13/06/2017
Du talent, et bientôt des super-pouvoirs. Pour quoi faire ?
Navré de troubler le choeur des anges, mais il y a des questions :
Depuis quelques jours, de pieux oracles (qui nous sommaient il y a trois mois d'encenser M. Fillon) chantent les acclamations carolingiennes en l'honneur de M. Macron. Mais la politique n'est pas un exutoire à métaphysique : en principe elle est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire, et on a le droit de se demander ce que M. Macron juge - au fond - nécessaire. Autrement dit : ses grands talents, ce sera pour quoi faire ? dans l'intérêt de qui ?
Le talentueux jeune homme va obtenir des super-pouvoirs que de Gaulle n'avait pas eus. Sa victoire annoncée est énorme. Pratiquement pas d'opposition ; une vie parlementaire circonscrite à des centaines de députés macroniens (au garde-à-vous dans les débuts) ; néanmoins, des ordonnances pour mener au pas de charge des réformes graves dont il aurait fallu débattre. Jusqu'à quel point peut-on déréguler ? Peut-on accepter que ce gouvernement exhume le faux dogme du "ruissellement" selon lequel enrichir les plus riches finit par profiter aux pauvres [1] ? Peut-on laisser plafonner les dommages-intérêts dus aux salariés abusivement licenciés (ce qui encouragera les abus) ? Voilà le genre de questions qui ne seront posées à l'Assemblée que par une poignée de gens, dans l'indifférence de l'énorme majorité.
Pourquoi sera-t-elle indifférente ? Parce qu'elle représentera les heureux de la mondialisation. Voilà le problème.
En 1852, dans Le dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, Marx reprenait les thèses exprimées deux ans plus tôt dans Les luttes de classes en France : "Si au nom du roi [Louis-Philippe] une partie de la bourgeoisie a régné, c'est désormais au nom du peuple que régnera l'ensemble de la bourgeoisie..." Une réunification bourgeoise du même type se réalise dans la conversion macroniste de 2017. Orpheline du fillonnisme, la vieille génération rejoint la jeune sur la base de ce qui fait les décisions bourgeoises : l'intérêt économique de classe. C'est ce qu'explique Thibault Muzergues dans Le Monde du 14/06 : le jeune bourgeois macroniste depuis 2016, c'est "un citadin représentant de la 'classe créatrice' (théorisée par le chercheur américain Richard Florida), vivant en centre-ville, jouissant de revenus confortables, et généralement considéré comme un gagnant d'une globalisation qui lui a offert un niveau de vie satisfaisant". Le bourgeois moins jeune mais devenu macroniste au printemps 2017, c'est celui qui applique la maxime de Lampedusa dans Le Guépard : "il faut que tout change pour que tout reste comme avant". Autrement dit : pour que la bourgeoisie d'affaires - sous ses diverses formes - conserve les rênes au prix de quelques concessions.
On voit ce que représentera l'Assemblée macroniste issue de l'acquiescement collectif que sont ces législatives : une classe sociale. Mais c'est aussi le cas des autres partis (même ratatinés à quelques sièges), souligne Muzergues. La France insoumise est l'expression de membres de "la génération Y, blancs, éduqués, frustrés de ne pas trouver d'emploi ou tout au moins une place dans la société à même d'assouvir leurs ambitions". Quant au lepénisme, il est devenu le porte-voix de vaincus "en voie de paupérisation dans les périphéries urbaines et les zones rurales délaissées" ; c'est d'ailleurs dans le nord-est ouvrier dévasté que le FN fait désormais ses bons scores (quoi qu'en pense l'aile libérale-conservatrice de ce parti).
D'où l'observation de Muzergues : chaque parti politique aujourd'hui se transforme en "super-syndicat". L'un de ces super-syndicats s'empare de "l'ensemble de l'appareil d'Etat"... "De la représentation au clientélisme, du gouvernement majoritaire à la captation prédatrice, il n'y a qu'un pas, qui peut être aisément franchi quand on sait que le pouvoir corrompt."
