29/01/2017
Pour Fillon, les expropriés de Notre-Dame-des-Landes sont l'équivalent des terroristes
Spectaculaire numéro de libéral-patriote (oxymore) à La Villette. François Fillon n'évite ni les contradictions ni les amalgames :
Il n'avait pas le choix. Attaqué sous la ligne de flottaison par le Canard enchaîné - et désormais sous le coup d'une enquête préliminaire pour soupçon d'emploi fictif de son épouse (comme attachée parlementaire) -, François Fillon risque de perdre l'image de vertu qui lui avait valu, en novembre, d'être choisi par les seniors de la bourgeoisie de droite. Il a donc mis à profit le meeting de La Villette (treize mille personnes cet après-midi) pour contre-attaquer. Ton viril, indignation sensible, parade de sentiments nobles sur l'air (eût-on dit autrefois) "du plus ardent amour de la Patrie", avec des morceaux de bravoure - dont celui, quasi-champignacien, qui s'est achevé sur ce cri : "Debout, toujours ! à genoux, jamais !" Déroulède a frémi dans sa tombe au cimetière de La Celle Saint-Cloud.
Passant en revue les thèmes contradictoires de la bonne grosse Droite (sous l'oeil désapprobateur de Lagarde et Juppé), Fillon a promis des choses ouvertement incompatibles jusque dans l'essentiel. Il faut en effet un certain culot pour s'exclamer : "la France ne tiendra son rang dans le monde que par une politique d'indépendance nationale : libre !" alors que l'on a promis, cinq minutes avant, "un gouvernement économique de l'Europe"... Même les militants de l'UNI ont dû sentir qu'il y avait du flou.
Mais l'orateur savait à qui il parlait. L'évocation du "chaos" survolte toujours la droite : les mêmes acclamations ont salué le cri de guerre contre les djihadistes, le couplet contre la délinquance, et le hallali - tout aussi violent - contre les défenseurs de Notre-Dame-des-Landes : comme si le troisième sujet avait le moindre rapport avec les deux précédents.
M. Fillon veut pendre haut et court paysans et zadistes (parce que nul n'a le droit de défendre le bocage contre un vieux projet d'aéroport inutile). C'est clair, et ça plaît dans les meetings de la bonne grosse Droite. Mais ça a introduit dans le discours de La Villette une incohérence supplémentaire. Fillon venait en effet de menacer de ses foudres "ceux" (Trump) qui remettraient en cause l'accord climatique de Paris ; cinq minutes après, il promet de traiter les défenseurs du bocage comme les terroristes et les mafieux. On reconnaît là l'idée du patronat nantais. Mais elle vient comme un cheveu sur la soupe dans un programme présidentiel en 2017 : la pollution atmosphérique par le trafic aérien contribuant au changement climatique, M. Fillon ne peut se poser à la fois en avionneur et en gardien des accords de Paris. A moins qu'il ne tienne à ce qu'on le compare à M. Valls...
Et contre qui l'éventuel président Fillon veut-il envoyer la troupe ? contre de terribles partageux ennemis de toute propriété ? Non : contre les dizaines de paysans expropriés pour construire l'aéroport. Ce sont eux, les citoyens de Notre-Dame-des-Landes... Or ils ont été expropriés par l'Etat le 18 janvier 2012, et, selon la loi, tout exproprié peut demander "la rétrocession de ses biens, terres agricoles, habitations et bâtiments d'élevage" si les travaux "irréversibles" n'ont pas débuté dans un délai de cinq ans après l'ordonnance d'expropriation. Ce qui est le cas à Notre-Dame-des-Landes ! Le 24 janvier 2017, les expropriés de janvier 2012 ont donc adressé leurs dossiers à l'Etat, qui va devoir leur rendre leurs biens. M. Fillon ne le savait pas ? C'est que le sénateur Retailleau ne le lui a pas dit.
Citons l'article de Guillaume de Prémare dans la revue Permanences de décembre 2016, après la primaire de la droite : «Le vainqueur de 2017 aura besoin de rassembler au-delà des sociologies traditionnelles de la droite. Il aura besoin d'agréger largement le peuple autour d'un projet commun. Ce ne sont pas deux Français de droite sur trois qu'il devra rassembler, mais plutôt deux Français sur trois. Le projet politique de Fillon rend, pour le moment, un tel objectif difficilement accessible. »
Prémare concluait : « Dans les années 1980, Giscard avait imaginé revenir aux affaires en rassemblant deux Français sur trois autour d'un projet centriste, libéral et européen. Une telle perspective n'est plus d'actualité. En revanche, l'effondrement idéologique de la Modernité laisse aujourd'hui peut-être la place à un projet qui rassemble deux Français sur trois. Les catholiques peuvent contribuer à faire émerger une telle dynamique en endossant un nouveau catholicisme social, dont la France a besoin pour refaire un peuple et une nation. »
19:58 Publié dans Agriculture, Ecologie, Présidentielle 2017 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : fillon, notre-dame-des-landes
Commentaires
LA CRITIQUE
> Quoi que l'on pense de l'attaque "sous la ligne de flottaison" (expression qui me paraît juste) que subit M. Fillon, il est important de ne pas se laisser divertir par celle-ci (même si, autant que l'on sache, elle n'est pas à son honneur ni à celui de ceux qui l'ont déclenchée).
