05/04/2018
SNCF : qui veut la peau des services publics ?
Ne soyons pas dupes de la version officielle, regardons la réalité :
Extraits du dossier du Monde diplomatique (avril 2018) :
1. Dans quelle stratégie générale s'inscrit la "réforme" de la SNCF :
<< L'hôpital public gère des flux de patients selon le budget de la Sécurité sociale, quitte à renvoyer chez eux des malades incapables de se débrouiller seuls, plutôt que de produire des soins en fonction des besoins de la population. L'université, créée pour former des esprits critiques et les pousser vers les plus hauts accomplissements, travaille désormais à l'équilibre des comptes et aligne ses exigences sur celles du marché du travail. La Poste, fondée pour rendre un service universel de communication, se transforme en prestataire pour Amazon. France Télécom, séparée de la Poste puis privatisée, n'a plus vocation à équiper le pays en infrastructures ni à servir ses usagers, mais à vendre des produits, à conquérir des parts de marché, à satisfaire des actionnaires. Installée sur le marché international de l'énergie, EDF rachète des entreprises privatisées au Royaume-Uni. Quant à la SNCF, son obsession des lignes rentables à grande vitesse l'a conduite à sacrifier le transport de marchandises au profit de la route et à négliger les lignes conventionnelles... >> (Pierre Rimbert)
2. Le cas particulier de la SNCF :
<< Certaines lignes Intercités se voient aujourd'hui menacées, en particulier les dessertes transversales jugées trop peu rentables - ce qui ne manque pas d'étonner dans une ère de supposée décentralisation où il faudra bientôt passer par Paris pour se rendre de Lyon à Bordeaux. La réforme annoncée vise surtout la marque TER, version locale et à bas coût du transport ferroviaire, péniblement supportée par la compagnie qui n'en veut plus. On le suppose, du moins, en observant cette continuelle réduction du service qui conduit une partie des usagers à se replier sur le transport routier. [...] Après tant de dégradations, le rapport Spinetta nous informe aujourd'hui que le fonctionnement réduit des petites lignes coûte encore trop cher, et qu'il va falloir trancher dans le vif.
[...] Voilà vingt bonnes années que les élus de la nation, soutenus par les médias unanimes, n'ont pas de mots assez fervents pour affirmer leur engagement écologique et leur foi dans le développement durable. Du Grenelle de l'environnement à la COP 21, tous ont pieusement approuvé [...] la nécessité de favoriser le train face à la voiture individuelle, d'assurer le maillage du territoire et de développer le fret ferroviaire pour contenir le trafic de poids lourds. Mais voici également vingt ans que le réseau ferroviaire se transforme à l'inverse de ces directives, comme si les proclamations vertueuses et le système économique étaient simplement incompatibles. [...] Le train est devenu cet avion sur pattes reliant quelques points à forte densité de population, à charge pour chacun de se débrouiller ensuite... >> (Benoît Duteurtre)
C'est l'engrenage. L'idéologie du libre marché et de la rentabilité absolue, ADN du libéralisme, détruit "la notion même de service public" alors que les citoyens en auraient vitalement besoin face à la menace d'une nouvelle crise systémique rendue proche par l'énormité sans précédent de la sphère financière. Un sondage des Echos en mars dernier montrait que 65% des Français - et même 58% des ex-électeurs de M. Fillon (les plus acquis à l'idole Argent [*]) - restaient attachés à l'idée de participations de l'Etat dans les entreprises. Mais l'exécutif et la majorité des élus sont dans le mensonge objectif : leurs actes démentant sans cesse leurs paroles, ils se proclament amis du bien commun tout en le bradant, schizoïdie que M. Macron voile de son "en même temps".
Faut-il y voir aussi l'effet de notre américanolâtrie, avide de transposer dans le petit Hexagone la formule ferroviaire US faite pour relier des mégapoles à travers un continent ? Ce serait encore un exemple du réflexe de vassalité de la classe dominante française... (au moment où la Deutsche Bahn donne l'exemple inverse, en fermant sa filiale bus pour se recentrer sur les lignes locales).
Ne soyons pas dupes des éléments de langage martelés par les ministres et répétés par les radio-trottoirs. Il ne faut pas disloquer le ferroviaire français - ce qui se terminerait par sa vente à la découpe ! Bien au contraire il faut le refonder, autour des trois principes dégagés par le dossier du Monde diplomatique : 1. qualité et universalité du service public, 2. unité et aménagement du territoire, 3. création d'institutions de propriété collective indépendantes de Bercy. Mais pour cela, il faut renouer entre le bien commun et l'Etat un lien rompu depuis l'occupation des pouvoirs publics par les néolibéraux ! Ce serait indiscutablement une révolution. Pour la philosophie de cette révolution, proposons une relecture urgente de Laudato Si'...
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[*] Donc aussi les plus hostiles au pape, selon le récent sondage BVA du Figaro.