Le succès d'Emmanuel Macron a consisté à réunifier deux bourgeoisies en tendant la main aux orphelins grisonnants du fillonnisme. C'est une opération réussie. Elle ne doit pas nous cacher les réalités de classe qui font la trame du régime. Ces réalités se montrent spécialement dans ce que décrit le livre de France et Vauchez (récemment paru aux Presses de Sciences Po : Sphère publique, intérêts privés, enquête sur un grand brouillage) : la confusion entre notre monde politico-administratif et les multinationales ou les cabinets d'affaire (français ou américains) qui règnent aujourd'hui sur tous les grands dossiers économiques. Parmi les hauts fonctionnaires "mettant au service des clients leurs réseaux d'anciens collègues et leur connaissance du fonctionnement des administrations", l'enquête identifie cinq des huit derniers secrétaires généraux de l'Elysée ; le neuvième - nommé par M. Macron - inverse le mouvement : lui, il vient des grandes affaires. Tout change, pour que tout reste comme avant.
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[1] Dogme "qui n'a jamais été vérifié nulle part", souligne le pape dans l'exhortation apostolique Evangelii gaudium. Les profits de la croissance américaine depuis la crise de 2008 ont été absorbés par le micro-milieu milliardaire, tandis que les classes inférieures s'appauvrissaient. Ce qui n'empêche pas de pieux Français convertis au macronisme d'affirmer que la recette ultralibérale "peut sortir la France de son chômage".
20:26 Publié dans Macron, Politique | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : macron
Commentaires
CONSTRUIRE UNE OPPOSITION
> Merci pour ce beau texte contre le macronisme. Mais il serait plus intéressant aujourd'hui de se demander comment construire une opposition anti libérale plus unie et plus efficace.
Je lisais le premier manifeste personnaliste qui date de 1935 et qui est écrit par Charbonneau et Ellul. Le système capitaliste libéral, productiviste et internationaliste, y était parfaitement analysé et condamné. Il est terrifiant de voir que, près d'un siècle après, la situation est restée la même ou est peut-être devenue pire. À quoi bon condamner avec raison un système si on ne se donne jamais les moyens de le combattre ?
Guadet
[ PP à Guadet
- C'est ce qu'on s'évertue à démontrer et à proclamer depuis des années : sans grand résultat il faut bien le dire...
- J'ai rédigé la note ci-dessus sous le coup de l'indignation, ayant discuté la veille avec de pieux messieurs soudain macronisés après avoir été fillonnisés (et oubliant dans les deux cas qu'ils s'étaient dits naguère "anti-libéraux"). Il est toujours pénible de découvrir des sables mouvants. ]
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Écrit par : Guadet / | 14/06/2017
LIBÉRALISME ?
> Je crois que la lutte politique n'est plus aujourd'hui (et depuis les années 80) du "socialisme" contre "le capitalisme", mais du "libéralisme-globaliste" (mondialisation, chute des frontières et barrières douanières, destruction des états) contre un "libéralisme-local" (remise des barrières douanières, protectionnisme, refus de la mondialisation).
La victoire de Trump aux USA (et le Brexit) semblait montrer la victoire du second sur le premier, mais ses errements politique semble montrer une revanche du premier sur le second. Que nous réserveront Macron et le/la future président allemand ? nous verrons bien.
De toute façon, avec la raréfaction du pétrole (certitude physique), la mondialisation s'effondrera. La question reste : à partir de quand ? et avec quels dégâts !
Cdt,
Bergil
[ PP à Bergil - Pourquoi nommer "libéralisme local" des mesures incompatibles avec tout libéralisme ? ]
réponse au commentaire
Écrit par : Bergil / | 14/06/2017
@ Bergil:
> vous voulez-dire: la suprématie de la loi du plus fort, au choix dans un méga-poulailler mondial, ou dans une multitude de poulaillers nationaux?
Alors je peux témoigner que croît une autre vision de la vie en commun, non plus basée sur la compétition mais sur l'entraide universelle. Comme elle se développe hors du champ de bataille politique, où elle n'apparait que de manière anecdotique, pour témoigner plus que pour imposer, le système est inapte à en rendre compte.