Ce qui compte, c'est ce qu'annonce M. Fillon dans son discours et la critique qui peut - et doit - en être faite. Merci de ne pas l'avoir perdu de vue.
A propos de Notre-Dame des Landes, observons la parfaite similitude des propos de M. Fillon avec ceux que tiendrait un Manuel Valls, par exemple. Et, comme vous le soulignez, la légèreté des politiciens quant au respect du droit, en l'occurrence celui des paysans expropriés. Cette légèreté-là me semble plus porter à conséquence qu'une affaire (déplorable quand même si elle est avérée) de népotisme.
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Écrit par : Sven Laval / | 29/01/2017
SOCIAL-CONSERVATEUR ?
> Catholicisme social, oui. Je me demande parfois pourquoi rien n'émerge qui se revendiquerait, par exemple, "social-conservateur", afin de faire enfin se fissurer les fausses oppositions actuelles dans la "politique" française.
Alex
[ PP à Alex - Ce serait intéressant (Orwell !) comme concept, à condition que ça repose sur une critique radicale du système économique actuel.
Mais le mot "conservateur" ne plaît qu'à un tout petit nombre d'intellectuels ; pour les foules, il sonne mal (conservation des privilèges, etc).
Et comme disait le duc d'Orléans de 1900 - qui connaissait trop bien le milieu d'alors - "conservateur est un mot qui commence mal"... ]
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Écrit par : Alex / | 29/01/2017
N.D.D.L. : ERREUR TRÈS LOURDE
> En ce qui concerne la problématique des emplois fictifs, laissons faire la justice... les média sont vite prompts à calomnier et à faire courir des rumeurs. Comme par hasard cette affaire éclate maintenant.
Pour ce qui concerne Notre Dame des Landes, ce serait une erreur TRÈS LOURDE de vouloir s'obstiner à construire l'aéroport sur une tête de bassin versant.
En sachant que si tentative d'évacuer la ZAD il y a lieu, il y aura (et j'espère) une très forte résistance. Nos dirigeants savent que beaucoup de soutiens se mobiliseront, il serait criminel de détruire une zone humide d'importance et de plus de déclencher une guerre civile, alors que, nous ne le dirons jamais assez, Nantes Atlantique peut être modernisé.
Et une relocalisation des productions peut, en plus de recréer de l'emploi pérenne, éviter des transports inutiles.
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Écrit par : Airault Alain / | 29/01/2017
@ PP
> J'ai bien noté votre prévention à ne pas écorner l'homme Fillon en recentrant le débat sur les idées et les projets.
Je reste cependant sur ma faim.
Lors de l'intervention de F.Fillon au JT, j'ai pris conscience du déni dans lequel le prétendant à l'Elysée s'était installé : comment affirmer les yeux dans les yeux qu'il n'a rien à se reprocher parce que ces pratiques sont légales et relativement courantes ?
Il me semble que lorsqu'on fait le choix délibéré de se déclarer publiquement "chrétien et gaulliste" on doit assumer le fait d'être irréprochable sur le plan moral. Payer son conjoint plus de 5000 € brut/mois sur les deniers de l'Etat pour un poste qui est rémunéré en moyenne moins de 2800 €, c'est d'ores et déjà immoral.
Que ce poste soit fictif ou non, la justice en jugera.
En étant dans un déni total de cette réalité, et manifestement convaincu de sa bonne foi sur le sujet, F. Fillon est un homme dangereux.
PH94
[ PP à PH :
J'ai pris soin vendredi de faire la distinction entre l'homme et son programme, pour trois raisons :
1. les faits ne sont pas encore totalement établis ;
2. l'auditoire de RND tient beaucoup à la présomption d'innocence ;
3. ces "affaires" obscurcissent le débat de société, et Fillon me semble plus dangereux par ses projets "sociaux" que par un népotisme éventuel.
