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10/09/2017

Un événement chrétien : le témoignage du Père Siniakov

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Un livre essentiel !   à lire sans attendre :


 

 

Une idée fausse veut que l'orthodoxie (russe) soit : 1. le temple de l'immobile, 2. l'aumônerie des nationalismes. D'où l'affection que lui portent nos zélotes français du Conservatisme, qui ne supportent plus l'Eglise catholique depuis l'arrivée du pape François ! Pour eux la religion ne doit être qu'un refuge de pompe et d'encens. Drapé dans les ors et la circonspection, le dignitaire religieux doit trôner hiératique, ne bouger que pour des gestes multiséculaires, et ne jamais parler de sujets sociaux qui pourraient "diviser les âmes" et les pousser "au péché" - c'est-à-dire à fâcher le tsar local...

1442357-1915126.jpgMais cette orthodoxie fantasmée ne coïncide pas avec l'orthodoxie réelle : du moins celle de personnalités comme le Père Alexandre Siniakov [photo], 36 ans, successivement représentant du Patriarcat de Moscou auprès de l'UE, responsable des relations oecuméniques et publiques du diocèse de l'Eglise russe en France, et supérieur depuis 2009 du premier séminaire russe en Occident, à Epinay-sous-Sénart dans l'Essonne. Le Père Alexandre vient de publier un livre que je recommande à tous : Comme l'éclair part de l'Orient. Cet ouvrage de foi et d'intelligence tient du témoignage existentiel et de la méditation évangélisatrice. Il enthousiasmera tout lecteur qui croit en Jésus-Christ. J'ajoute que la vision chrétienne qui s'y exprime converge avec le catholicisme vrai, et j'en propose ces quatre exemples :

 

 

UNIVERSALISME

<<  La révolution [de] Jésus fut un choc pour ses disciples israélites. Les Actes des apôtres en donnent la mesure en décrivant les difficultés éprouvées par le Seigneur pour parvenir enfin à ouvrir son principal disciple, Pierre, à l'idée de l'universalité du peuple élu. [...] Il a fallu [à Pierre] voir avec stupéfaction l'Esprit Saint descendre sur des païens incirconcis pour enfin confesser l'impartialité de Dieu. [...] Face à cette intervention directe de Dieu, la première génération de chrétiens a dû reconnaître "que Dieu a donné aussi aux nations païennes la conversion qui mène à la vie", pour définitivement renoncer au nationalisme religieux... >>

<<  Le cosmopolitisme chrétien n'est en rien un refus des différences, pas plus qu'un danger pour les spécificités culturelles et linguistiques des peuples. [...]  La catholicité [au sens étymologique]  n'est pas une menace pour les particularités des personnes et des peuples. Elle est en revanche incompatible aussi bien avec toute forme d'impérialisme qu'avec le chauvinisme national. Dans la perspective de l'Evangile, toutes les nations et cultures ont la même valeur. Cette valeur est certaine, égale, mais relative : c'est la valeur de ce qui est éphémère, de ce qui est condamné à disparaître. Seul restera l'Homme nouveau, transfiguré à l'image du Christ et rayonnant de la gloire de Dieu.  [...]  La patrie est sans doute aussi indispensable et aussi affairée que Marthe. Mais je crois qu'avec Marie la catholicité cosmopolite a la meilleure part - celle qui ne lui sera pas ôtée...  >>

<<  Toute déification est fraternisation : Dieu est devenu homme pour que l'homme devienne le gardien de son frère.  >>

 

LITURGIE

 <<  Il existe un monophysisme ecclésiologique. Il se traduit, selon Lossky, "par le désir de voir dans l'Eglise un être divin par excellence, où chaque détail est sacré, où tout s'impose avec un caractère de nécessité divine, où rien ne peut être changé ni modifié, car la liberté humaine, la "synergie", la coopération des hommes avec Dieu n'ont pas de place dans cet organisme hiératique qui exclut le côté humain : c'est une magie du salut s'exerçant dans les sacrements et les rites fidèlement accomplis" [...]  Quand elle n'est pas interprétée comme un rite rigide et immuable, mais comme l'expression d'une tradition vivante ininterrompue et inépuisable qui inclut le passé, le présent et annonce l'avenir, c'est alors qu'on ressent vraiment la présence du Christ au milieu de ses disciples et qu'on entend "le bruit venant du ciel et le souffle d'un violent coup de vent" de l'Esprit de Dieu.  Alors la Tradition échappe à l'immobilité factice et précaire à laquelle la réduisent la haine des iconoclastes et l'adoration des ritualistes : elle accède à une forme de transparence du Royaume. >>