Ce pour quoi notamment on se trompe sur la portée du mouvement des Insoumis: l'essentiel de ce qui s'y bâtit n'apparait pas dans les chiffres électoraux, qui sont résultats d'une exacerbation de la mise en compétition d'egos. Il se perçoit à l'invisible de la trame du tissu social: travail patient de remaillage du corps social aujourd'hui, du corps politique demain, à partir de cette solidarité à la fois très locale: par des actions qui épousent au présent les réalités d'ici; et universelle: par les liens formels et informels avec tous les mouvements populaires, plus encore par ce lien renoué avec notre maison Terre.
Pour exemple, je vois ici que nos NuitDebout, riches de leur liberté de faire et de penser, en partie initiatrice des équipes Insoumises qui se sont constituées en quelques semaines de campagne, nouant pour cela avec des "vieux" militants de différents bords, sont un foyer de ressourcement et redéploiement de toutes les solidarités locales: migrants, SDF, chômeurs, associations populaires, agriculture paysanne, de nouvelles personnes rejoignant à chaque initiative ce mouvement multiforme en évolution permanente, comme la vie!,ce depuis plus d'un an à présent, alors qu'après avoir annoncé son échec, le système annonçait son essoufflement.
Parce que les gens découvrent la joie d'être utiles et de reprendre l'initiative de la vie ensemble, même si c'est à un micro-niveau.
Je ne dis pas que c'est facile: nous avons tout à apprendre, de la vie sociale, et plus encore à désapprendre, tant nous sommes formatés par l'individualisme, la défiance, la volonté de contrôle et de domination qui en découlent. Nous laissons aussi ce sur quoi nous n'avons pas de prise (comme les règles du jeu politique) devenir opportunités pour grandir ensemble.
L'humour et la joie y ont aussi beaucoup de place: plus on se libère des diktats de la réussite humaine (carrière, image médiatique, popularité, familles modèles,...), plus on trouve d'occasion de rire ensemble, plus on ose aimer sans soucis du qu'en-dira-t-on, et dans cette société dépressive, que c'est bon, et comme cela attire! J'ai commencé par le voir chez ces jeunes et poètes aux pieds nus qui sillonnent l'Europe, sac au dos, de camps de migrants en ZAD, attirés par la jungle de Calais. Je le vois aujourd'hui dans ce qui grandit dans nos Hauts de France.
Ainsi ce qui est analysé par les médias comme une défaite politique de Mélenchon est ici incitation à continuer le travail sur ce terrain que les campagnes nous ont fait davantage découvrir, et aimer!, tant nous avons noué de relations riches, potentiellement fécondes.
Alors quel avenir à ce qui se vit aujourd'hui? Quelle évolution? Question qu'on nous pose sans cesse. Nul n'en sait rien.
Mais pour donner une chance à l'avenir, à mon sens il ne faut pas focaliser sur les stratégies organisationnelles, le nombre de divisions,... mais cultiver cette vigueur spirituelle, réponse à une décision intime de chaque instant: envers et contre toutes les puissances de mort, je choisis la vie.
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Écrit par : Anne Josnin / | 14/06/2017
COMBIEN DE TEMPS
> Il sera intéressant de voir combien de temps vont mettre tous ces messieurs à déchanter. En effet, en "bons pères de famille" (disait-on), ils prenaient soin d'avoir des biens immobiliers et quelques terres qui donnent un ton "patrimoine familial".
Or c'est justement tout cela qui est dans le collimateur du nouveau président.
En bon financier libéral, il ne semble guère goûter les familles dites nombreuses ni le patrimoine traditionnel. Il faut au contraire consommer et investir dans la Bourse: c'est bon pour le Business.
Aujourd'hui, il est de bon ton d'être pro-Macron comme il y a 5 ans, il était intelligent d'avoir voté Hollande parce que c'est un homme brillant, etc. On connaît la suite.
Je crois qu'on a vraiment le droit d'observer goguenard la scène.
Mais n'oublions pas que notre plus grand pouvoir est de travailler à appliquer au quotidien le principe de subsidiarité (pas celui au sens de Bruxelles mais ce que nous enseigne l'Eglise). Et là pas besoin de parti. C'est notre propre responsabilité qui est engagée et n'attendons pas tout des autres en disant qu'on n'y peut rien ou que les électeurs et les abstentionnistes sont à vomir.
