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14/06/2017

Quand l'argent infiltre et dévitalise les pouvoirs publics

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Co-auteur du livre (cf. ici 13/06), Antoine Vauchez souligne la gravité de la situation pour "le circuit de la décision politique, administrative et judiciaire". Extraits de sa tribune :


 

 

<< ...L’Etat dans son ensemble est comme atteint de myopie tant il manque de connaissances systématiques de ce qui se trame à ses frontières. On ne sait rien, ou si peu, sur les réseaux d’influence qui se sont constitués aux marges de la sphère publique ; rien, ou si peu, sur les circuits de pantouflage dans lesquels s’inscrivent aujourd’hui les très hauts fonctionnaires et les dirigeants politiques (ministres, membres de cabinets ministériels, cadres dirigeants des agences de régulation, etc.) ; rien enfin, ou si peu, sur les contours de ce marché des professionnels en "affaires publiques" qui s’est développé à la périphérie de l’Etat. Pourtant, une politique de l’influence s’est consolidée, elle colle comme une seconde peau au circuit de la décision politique, administrative et judiciaire (française et européenne). Deux décennies d’ouverture à la concurrence des secteurs dits "monopolistiques", de développement des partenariats public-privé, de «privatisation» des opérations financières publiques mais aussi d' "agencification" de l’encadrement des marchés autour d’institutions comme l’Autorité de la concurrence ou l’Autorité des marchés financiers ont fait des "régulateurs publics" des acteurs clés de l’organisation des marchés privés et, par voie de conséquence, des cibles privilégiées des stratégies d’influence. Et ce dans des domaines aussi divers que la santé, l’énergie, les transports, la banque, les télécommunications, etc. Aux périphéries de l’Etat économique et financier, s’est ainsi formé un marché florissant du droit public des affaires et des affaires publiques dont le champ gravitationnel se fait ressentir à tous les niveaux de la décision publique.

La chose a peut-être des vertus en termes d’efficacité de l’action publique mais elle a aussi un coût politique et démocratique. C’est d’abord le renforcement de la capacité politique des grands groupes, qui peuvent peser sur les différents lieux et niveaux de la régulation publique - d’où la difficulté des causes citoyennes, qu’elles soient sociales, environnementales, ou anticorruption à s’y frayer un chemin. C’est aussi une perte d’efficacité de l’action publique elle-même dont la capacité régulatrice sur le terrain économique et financier se trouve déjouée par l’expertise publique accumulée par les groupes privés et les cabinets de conseil. C’est enfin l’affaiblissement des jauges déontologiques internes à l’administration sous l’effet de ce jeu de circulations entre "régulateurs" et "régulés", et la mise en échec des contrôles politiques et parlementaires mal équipés pour saisir ce qui se joue dans cette zone grise aux frontières de la démocratie. >>

 

(Libération / Idées, 14/06)

 

 

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Commentaires

LAISSER PARLER

> Ayant moi-même publié des livres, je suis bien placé pour savoir que les idées subversives qu'on peut y développer n'ont plus guère d'influence. Le système totalitaire actuel a tiré les leçons de ses prédécesseurs : il est moins efficace d'interdire l'opposition que de la laisser parler pour la laisser se déconsidérer elle-même ou pour la ridiculiser ou l'étouffer. C'était déjà la politique que l'Empire romain voulait avoir envers Jésus : sans la réaction homicide de la foule, il pouvait réussir à contrecarrer sa mission.
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Écrit par : Guadet / | 14/06/2017

RAPPORT DE FORCES

> Retour de flamme d'un défaut de notre organisation: l'omniprésence de l'Etat. Ce manque de délimitation entre le domaine politique et l'économique favorisait l'Etat, jusqu'au jour ou trop de traités supranationaux l'ont affaibli, inversant le rapport de force et d'influence.
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Écrit par : Pierre Huet / | 14/06/2017

LE BLASPHÈME DE LA CORRUPTION

> Combattre la corruption dans l'Eglise et la société, préface du pape François pour l’édition italienne du livre du cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson

Article du 'Corriere della Sera' 15/06/2017:
http://www.corriere.it/cronache/17_giugno_15/lottiamo-insieme-4360d952-513c-11e7-bc37-00d42cea320f.shtml

« Dans son étymologie première, la corruption définit une lacération, une rupture, une décomposition et une désintégration.
Si l’on étudie les relations qui traversent l’homme dans sa nature profonde, on peut comprendre l’action de la corruption aussi bien comme un état intérieur que comme un facteur social. En effet, l’être humain est en relation avec Dieu, avec son prochain, ainsi qu’avec les créatures c’est-à-dire avec l’environnement dans lequel il vit. Cette triple relation – comprenant également la relation de l’homme avec lui-même – constitue le contexte de son action, et en général de sa vie.

Corruption
L’homme est honnête lorsqu’il respecte les exigences de ces relations, assume ses responsabilités avec une droiture de cœur et pour le bien commun. En revanche, lorsqu’il chute, c’est-à-dire qu’il cède à la corruption, ces relations se déchirent. La corruption exprime donc la forme générale d’une vie désordonnée typique de l’homme déchu. En même temps, également conséquence de cette chute, la corruption traduit une conduite antisociale si forte qu’elle en vient à détruire les relations, et par conséquents les piliers sur lesquels se fonde la société : la coexistence entre les personnes et la vocation à la construire. La corruption brise tout cela, substituant au bien commun l’intérêt particulier qui vient contaminer toutes les perspectives générales. Cela vient d’un cœur corrompu, et c’est la plaie sociale la pire car elle génère de graves problèmes et des actions criminelles qui touchent tout le monde. Le mot « corrompu » rappelle celui de « cœur rompu » (en italien « corrotto », « cuore rotto »), cœur brisé, taché par quelque chose, abîmé comme un corps qui commence à se décomposer dans la nature et diffuse une mauvaise odeur.

Aux origines de l’injustice
Qu’y-a-t ‘il à l’origine de l’utilisation de l’homme par l’homme? Qu’y-a-t ‘il à l’origine de la dégradation et de l’échec du développement ? Qu’y-a-t ‘il à l’origine du trafic de personnes, d’armes, de drogues ? Qu’y-a-t ‘il, à l’origine de l’injustice sociale et de la disparition du mérite ? Qu’y-a-t ‘il, à l’origine du manque de service aux personnes ? Qu’est-ce-qui-est à la racine de l’esclavage, du chômage, de l’incurie des villes, des biens communs et de la nature ? Enfin, qu’est-ce qui corrompt les droits fondamentaux de l’être humain et l’intégrité de l’environnement ? La corruption qui, en fait, est l’arme, la langue le plus courante des mafias et des organisations criminelles dans le monde. A cause de cela, un processus de mort alimente la culture de mort des mafias et des organisations criminelles. Il s’agit là d’un problème culturel profond auquel il faut faire face. Aujourd’hui, tant de personnes ne peuvent pas imaginer ne serait-ce que leur futur; aujourd’hui un jeune parvient difficilement à croire en son avenir, quel qu’il soit, et il en est de même pour sa famille. Ce changement d’époque qui est le nôtre, ce temps de crise si généralisé est emblématique de la crise profonde qui touche notre culture. Dans ce contexte il faut chercher à définir et comprendre ce qu’est la corruption dans ses nombreux aspects. Il en va de la présence de l’espérance dans le monde, sans laquelle la vie perd son sens de quête et la possibilité de l’amélioration de ce qui en constitue le noyau.