12:40 Publié dans Idées, Politique | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : sncf, libéralisme
Commentaires
RIGIDES
> Il faut reconnaître que la rigidité mentale des dirigeants (et syndicalistes?) de la SNCF a lourdement joué dans la création de la situation actuelle. j'ai vu de mes yeux, des trains "corail" de 8 voitures circuler (c'était entre Bourg-en-Bresse et Lons-le Saunier)avec 15 passagers: 8 voitures de 40 tonnes + 1 motrice de 80t cela fait 400t d'acier circulant pour 15 personnes, soit la capacité de deux minibus, comme écologie, on fait mieux! On a fini par mettre des rames légères, mais après des années!
Autre exemple, le faible taux de ferroutage c'est à dire transport de camions sur des navettes ferroviaires. La SNCF ne s'est pas mobilisé là dessus car cela fait intervenir d'autres transporteurs. Quand un transporteur britannique livre en Italie, on met le camion sur un train à l'entrée du tunnel sous la Manche, on le remet sur la route à Sangatte et... sur un autre train à l'entrée du tunnel du Mont-Cenis. C'est débile de ne pas traverser la France sur un même train!
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/04/2018
UN RAPPORT
> "ils se proclament amis du bien commun tout en le bradant" La classe politique me fait penser aux frères de Joseph dans la Bible qui balancent leur frère au fond d'une citerne puis décident de le vendre à des marchands d'esclaves. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils sont parfaitement conscients.
Il suffit de regarder ce rapport du Sénat de 1996 sur le libéralisme en Nouvelle-Zélande. Tout y est fabuleux selon nos parlementaires. Si c'était si bien, ils avaient qu'à aller y habiter. On ne les aurait pas retenus. La réalité c'est que lorsqu'un cherche un peu on apprend que ce pays a découvert la toxicomanie, la délinquance, la pauvreté, le racisme contre les Maoris... suite au libéralisme des années 80. Lisez ce rapport, vous découvrirez ce que rêvent de faire depuis plus de 30 ans les européistes de tous poils. Ce que les néo-zélandais ont fait en 7 ans l'Europe le fait par petits morceaux. Quelles raisons aurait-on d'appliquer les mêmes recettes si ce n'était pour parvenir au mêmes buts? Voir: https://www.senat.fr/ga/ga-027/ga-027_mono.html
ND
[ PP à ND - Ça me rappelle un ultralibéral très à droite me disant il y a vingt ans : "Il faut faire le revenu universel, parce qu'étant forcément réservé aux Français il exclura les immigrés." On savait que le revenu universel ultralibéral a pour but d'officialiser une société à deux étages sans ascenseur commun ; en fait ce serait une société à trois étages.]
réponse au commentaire
Écrit par : ND / | 05/04/2018
LES LIBÉRAUX ET LEURS PIGEONS
> On peut aussi ajouter, c'est un ami qui a bossé dans la finance qui m'a sympathiquement expliqué cela: lorsque l'on découpe une activité en deux, type "toi tu prends les voies ferrées" et "moi je les exploite", il y a toujours un pigeon. C'est même à cela que sert ce type de montage.
Par exemple, je construis un bâtiment, j'y installe une maison de retraite, je trouve des braves gens à qui je vends des parts (je leur fait acheter le bâtiment) et moi je crée une société qui l'exploite. Si jamais ça tourne mal, j'abandonne l'exploitation, et les pigeons qui ont tous acheté des chambres en maison de retraite se retrouvent avec un bâtiment dont personne ne veut et qui ne vaut rien. Moi je n'ai pas tout perdu. On comprend mieux la raison du déficit de RFR: c'était le pigeon. https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_ferr%C3%A9_de_France
La réalité c'est qu'un service public n'est pas une activité commerciale. Et je ne suis même pas sûr que les critères qui servent à définir une activité commerciale soient fort sérieux. On doit encore une fois avoir affaire à un gros bricolage complètement bidon des charlatans des pseudo-sciences sociales.
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Écrit par : ND / | 05/04/2018
L'U.E. FERA DISPARAÎTRE LES T.E.R.
> L'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'UE impose la mise en concurrence de tous nos services publics.
https://www.upr.fr/actualite/ne-trompons-de-combat-mise-concurrence-destruction-de-sncf-consequence-directe-de-appartenance-a-lunion-europeenne.
Le financement des TER par les régions étant une entrave à la libre-concurrence, les TER sont simplement voués à disparaître.
Conclusion : nous allons continuer à payer nos impôts, sans ne plus avoir aucun service public.
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Écrit par : Isabelle Meyer / | 06/04/2018
@ ND
>Au contraire! Regardez le cas du réseau routier: s'il appartenait aux transporteurs et aux automobilistes, les routes de campagne seraient à l'abandon, comme des milliers de km de lignes ferroviaires qui ont été démantelées et leurs gares vendues.
