’hui ont rejoint l’ordinaire...

Et toutes ces violences appartiennent selon vous à une même dynamique…

Un ferment majeur les relie : la violence de l’économie, et la consigne qu’elle nous donne de nous lâcher. Tout le monde aujourd’hui est incité à se lâcher. Se "lâcher" n’est plus un trait psychique singulier mais une injonction, présentée comme la condition de l’épanouissement intime et collectif. "Libérer les énergies !" : on comprend mieux le slogan macronien, néolibéral et très suspect [...] : nos énergies pulsionnelles, il faudrait les intensifier, les "optimiser" pour en tirer le plus grand profit. Regardez le syndrome Trump-Sarkozy : insultant les femmes ou les immigrés, lançant du "casse-toi pauvre con", ces hommes politiques ne se contrôlent plus, et sont appréciés pour cela et non malgré cela. On apprécie leur sincérité, ils "libèrent leurs énergies".

[...] À l’ère de l’informalité obligée, le marché, qui nous veut cool, inverse le processus de civilisation. Une nouvelle forme de sauvagerie a émergé, inhérente au marché total, qui a moins besoin des formes et de la politesse bourgeoise, que de l’extase, de l’hystérie, de l’intensité, de l’injonction à jouir. Les gens ont toujours su qu’ils ne pouvaient pas tout avoir, ni tout être. Mais le marché, plus encore avec la révolution numérique et sa "tyrannie de la visibilité" sur les réseaux sociaux, leur dit exactement l’inverse : être et avoir tout. Ce mensonge-là déstabilise profondément les sociétés, produit une forme inédite de haine et de frustration rentrée, qui un jour rompt le lien social.

Les membres de la classe moyenne seraient selon vous devenus les "nouveaux sauvages" ?

[...] Aujourd’hui, la violence concerne [...] le cœur du tissu social. [...] Derrière le vernis de respectabilité, la classe moyenne est en train de péter les plombs. En cause : sa nouvelle fragilité économique et affective (les couples se séparent, les gens ont peur), la promesse intenable du bonheur, qui l’incitent à des formes de folies intériorisées, bénignes pour le moment, sorte de syndrome de Gilles de la Tourette à bas bruit, qui conduit les gens les moins soupçonnables à ne pas se rendre à un rendez-vous clé, à répondre n’importe quoi à une question sérieuse, à commettre une impudeur ou un geste insensé. C’est le circuit de dérivation de la violence intérieure qui est engorgé. Les catharsis traditionnelles ne fonctionnent plus. L’image a envahi nos vies ordinaires. A la place des logiques culturelles de sublimation on a la pléthore de produits pop culturels consommés chaque jour. Frustration et haine de soi sont déviées vers l’autre, le bouc émissaire, le rival symbolique...

Que faire pour l’éviter ?

Reprendre le contrôle collectif de nos destins, que ce soit par la discussion, le soulèvement, l’expérimentation locale de zones d’autonomie d’existence, qui peuvent réenclencher un circuit vertueux d’énergie collective...  >>

 

 

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09:51 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : moeurs

Commentaires

> Je ne sais plus qui a écrit que la motivation était la récupération capitaliste du désir...
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Écrit par : Feld / | 21/04/2018

KAFKAÏEN

> Passionnant ! Cela me fait penser à un lien avec la culture, qui me semble illustrer parfaitement le nouveau type de violence et son intensité. Sans même citer l'incroyable agressivité du rap ou l'institutionnalisation parmi les beaux-arts des dégradations sur les murs, voyez les musées d'art contemporain remplis de transgressions, de déchets, d'obscénité, de vulgarité, refusant la moindre place à une recherche plastique un peu profonde ; voyez l'architecture officielle multipliant les acrobaties formelles pour le plus grand inconfort des usagers. confort et convivialité ont été remplacés par sécurité et créativité.
Travailler dans des bureaux désagréables à vivre sur un outil informatique devenu d'une complexité kafkaïenne à force de mots de passe et de potentialités est devenu l'idéal de l'homme moderne.
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Écrit par : Guadet / | 21/04/2018

ON CASSE

> Sans parler de l'humour. On ne rigole plus, on ne blague plus, on vanne, on casse, on détruit. Ce sont les expressions de mes élèves et elles décrivent bien l'état d'esprit de la chose actuelle que certain osent encore appeler humour...
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Écrit par : VF / | 21/04/2018

DÉMACRONNAGE

> A regarder, Philippe Lamberts qui remet notre Danube de la pensée nationale à nous, à sa place au Parlement Européen: https://www.facebook.com/laveritesurnotremonde/videos/187240468564348/UzpfSTEzNDg1NTIxMDE6MTAyMTY4MTc4MDc1NDEzNTU/
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Écrit par : ND / | 21/04/2018

MOUCHÉ

> Par rapport à mon précédent commentaire, pour ceux qui ne pourraient pas aller sur fb: https://reporterre.net/VIDEO-Au-Parlement-europeen-le-depute-Philippe-Lamberts-a-vertement-critique-M Ca fait bien plaisir de le voir se faire moucher.
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Écrit par : ND / | 21/04/2018

LAIDEUR

> On en a peu conscience, mais l'une des violences les plus terribles (et la plus insidieuse) est la laideur qui envahit tout...
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Écrit par : Philippe / | 24/04/2018

'CLASH'

> Raconté par ma fille (5e collège public) : un concours de "clash" à la récré... le but du "jeu" ,comme dit plus haut dans le commentaire de VF : casser, humilier, détruire...
Tout ça entre deux interventions en classe d'associations contre le harcèlement, et de travaux sur le "vivre ensemble" et le "parcours citoyen"...
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Écrit par : cristiana / | 25/04/2018

Les commentaires sont fermés.