 

TRADITION

<<  Les chrétiens ne sont pas les gardiens passifs d'un dépôt statique et intouchable, mais "des témoins éclairés par l'Esprit Saint". [C'est] une réappropriation créative de ce que Georges Florovsky appelle "la mémoire de l'Eglise" [...] La Tradition vit et croît, parce qu' "elle n'est pas une fidélité obstinée au passé de l'Eglise, y compris au passé apostolique en tant que passé, en tant qu'époque particulière". "La Tradition, dit-il, n'est qu'un témoignage de l'Esprit qui révèle et renouvelle continuellement ce message qu'il a jadis déposé dans l'Eglise..."

 

LA TENTATION

<<  Ce n'est pas aux antipodes du bien qu'il faut chercher le mal, mais dans son invisible corruption - dans ce drame intime qui précipita la chute des mauvais anges, la trahison de Judas et l'apparition d'antéchrists au coeur même des premières communautés chrétiennes. De chacune de ces créatures, le Créateur peut dire ce que Jean en a écrit dans sa première épître : "Ils sont sortis de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres"... >>

 

Sur la naissance de la foi dans le coeur et l'intelligence, sur l'économie et l'argent, sur les intégrismes, sur le concile orthodoxe russe de 1917-1918  ("prodigieux sursaut de la catholicité chez les chrétiens de Russie après des siècles de léthargie liée au statut d'Eglise d'Etat" [1]), sur l'oecuménisme, sur l'ecclésiologie, le livre ouvre des perspectives profondes. Quant à l'avenir missionnaire du catholicisme en France, pays que le Père Alexandre connaît à fond : "Mon optimisme à ce sujet n'a cessé de grandir au cours des dernières années..."

 

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[1]  Concile étouffé aussitôt par la Révolution d'octobre. Ce Vatican II russe est jugé "extraordinaire" par le P. Alexandre Siniakov : l'étudier, dit-il, "m'a conforté dans mon amour de l'Eglise de Russie. Depuis, lorsque je suis troublé en constatant ici et là certains progrès de la lettre sur l'esprit, je me rassérène en songeant que l'Eglise qui a tenu un tel concile, abordé avec une telle honnêteté et lucidité les problèmes de notre institution si souvent compromise avec le monde, et qui a eu le courage de se remettre si radicalement en question, ne se laissera jamais dominer par l'esprit d'enfermement, de cléricalisme et de nationalisme." Inutile de préciser qu'aujourd'hui les intégristes de Russie vitupèrent rétrospectivement ce concile orthodoxe : autant que nos intégristes vitupèrent Vatican II et le pape François.

 