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Écrit par : Benoît C / | 14/06/2017
PREMIÈRE FOIS
> Au second tour j'aurai le choix entre un LR et un macronien. Et pourtant j'irai voter ... LR pour la première fois de ma vie. A mon age !
Faut dire qu'en face le macronien, c'est Richard Ferrand et ça c'est une bonne excuse !
Ensuite, c'est un vote contre une majorité à l'Assemblée Nationale ; l'objectif étant de diviser pour mieux...
... bon on va déjà diviser, on verra après.
Trouvé ça sur le thème du billet :
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-charline-vanhoenacker/le-billet-de-charline-vanhoenacker-13-juin-2017
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Écrit par : Yvan / | 14/06/2017
@ PP et @ Anne
> En effet j'aurai dû écrire plutôt "capitalisme local" que "libéralisme local". Mais si le "libéralisme global" n'est qu'une guerre de tous entre tous, le "capitalisme local" n'est que la même chose "sur un poulailler plus réduit" (et plus nombreux) où les renards font la même chose (mais chacun dans son coin). Cela réduit l'échelle de certains dégâts, en évitant par exemple le grand jeu de chaises musicales où les allemands partent travailler aux USA, les français en Allemagne, les polonais en France, les africains en Europe, etc, etc ... Si cela évite certains inconvénients, cela ne résous certes pas le problème intrinsèque.
Mais comme vous disiez PP dans d'autres articles, il y aura peut-être des alliances surprenantes à conclure lors de certains combats, saurons-nous y être ouvert ? saurons-nous convaincre nos "nouveaux amis" d'ouvrir leurs yeux sur les conséquences de leur modèle et de corriger leur tir ?
En tout cas je suis impressionné par la puissance du lobbying pro-mondialisation (qui semble se révéler).
Proverbe paysan : ce sont les plus grands peupliers qui font les plus grandes culbute.
Cdt,
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Écrit par : Bergil / | 16/06/2017
@ Bergil
> La limitation des dégâts par le capitalisme local réside aussi dans la limitation de la puissance de ses acteurs.
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Écrit par : Sven Laval / | 17/06/2017
@ Anne
Je te cite : "Alors je peux témoigner que croît une autre vision de la vie en commun, non plus basée sur la compétition mais sur l'entraide universelle".
Il est assez troublant de voir que cette "autre vision" commence à croître dans des cercles sociologiques où on ne l'attendrait pas. A l'abbaye du Barroux (cf, outre la note de PP sur une des circulaires du père abbé, une interview de ce dernier dans 'La Nef' : http://www.lanef.net/t_article/rien-de-resiste-a-l-appel-de-dieu-dom-louis-marie-26352.asp?page=0). Chez le P. Yannik Bonnet (j'ai l'air de faire une "fixette" sur ce prêtre - que je ne connais pas personnellement, je l'ai simplement croisé il y a fort longtemps à Paray - mais je suis plutôt bluffé par certaines de ses positions, alors que je le considérais jusqu'à il y a peu comme un pur produit de la cathosphère de droite libérale).
Certes, il écrit avec la sensibilité qui est la sienne, mais je crois, Anne, que cela rejoint certains de tes propos...
http://www.yannikbonnet.com/Que-faire-apres-la-Berezina-Pere-Y-bonnet_a358.html
http://www.yannikbonnet.com/On-recherche-de-grands-serviteurs-du-Bien-Commun-Pere-Y-bonnet_a359.html
Je cite son dernier billet :
"C'est encore de province que viendra le renouveau de la France et je suis prêt à parier qu'il se trouvera encore quelques "pépites", venues d' ailleurs, plus "catholiques et français" que nombre de nos compatriotes "de souche". Si, comme je le crains, la France connait de grandes épreuves, il est probable que le pays "profond" pèsera, Dieu merci, plus lourd que les bobos parisiens ! "
Il faut commencer à bâtir la France d'après-demain ... peut-être sur un champ de ruines, hélas.
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Écrit par : Feld / | 18/06/2017
> Caramba, encore raté !
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Écrit par : Yvan / | 18/06/2017
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