L’homme doit être considéré dans toutes ses dimensions
Dans son livre, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, aujourd’hui préfet du Dicastère pour le « Service du Développement Humain Intégral » et ministre de l’ « Environnement de la Justice et de la Paix », explique très bien les ramifications de ces différents types de corruption. Il le fait en étudiant plus particulièrement la source intérieure de cet état qui, justement, germe dans le cœur de chaque homme, et même de tous les hommes. Nous sommes en effet très exposés à la tentation de la corruption. Même lorsque nous pensons l’avoir vaincue, elle peut se présenter à nouveau. L’homme doit être considéré dans toutes ses dimensions, il ne peut pas être divisé en fonction de ses activités. Il faut analyser la corruption de cette façon – ainsi que l’auteur le fait dans ce livre- : d’une seule pièce, comme quelque chose touchant l’homme dans sa totalité, que ce soit lorsqu’elle se présente sous forme de responsabilité pénale, que dans les domaines politiques, économiques, culturels, spirituels. 2016 a été marqué par le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde. La miséricorde permet à l’homme en recherche de se dépasser. Qu’est se passe-t-il lorsqu’on se replie sur soi-même, ou que la pensée et le cœur cessent d’explorer de larges horizons ? On se laisse corrompre, et par là on consent aux attentes triomphantes de ceux qui se sentent plus forts et plus malins que les autres. Mais la personne corrompue ne se rend pas compte qu’elle est en train de s’enchaîner elle-même. L’homme pécheur peut demander pardon, l’homme corrompu n’y pensera pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’éprouve plus besoin de se dépasser, de chercher des chemins le menant au-delà de lui-même : il est fatigué mais repu, imbu de lui-même. En effet, la corruption produit une fatigue de la transcendance. Et il est de même de l’indifférence.

L’identité et le chemin de l’Eglise
Le cardinal Turkson – ainsi que le montre le dialogue suivant avançant petit à petit suivant un itinéraire précis – explore les différents endroits où naît et s’insinue la corruption, de la spiritualité de l’homme jusqu’à ses constructions sociales, culturelles, politiques mais aussi criminelles, unissant ces aspects là où ils nous interpellent le plus : l’identité et le chemin de l’Eglise. L’Eglise doit écouter, s’élever et s’incliner avec miséricorde devant les douleurs et les espérances des personnes, et elle doit le faire sans avoir peur de se purifier elle-même, cherchant avec persévérance le chemin de l’amélioration. Henri de Lubac écrit que la mondanité spirituelle – et donc la corruption- est le danger le plus grand que l’Eglise puisse encourir, plus dramatique encore que la répugnante lèpre. Ce qui nous corrompt c’est la mondanité spirituelle, la tiédeur, l’hypocrisie, le triomphalisme, celui qui consiste à faire passer uniquement l’esprit du monde, de l’indifférence, avant nos vie elles-mêmes. Et c’est en ayant conscience de cela que, hommes et femmes d’Eglise, nous pouvons nous avancer nous, et l’humanité souffrante, surtout celle qui pâtit le plus des crimes et des dégâts causés par la corruption.

Les chrétiens comme des flocons de neige
Alors que j’écris ces lignes, je me trouve au Vatican, en ces lieux d’une beauté absolue dans lesquels l’homme a cherché à s’élever et à se transcender, faisant triompher l’immortel sur ce qui est mortel, corrompu. Cette beauté n’est pas un accessoire de beauté, mais quelque chose qui met au centre la personne humaine, afin que celle-ci puisse s’élever contre toutes les injustices. Cette beauté doit épouser la justice. C’est pour cela que nous devons parler de corruption, dénoncer les maux, comprendre et manifester une volonté d’affirmer la puissance de la Miséricorde sur les aigreurs, la puissance de la curiosité et de la créativité sur la fatigue résignée, la puissance de la beauté sur le néant. Nous, chrétiens et non chrétiens, nous sommes des flocons de neige. Cependant, si nous nous unissons cela peut créer une avalanche, un mouvement fort et constructif. C’est cela, le nouvel humanisme, la nouvelle renaissance, la re-création qui va contre la corruption, et que nous pouvons réaliser avec une audace prophétique. Nous devons travailler tous ensemble, chrétiens et non chrétiens, personnes de toutes religions et non croyants, afin de combattre cette forme de blasphème, ce cancer qui ronge nos vies. Il est urgent d’en prendre conscience, et pour cela nous avons besoin d’une éducation et d’une culture de la Miséricorde. Chacun doit coopérer en fonction de ses propres possibilités, de ses propres talents, et de sa propre créativité.»

Trad: Ellen M.

Écrit par : isabelle / | 16/06/2017

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