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06/01/2017

Presse bourgeoise contre pape : toute une histoire

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Dans Valeurs actuelles, l'auteur du brûlot sur l'Eglise et l'immigration montre son jeu. Il s'agit d'exciter contre François une fraction de la bourgeoisie "catho" : 


 

 

Une cover story est un dossier thématique annoncé par la couverture ("cover") du numéro. Dans le cas de Valeurs actuelles cette semaine, le mot story est à prendre au sens technique des agences de pub : le "storytelling", ou "structure narrative s'apparentant à celle des contes". Sur onze pages plus la couverture, le magazine affabule. Il nous "raconte des histoires".

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Le raconteur, Laurent Dandrieu, est un journaliste de Valeurs actuelles. Il publie un livre intitulé : 'Eglise et immigration, le grand malaise - Le pape et le suicide de la civilisation européenne'. Ce titre compliqué dénote un embarras : comment vendre au lecteur bourgeois un pamphlet contre le pape ? C'est contre les habitudes.  Valeurs actuelles procède donc prudemment. Par étapes. La couverture titre seulement :  "Le pape qui dérange". C'est un fait, François dérange : et "dérangeant" peut passer pour un compliment... Mais ouvrez le magazine : à l'intérieur ce n'est plus le même titre  ! L'article s'intitule en fait : "François, le pape qui fait scandale".  L'hostilité se démasque. Voilà le lecteur piégé : il croyait avoir acheté une enquête, il se retrouve dans un libelle... (néanmoins il le lira, puisqu'il l'a payé 4,90 €).

Le pape François fait régner "un climat de peur", affirme le journaliste. D'où le tient-il ? D'un "site conservateur canadien" [2]. Angoisse sur la place Saint-Pierre ! On dirait un chapitre des Caves du Vatican (version banquiers de droite) : mais chez Gide, la bande d'escrocs raconte que le pape est séquestré dans ses caves ; dans Valeurs actuelles, c'est plutôt le pape qui séquestre dans ses caves les amis de Laurent Dandrieu. Ces victimes restent anonymes : "beaucoup de fidèles et notamment des jeunes"... "la Curie"... des "prêtres"... "des "évêques"... "les séminaires catholiques"... "les fondamentalistes catholiques"... "les conservateurs" français... "Des collaborateurs du Saint-Siège" auraient parlé à une journaliste d'Europe 1 : "l'un d'eux" aurait donné des précisions, mais "anonymement"...  Le seul mécontent identifié dans l'article est un éditorialiste de La Nef, qui accuse le pape d'être un "politologue de comptoir" [2].  (Il  l'accuse aussi de transformer la chaire de Pierre en "vulgaire chaise percée" : mais ça, Valeurs actuelles n'a pas jugé utile de nous le dire ; c'est Erwan Le Morhedec qui le signale dans son propre livre, dont je parlerai très vite).

Donc ce pape fait peur. Du moins dans l'article de Valeurs actuelles, qui joue sur les nerfs de son lectorat déjà ébranlés - depuis trois ans - par la rubrique d'informations religieuses du Figaro... Pas besoin de démontrer que François est nocif : il n'y a qu'à évoquer les "sujets qui fâchent" - sans chercher à savoir s'ils fâchent à juste titre, étant acquis que le pape a tort et les réacs raison. Selon les techniciens du storytelling, "le conte de faits" applique des "procédés narratifs" (ou grosses ficelles) pour "renforcer l'adhésion du public au fond du discours".

Par exemple à propos de la popularité de ce pape. Elle est immense : mais pour Laurent Dandrieu elle est annulée par le fait qu'il y ait, "à l'intérieur" de l'Eglise, des "résistances, inquiétudes et colères". Il n'envisage pas qu'une part (prépondérante ?) de ces colères, inquiétudes et résistances puissent être illégitimes : nées d'une mauvaise information, ou d'une mauvaise volonté, ou de réflexes  contraires à l'Evangile - comme le constate Le Morhedec. Sourions au passage de voir Valeurs actuelles en extase devant la méthode Trump (parler directement aux foules),  mais horrifié par la méthode François (parler directement au monde)...

Les colères, inquiétudes et résistances "catholiques" plaisent à Laurent Dandrieu. Y en a-t-il autant qu'il le dit ?  Là où elles se manifestent, elles ne dépassent pas le périmètre d'une niche sociologique. Le peuple n'est pas concerné.

