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16/01/2017

L'ubérisation de l'économie, c'est l'exploitation à l'ancienne sous emballage postmoderne

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Insurrection des chauffeurs d'Uber à Paris et à Londres ! Idem chez d'autres exploités de la soi-disant "économie-du-partage"... Les Européens ouvrent les yeux sur la vraie nature du libéralisme  :


 

M. Matthieu Laine est un "entrepreneur intellectuel", gourou de la "pensée libérale" à Sciences Po, fondateur avec Emile Servan-Schreiber de la société de "marchés prédictifs" Hypermind ; "bébé-Madelin" autrefois,  il milite pour thatchériser les Français (il a édité en 2016 la traduction des discours de Mme Thatcher). Si vous avez écouté l'émission d'Alain Finkielkraut samedi dernier, vous avez entendu M. Laine  déclarer avec pétulance que l'avenir est à l'ubérisation générale ; que les défauts éventuels d'Uber seront automatiquement corrigés par la concurrence ; et que le contrat Uber est un contrat gagnant-gagnant ("win-win") entre la plate-forme créative et le prestataire.

Le raisonnement de M. Laine est d'une obscénité très 1840. Selon sa théorie, le chauffeur Uber n'est pas un chômeur mais un libre agent économique "ayant du temps" ; avec ce "temps" il fait de l'argent (time is money)... C'est peu d'argent pour un temps fou (travail nuit et jour) ? ça vaut mieux que pas d'argent du tout ! Etc.

M. Laine raisonnerait-il comme un capitaliste manchestérien à l'époque où Marx écrivait Le Capital ? Non, riposte-t-il (son sourire froid s'entend au micro) : car le chauffeur Uber n'est pas un salarié mais "un auto-entrepreneur", et l'ubérisation n'est pas une exploitation de l'homme par l'homme, mais une "économie du partage" !

"Economie du partage" est la traduction française (hypocrite) du terme anglais "gig economy", qui veut dire "économie du petit boulot".

Et à l'heure où M. Laine tient ses propos captieux, les chauffeurs Uber de Londres rentrent en lutte contre Uber ! Ceux de Paris aussi... Objectif : faire requalfier en emplois salariés les contrats de chauffeurs "indépendants". Explication du cabinet d'avocats parisien : "L'indépendance des chauffeurs vis-à-vis d'Uber est une fiction absolue. C'est au contraire un contrat d'hyper-dépendance : par exemple, quand un chauffeur accepte une course, il ne connaît pas le montant !"  Et si le chauffeur regimbe, Uber le "déconnecte"... Le chauffeur parisien Yazid Sekhri (CFDT-VTC) témoigne auprès des médias : "Si c'est pour gagner 1000 euros en travaillant 70 heures par semaine, autant être salarié pour gagner la même chose en faisant 35 heures."

Révoltés contre le privé Uber, les chauffeurs ne s'en remettent pas à la "concurrence" d'autres privés - comme le voudrait le théorème de Laine. Ils devinent que la concurrence joue dans un seul sens : le profit d'exploiteurs peu portés à l'altruisme en faveur des exploités... (pardon : des "auto-entrepreneurs", égaux paraît-il de cet autre "entrepreneur" qu'est le PDG d'Uber ! Au XIXe siècle, on appelait ça "le renard libre dans le poulailler libre").

Que font alors les chauffeurs ? Ils en appellent à l'Etat : ce qui est une offense à la théorie libérale. Les chauffeurs parisiens demandent au gouvernement de créer une plate-forme VTC publique, sur le même modèle que l'application Le Taxi lancée en 2016, qui regroupe déjà plus de 7000 chauffeurs. Les chauffeurs londoniens, pour leur part, portent plainte devant le "Comité central d'arbitrage" censé faire respecter le droit du travail.

Le Monde (10/01) a publié une enquête de son correspondant à Londres. La révolte y gronde, non seulement chez les exploités d'Uber mais chez tous les exploités de la gig economy. Un livreur de Deliveroo (plats de restaurant à domicile [1] ) gagne 4,40 euros par heure : deux fois moins que le salaire minimum horaire, beaucoup moins que les "16 livres" affichées par la pub de recrutement de Deliveroo...  Les livreurs de Deliveroo exigent des négociations salariales ; Deliveroo refuse, puisque les livreurs ne sont pas des salariés mais "des auto-entrepreneurs". De même, Uber fait appel du jugement rendu contre lui à Londres, en 2016, par un tribunal qui constate : "L'idée qu'Uber à Londres soit une mosaïque de 30 000 petites entreprises nous semble assez ridicule."  A l'appui de cette jurisprudence, la condamnation judiciaire toute récente (6/01) de la société de coursiers City Sprint qui prétendait elle aussi que chacun de ses exploités était "un auto-entrepreneur" - alors que "toute la journée on nous dit quoi faire, quand le faire et comment" : nous sommes sous contrôle", témoignent les coursiers. Ils doivent fournir leur vélo. Ils n'ont pas d'assurance. Mais ils doivent porter un uniforme qu'on leur facture 150 livres...

Imitant ces sociétés de VTC ou de coursiers, nombre d'entreprises classiques - jusque dans le BTP, en Grande-Bretagne et dans le reste de l'Europe - font sortir leurs exécutants du statut salarial en les déclarant "auto-entrepreneurs" : ce qui supprime la couverture sociale et réduit les rémunérations. Dans l'enquête du Monde, un livreur irlandais de Deliveroo-Londres déclare : "C'est de l'exploitation à l'ancienne dans un emballage moderne."

Cette phrase résume tout. Le libéralisme de demain n'est qu'un retour à celui d'avant-hier. Voilà pourquoi le pseudo-modernisme de M. Laine, libéral décomplexé, rend un son louis-philippard. Et pourquoi nos sournois libéraux-conservateurs sont embarrassés quand on les interroge sur ces choses. Et pourquoi le pape vient de tonner, une fois de plus, contre "l'inhumanité" de ce système.

 

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[1]  Dans le métro parisien, coûteuses campagnes d'affiches de sociétés du même genre ! (Sans parler des moeurs boostées par certaines de ces affiches - sans réaction  apparente des sites libéraux-conservateurs, à cheval sur les "valeurs non-négociables"... sauf quand elles gênent la Croissance-par-la-Rupture-Créatrice).

 

 

 

L'Etat va devoir faire un casse...

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