Commentaires

RUPTURE AVEC LE NATIONALISME

> Dans le thème de la rupture avec le nationalisme, on peut aussi s'intéresser aux travaux de Jacques Cazeaux. J'ai pu assister, en 2015, à une série de trois conférences de cet exégète, aux Alternatives Catholiques à Lyon, sur le thème de la royauté et de la Bible. C'était extraordinaire !
Il a bien sûr parlé du Ier Livre de Samuel et du peuple hébreu qui, se rebellant contre Dieu, demande au prophète Samuel de lui sacrer un roi sur le modèle des nations païennes.
Il est en aussi venu à aborder les Actes des Apôtres. Dans le passage qui est lu à l'Ascension, les Apôtres demandent au Christ ressuscité quand il compte restaurer la royauté en Israël. Avec son humour, Jacques Cazeaux dit que Jésus aurait dû les foudroyer parce que, avec tous les textes de la Bible juive qui critique l'idolâtrie du pouvoir, les actes de la vie publique de Jésus qui fuit les foules voulant le proclamer roi, ils n'ont pas toujours pas compris.
Après, Jésus retourne vers le Père et les anges disent aux Apôtres : "Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l'avez vu allant au ciel." Jacques Cazeaux dit que la façon dont les anges s'adressent à eux est significative : ils les appellent "Galiléens" et non pas "juifs" ou "disciples de Jésus" ce qu'ils sont aussi. En les renvoyant à leur identité galiléenne, ils veulent les guérir de leur nationalisme parce que la Galilée est une terre mélangée entre Juifs et non-Juifs.
Il n'en a pas parlé, mais je me demande si je n'est pas la même logique avec le récit de la Résurrection dans saint Matthieu, où les anges disent aux femmes qui sont au tombeau vide de dire aux disciples que le Ressuscité les précède en Galilée et où, ensuite, le Ressuscité lui-même leur demande la même chose.
Par ailleurs, Jacques Cazeaux a le don de rendre intéressants les textes de l'Ancien Testament qui nous semblent si bizarres. Il dit que, dans le livre des Juges, qui ne rapporte guère de faits historiques, on trouve une puissante critique de l'idolâtrie du pouvoir. Les "juges", mauvaise traduction de l'hébreu "sofet" ("softim" au pluriel), exercent leur pouvoir alors que le peuple hébreu n'a pas encore de roi : de façon temporaire, le temps que le danger d'une invasion soit écartée. Jacques Cazeaux distingue les "bons" juges, ceux qui accomplissent leur mission puis abandonnent le pouvoir, une fois le danger écarté. Le texte biblique ne dit presque rien d'eux. Au sujet de l'un d'eux, il dit qu'il a tué un millier d'ennemi avec un aiguillon. C'est absurde matériellement, mais Jacques Cazeaux explique que c'est la façon du texte de refuser de s'étendre sur les actions des "bons juges", parce que le bien ne fait pas de bruit. Il fait le lien avec un passage des évangiles où une femme accomplit un geste de charité et où l'évangéliste ne veut pas même pas donner son nom.
Par contre, au sujet des "mauvais juges" - ceux qui ne veulent pas accomplir leur mission, qui veulent profiter du pouvoir pour s'enrichir, qui veulent conserver le pouvoir pour devenir rois etc -, le Livre des Juges consacre de longs chapitres à décrire leurs mauvaises actions. Au milieu du livre, la fable des arbres tourne en ridicule la gloriole royale humaine. Les arbres se cherchent un roi, ils s'adressent à un olivier, à un figuier puis à un plant de vigne. Tous les trois refusent de se "balancer au-dessus des autres" d'après une traduction proche de l'hébreu. Au passage, il fait remarquer que la succession de ces trois arbres a un sens : l'olivier est un arbre dont les fruits se consomment par une transformation pour en faire de l'huile ; le figuier est un arbre, au contraire, dont les fruits se consomment directement sans transformation ; et le fruit de la vigne cumule les deux qualités : on peut manger directement le raisin comme le transformer en vin. Seul le buisson d'épines accepte d'être roi, en ces termes : « Si vraiment vous voulez me choisir comme roi, venez vous placer sous mon ombre ! Si vous ne le faites pas, qu’un feu jaillisse de mes épines et brûle même les cèdres du Liban ! » Pour Jacques Cazeaux, c'est une annonce de la Passion du Christ. Le buisson d'épines de la fable préfigure la couronne d'épines, quand au "feu" qui jaillira des épines, il vient consumer l’idolâtrie du pouvoir. Et se placer sous son "ombre" c'est se placer sous l'ombre de la Croix qui détruit aussi cette idolâtrie.
Dommage que je n'aie pu assister à ses autres conférences, données l'an dernier, mais le site Internet des Alternatives catholiques en donnent des comptes-rendus, comme celui-ci : https://www.lesalternativescatholiques.fr/2016/12/07/atelier-bible-et-politique-compte-rendu-du-15-novembre-2016/
Autre exégèse surprenante de Jacques Cazeaux : le centurion, qui enfonce sa lance dans le côté du Christ, est un non-juif qui ne se tient au côté d'un juif, comme, dans l'Ancien Testament, après la mort de toute la génération de l'Exode il ne reste de cette génération, sur le seuil de la Terre promise, que Moïse, l'Hébreu, et Kaleb, le non-Hébreu intégré au peuple hébreu.
Dans un autre commentaire, Jacques Cazeaux voit aussi une critique de l'idolâtrie du pouvoir royal dans la généalogie de Jésus donnée au début de l'évangile de Saint-Matthieu. Le roi David y occupe une place centrale, quatorze générations d'Abraham au roi, autant jusqu'à l'Exil et autant encore jusqu'à Jésus. Quatre femmes seulement, de l'Ancien Testament, sont nommées parmi parmi ses ancêtres : Tamar, qui utilisa un stratagème pour connaître bibliquement son beau-père Juda en se faisant passer pour une prostituée; une vraie prostituée avec Rahab ; Ruth la Moabite, lointaine descendante de Moab, issu de l'inceste entre Lot et ses filles. Ces femmes et leurs histoires sordides sont là (entre autres raisons) pour ternir le prestige de la dynastie, et le clou est encore enfoncé plus profondément avec David lui-même : l'évangéliste rappelle son adultère quand il a engendré Salomon avec la "femme d'Urie". Et enfin, le décrochement final se produit avec Joseph qui n'est que l'époux de Marie mère de Jésus.
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Écrit par : Aurélien Million / | 10/09/2017