Mais qui a droit au nom de "peuple", selon le clan des ethnicistes "identitaires" ?  Le livre de Le Morhedec cite des déclarations émanant de ce milieu, qui récusent - comme "universaliste" -  la notion de "prochain". Or ces deux notions (le prochain et l'universel)  sont des piliers du christianisme : "Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s'il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l'amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ?" (première lettre de saint Jean, 3:11-21). Le prochain n'est pas seulement le compatriote, voire le membre de la même ethnie comme disent les identitaires : le prochain est tout être humain souffrant, placé par la Providence à la portée de notre charité concrète. Aucune contorsion, aucune amputation de la doctrine sociale  n'effacera cet impératif : il est présent dès les Premiers écrits chrétiens ! (lire le Pléiade paru récemment sous ce titre).

Mais, justement, c'est là que le bât blesse... Pages 26 à 29 de Valeurs actuelles, Laurent Dandrieu publie des extraits de son propre livre : "L'Eglise et les migrants", sujet qui enfièvre les lecteurs de ce magazine. Storytelling pur et simple ! Dandrieu titille le lecteur avec des mots-stimuli comme "déferlante migratoire", "identité de l'Europe" et "complaisance de l'Eglise catholique" : cette "complaisance" que  l'écrivain Dominique Venner croyait voir avant son suicide (en forme de manifeste antichrétien) dans la cathédrale de Paris.

Le propos de Dandrieu n'est pas de discerner le devoir du chrétien face à l'immigré. Ni de comprendre ce que le pape a vraiment dit, et pourquoi, et dans quel contexte... Voici la conclusion de ces extraits du livre, en deux citations suivies de mon commentaire (en rouge) : 

<< A cette population européenne qui, au lieu du nectar hédoniste espéré, n'a plus qu'un goût de cendres dans la bouche, l'Eglise, au lieu du calice de la vie éternelle, n'offre que la coupe amère du suicide collectif.... >>

[ Dire que l'Eglise offre un suicide collectif est absurde. Dire qu'elle n'offre plus "le calice de la vie éternelle" est inepte. Laurent Dandrieu fait-il partie de ceux qui snobent les liturgies paroissiales, croyant que la "messe de Paul VI" a "supprimé la notion de sacrifice dans l'eucharistie" ? ]

<< Voici qu'elle [l'Eglise] donne aux Européens le sentiment que l'universalisme a tout dévoré, et que leur attachement aux identités locales en général, et à cette civilisation européenne en particulier, est devenu suspect.  >>

[  Cette affirmation ne tient pas compte de ce que disent les évêques (lire Retrouver le sens du politique). Ni de ce que dit le pape : par exemple dans le discours de Santa-Cruz (été 2015), et dans le livre La patrie est un don, la nation un devoir (Parole et silence, novembre 2015), où il explique que tous les peuples doivent sauver leurs voies respectives vers l'avenir (notion plus catholique que celle - passéiste - d' "identité"). François souligne que ces "voies respectives vers l'avenir" reposent sur "la nécessité d'un lien social renouvelé ; une culture de la rencontre, de l'amitié sociale, comme fondement de la vie en société ; l'importance de la personne au service du sujet collectif ; la dignité de la personne, la noblesse de sa mission politique ; le souci des pauvres ; le pouvoir comme service ; le travail comme clé de la question sociale ; la lutte pour le bien commun, donc contre le relativisme... »  Mais une partie de ces orientations chrétiennes révulsent les identitaires. Catholiques ou non, ils ont un problème avec l'Evangile. ]

 

Pourquoi le livre et l'article de Laurent Dandrieu zappent-ils des pans entiers de la réalité catholique en 2017 ?

Pourquoi répandent-ils la fable d'une subversion du catholicisme par le pape, et poussent-ils ainsi leur lecteur (sans le dire ouvertement) à un remake du lefebvrisme du siècle dernier ? 

Je m'arrête au seuil de ce mystère. Il relève du for intérieur.

 

___________

[1]  Le site Life Site News : neuf posts sur dix consacrés à l'avortement, le dixième étant consacré à diffamer le pape.

[2]  Un "politologue de comptoir" est quelqu'un qui ne voit pas les étrangers comme M. Ménard les voit.