Mais je suis d'accord avec vous sur la contradiction qu'il y aurait à se poser en grand honnête homme... si l'on avait eu par ailleurs recours à des emplois fictifs ; ce qui reste à établir par la justice.
Le malaise de militants fillonnistes à la radio ce matin montre que cette menace de problème éthique plane sur la campagne de leur candidat, puisqu'il s'était lui-même présenté comme le candidat éthique ! ("on n'imagine pas le général de Gaulle mis en examen"). Ce serait l'arroseur arrosé. ]
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Écrit par : PH94 / | 30/01/2017
PROXIMITÉS
> Et que penser des proximités entre l'organigramme nantais de l'aéroport et celui de LR en campagne présidentielle...
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Écrit par : A. Ancelin / | 30/01/2017
LÉGER, MESQUIN, IMPRUDENT
> Attitude vis à vis du droit: oui, légèreté. Et la gestion de son budget de parlementaire, c'est aussi de la légèreté. Et même sans infraction caractérisée, c'est mesquin et imprudent à la fois !
Trois gros défauts pour un prétendant à la redoutable fonction de chef d'Etat.
Il m'était sympathique car le le croyais solide, ayant tenu cinq ans sous l'Agité. En réalité, il amortissait les coups, étant inconsistant, malgré la façade que vous évoquez.
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Écrit par : Pierre Huet / | 30/01/2017
@ PP SUITE ...
> "je reviens sur l’affaire des emplois familiaux de M Fillon. Peut-être n’y a-t-il rien d’illégal dans les emplois de madame Fillon. La justice le dira. Mais il y a quelque chose de profondément immoral. Et politique. C’est le décalage entre le niveau de revenu de Pénélope Fillon en tant que collaboratrice de son mari, et la purge prévue par François Fillon dans son programme.
Car François Fillon ne prépare pas seulement la destruction de la Sécurité sociale et l’affaiblissement des services publics.
Il prévoit aussi une ponction très sévère du pouvoir d’achat populaire !
Et comme beaucoup l’ont compris, l’indignation ambiante n’en est que plus violente."
Jean Luc Melenchon dans sa dernière note de blog (http://melenchon.fr/2017/01/30/valls-valse-encore-une-victoire-du-degagisme/)
PH 94
[ PP à PH 94 - Nous sommes bien d'accord sur ce point. Pour l'avoir soulevé sur Facebook, je suis traité de "sous-marin de Macron" (gag) par les fillonnistes... ]
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Écrit par : PH94 / | 31/01/2017
MACRON-BERGÉ : LA G.P.A.
> Et pour les catholiques déçus de Fillon qui seraient tentés par Macron:
http://www.lepoint.fr/presidentielle/emmanuel-macron-recoit-le-soutien-de-pierre-berge-31-01-2017-2101331_3121.php
Feld
[ PP à Feld - Macron, c'est la GPA dans un an. ]
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Écrit par : Feld / | 01/02/2017
DUR
> Pour l'instant, parmi les "grands" candidats (je laisse de côté les "petits", type général Tauzin, qui peinent à recueillir leurs parrainages...), je n'en vois qu'un qui ait la stature d'un chef d'Etat à peu près potable, et dont le programme rejoigne, sur certains points, les propositions de 'Laudato si'.
Mais pour un catho, qu'il est dur d'envisager de voter pour cet homme...
Je viens de lire l'interview qu'il a accordée récemment à 'Marianne' . Dernière question : "Que cela vous inspire-t-il quand vous entendez François Fillon se définir comme gaulliste et chrétien ? ". Réponse : "C'est un signal d'alarme maximal".
Ca veut dire quoi, ça ?
Feld
[ PP à Feld - Une formule qu'il faut sans doute rapprocher de sa phrase sur François : "Voilà un pape chrétien". ]
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Écrit par : Feld / | 01/02/2017
RISQUES COMPARÉS
> Je suis d'accord avec Feld, mais les positions de ce candidat sur l'euthanasie et l'avortement me font frémir, et je crains ses intentions concernant l'enseignement.
Même si à choisir, je préfère prendre ce risque que les autres tout aussi graves venant d'un Macron ou d'un Fillon (ou de son remplaçant).
Je suis en train de finir le livre "Catholiques, engageons-nous !" de l'abbé Grosjean, qui m'a fait l'effet d'un salutaire retour au réel. La question est donc plus celle de savoir ce que nous pouvons faire concrètement pour faire avancer le bien commun, que de râler que la situation ne soit pas idéale comme nous le souhaiterions, et d'attendre le Messie (Il est déjà venu, et nous demande de marcher à sa suite !)
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Écrit par : Pema / | 02/02/2017
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