HEUREUX

> Heureux de voir que l'Evangile est source de renouvellement aussi chez nos frères orthodoxes. L Christ est une révolution spirituelle permanente.
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Écrit par : jf.devred / | 11/09/2017

SINIAKOV ET FRANÇOIS

> « La Tradition n'est qu'un témoignage de l'Esprit qui révèle et renouvelle continuellement ce message qu'il a jadis déposé dans l'Eglise... ». Les chétiens sont avant tout « des témoins éclairés par l’Esprit Saint. »… « Toute déification est fraternisation : Dieu est devenu homme pour que l'homme devienne le gardien de son frère. »
Je ne peux m’empêcher de mettre ces propos du P. Alexandre Siniakov en résonance avec le magistère de François, lorsqu’il appelle à une pastorale du « corps à corps » (Lettre du pape aux évêques de la région de Buenos Aires, 5/09/2016) et lorsqu’il invite, dans « Amoris Laetitia », les responsables pastoraux à mieux accueillir les personnes en « cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Evangile », et donc à mieux « accompagner, discerner et intégrer » leur fragilité à cet égard.
A noter, à propos d’« Amoris Laetitia », le Message de la Conférence des évêques suisses à l’adresse des agents pastoraux, prêtres, diacres et laïcs, qui vient d’être publié
( http://www.bischoefe.ch/dokumente/botschaften/message-amoris-laetitia-2017 ; il est également relayé par l’excellent « Suisse romain » – http://lesuisseromain.hautetfort.com/ ).
Un modèle de compréhension et d’explication de la pensée profonde du pape.
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Écrit par : Denis / | 11/09/2017

SYLVANÈS

> Pour avoir rencontré -et apprécié- Alexandre Siniakov plus d'une fois à Sylvanès et à l'église russe de Sylvanès, j'ai hâte de lire ce livre !
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Écrit par : Michel de Guibert / | 11/09/2017

INDIVISE

> Beaucoup de sagesse et de tempérance dans la pensée et la personne du père Siniakov. N'oublions pas d'ajouter qu'il est proche du patriarche de Moscou et qu'il milite pour un retour à l'Église indivise du premier millénaire, sa démarche œcuménique n'étant pas totalement étrangère à son implantation en France : "je souhaite que le schisme entre l’Orient et l’Occident touche à sa fin, cette séparation est une grande souffrance pour moi. J’ai des amis prêtres catholiques et des amis prêtres orthodoxes et je souffre que nous ne puissions partager le sacerdoce et l’unité ecclésiale."
https://www.lecourrierderussie.com/societe/2013/01/le-pere-alexandre-siniakov-je-souhaite-que-le-schisme-entre-l-orient-et-l-occident-touche-a-sa-fin/
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 12/09/2017

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