Le meilleur moyen de sauvegarder ce qui reste encore de réseau ferré, serait de le rattacher directement au ministère de l'Equipement afin que son entretien soit assuré par les budgets publics, Etat ou collectivités locales. Quant à être pigeon ou pas, c'est une histoire de niveau de péage à imposer à ou aux exploitants.
Illustration: on peut regretter que les gares de lignes actives aient été attribuées à la SNCF Mobilité qui en a vendu, rendant impossible leur réouverture.
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/04/2018
LE SACCAGE DES LIGNES CLASSIQUES
> https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/DUTEURTRE/58542
La ligne Nancy-Saint-Dié, qui est également celle que je fréquente, est un exemple du saccage des lignes classiques au profit du tout-TGV. Avant 2007, la grande médiane Paris-Strasbourg irriguait de nombreuses agglomérations, petites ou grandes : Saverne, Sarrebourg, Lunéville, Blainville-Damelevières, Commercy, Vitry-le-François, etc. La ligne voyait quotidiennement le passage de trains vers Vienne et Budapest.
Depuis l'ouverture de la LGV Est-Européenne, la Marne, la Meuse, le Sud et l'Est de la Lorraine sont enclavés, n'étant plus reliés comme ils l'étaient jadis. On a sacrifié la vie de gares rurales et l'entretien des lignes secondaires au profit de quelques minutes gagnées sur le temps de parcours au départ des seules grandes villes, en premier lieu Strasbourg. Dans le cas de Nancy, la liaison avec Paris est passée de 2h30 à 1h30 (hors retards), avec à la clef une LGV à entretenir, un impact environnemental loin d'être négligeable... et un embrasement du prix du billet.
Du coup, les lignes réellement rurales sont littéralement supprimées, faute d'argent. En Lorraine, la ligne Nancy-Vittel-Contrexéville ne voit plus passer de trains depuis plusieurs mois, malgré l'existence d'un collectif de sauvegarde. La télévision japonaise a même réalisé une émission sur cette fermeture, justifiée depuis Paris par l'exigence de rentabilité : les lourds trains d'eau minérale sont désormais remplacés par de polluants camions. Heureusement que la France est leader de la lutte contre le rechauffement climatique !
https://www.vosgesmatin.fr/edition-de-la-plaine/2017/04/03/vosges-la-tele-japonaise-au-chevet-de-la-ligne-14-a-la-gare-de-vittel
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 09/04/2018
NOS CAFÉS
> Concernant l'américanolâtrie de nos compatriotes, un exemple significatif. Habitué de la gare de l'Est depuis trente ans, je me souviens qu'à l'époque, le grand hall était occupé de plusieurs cafés qui servaient des jambon-beurre. Aujourd'hui, des Starbucks les ont remplacés. On y sert un café standardisé, supposé être le même que l'on soit à Seattle ou à Pékin ; des muffins accompagnent le tout. Voir Paris et le reste du pays envahis de Starbucks, comme nous le sommes déjà de McDonald's, est une réalité dérangeante. Le mode de vie américain n'a pas à être exporté chez nous : protégeons nos cafés !
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 09/04/2018
@ Philippe de Visieux
> Mais voyons, l'avenir appartient aux villes-mondes interconnectées et peuplées de déracinés, pas aux péquenots attardés des petites villes !
Les choix de l'Etat et de la SNCF ne sont pas seulement économiques mais philosophiques.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/04/2018
MAINTENANT
> Le texte dit : "bientôt pour aller Bordeaux à Lyon il faudra passer par Paris", ce n'est pas bientôt, c'est aujourd'hui. Et pire prendre l'avion coûte moins cher, et et plus rapide même avec une réduction SNCF carte jeune.
Je viens d'en faire l'expérience pour mon fils. Bordeaux Chambéry par la SNCF coût (auquel il faut ajouter le ticket de métro) 102,80 € en 7h12 / avion : navette Bordeaux aéroport 8,9€, avion easy jet 40€ + 11,5€ bagage soute,bus aéroport Lyon Chambéry 17€, total 77,4€ en 5h30 (en comptant le fait d'arriver + d'1 heure avant pour l'enregistrement bagage). Soit donc malgré un tarif jeune côté train (et je ne compte l'achat 50€ de la carte jeune) : gain 1h30 et 25,4€.
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Écrit par : franz / | 13/04/2018
LE DÉPEÇAGE A COMMENCÉ
> Préparant un voyage à Rome cet été, je viens de découvrir que la SNCF n'assure plus les lignes avec l'Italie. C'est à la société Thello qu'elle a passé le bébé, avec au passage réduction drastique de "l'offre" pour parler comme un commercial. Le train de nuit Paris-Rome que je prenais naguère n'existe tout simplement plus : il faut changer à Milan, et Thello ne fait pas circuler ses trains quotidiennement, loin de là.
Le dépeçage de la SNCF a déjà commencé : on coupe la bête en morceaux et on ne garde que ce qui rapporte. La définition du service public, selon M. Pépy.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 20/04/2018
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