 

 

Commentaires

LE CITOYEN KERDREL

> Il est loin le temps – fin 2013 – où le directeur de la publication de ‘Valeurs actuelles’, Yves de Kerdrel, se refusait encore à dénoncer les positions « éthiques » prises par le pape François dans son exhortation apostolique « La joie de l’Evangile ».
De toute évidence, le patron de presse a depuis lors changé de religion. Conversion définitive à Mammon ? Ou serait-il débordé par les légions nourries de sa prose ?
Dans les « trois vœux pour la France » qu’il a présenté ces jours-ci à ses lecteurs, il agite avec virulence l’étendard sécuritaire. Si je devais résumer son message en deux mots, ce serait : « Ayez peur ! »
Citation :
« Je ne veux pas (écrit Yves de Kerdrel) que la France devienne un nouveau Liban où cohabiteraient, forcément de manière hostile, des millions de musulmans pour qui la loi divine est supérieure à la loi de la République, des immigrés venus d’Afrique noire qui ont créé des centaines de zones de non-droit sur notre territoire, des réfugiés économiques ou politiques prétextant de leur statut pour refuser de s’assimiler, et puis des Français de souche de plus en plus désemparés.
« Je ne veux pas que cette situation conduise des Français à s’armer et à imaginer qu’ils vivent sans protection. Surtout, je ne veux pas que le prochain chef de l’État nous explique pour la énième fois que cette population étrangère est une chance pour la France et qu’elle subit un apartheid social. Si le déni de réalité dont fait preuve toute la bienpensance sur ce sujet grave persiste après la présidentielle, nous entrerons dans une zone dangereuse avec un avant-goût de guerre civile, la constitution de groupes d’autodéfense et in fine la partition du pays. »
Intéressant à noter : Yves de Kerdrel est un ami et soutien d’Emmanuel Macron, dont il a pris la défense à plusieurs reprises, notamment dans la chronique qu’il fournit au Figaro.

Denis


[ PP à Denis - Il est même membre d'En Marche (carte d'adhérent n° 7) : ce type n'est pas double, mais triple ou quadruple. ]

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Écrit par : Denis / | 06/01/2017

ANALPHABÈTES...

> Sur "Retrouver le sens du politique", ajoutons que les plus paresseux pourront lire sur la quatrième de couverture : "Si nous parlons aujourd'hui, c'est parce que nous aimons notre pays et que nous sommes préoccupés par sa situation."
Si les détracteurs de l'Eglise actuelle ne sont pas même capables de lire au dos d'un livre, que faire pour eux (à part prier, bien sûr) ?

Sven Laval

[ PP à SL - On pourrait faire la même campagne d'affiches que Fidel en 1960 : "Analphabètes, apprenez à lire !" ]

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Écrit par : Sven Laval / | 06/01/2017

L'IMPOSTURE

> Une chose est surprenante dans cette histoire.
Les gens de 'Valeurs actuelles' sont des libéraux. Les mouvements massif de populations et le multiculturalisme qui s’ensuit vont dans le sens de la dissolution des nations dont l’existence est liée à leurs cultures particulières donc de leur libéralisme.
Alors pourquoi enfourchent-ils ce dada à contre-sens apparent de leur intérêt? Ils s’en prennent au pape François en déformant fortement ses propos mais peut-être n’est-ce qu’un faux nez, utilisant des craintes que pour ma modeste part j’estime assez fondées, dans le but de le déconsidérer sur les fronts de l’économie et de l’écologie.
PH

[ PP à PH :
Vous posez le problème de l'imposture qu'est le "libéralisme conservateur" : il ose (p. ex. Dandrieu dans son article) utiliser l'aphorisme de Bossuet*, alors que les "libéraux conservateurs" (dont Dandrieu puisqu'il est rédacteur en chef à VA) en sont l'exacte illustration.
J'en sais quelque chose, ayant autrefois co-dirigé 'le Figaro Magazine', donc cautionné l'imposture libérale-conservatrice... dont je ne fus progressivement extrait et repentant que par ma conversion catholique ! D'où le combat que je mène contre les libéraux-conservateurs depuis 1997 ('Ça donne envie de faire la révolution', Plon).

* L'aphorisme de Bossuet : "Dieu se rit de ceux qui dépolorent les effets dont ils chérissent les causes". ]

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Écrit par : Pierre Huet / | 07/01/2017

St JEAN PAUL II

> C'est le moment de lire ou relire: "Mémoire et Identité" d'un certain St Jean-Paul II. Livre-entretien rédigé dans un autre contexte, mais formulant des bases bien actuelles.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/01/2017

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