17/12/2016
Roybon : porte ouverte au bétonnage
L'arrêt d'appel du tribunal administratif ne donne raison qu'en partie (et en apparence) aux défenseurs de l'environnement et de la qualité de la vie. C'est au Conseil d'Etat que Pierre & Vacances, bétonneur de forêt subventionné, va pouvoir demander le feu vert :
Dans l'affaire du chantier du Center Parcs [*] Pierre & Vacances dans la forêt du plateau de Chambaran à Roybon (Isère), l'arrêt de la cour d'appel administrative de Lyon a été rendu hier. Il donne raison aux plaignants sur deux points d'environnement mais les déboute sur le troisième point, qui contredit virtuellement les deux autres et pourrait être décisif aux yeux du Conseil d'Etat - tandis que la surenchère libérale Fillon-Macron-Valls déferle sur l'Hexagone.
Je rappelle le dossier : Pierre & Vacances veut raser 76 hectares de forêt pour son projet immobilier : une dalle de béton géante avec parkings et mille "cottages", autour d'une "bulle à chaleur tropicale abritant un centre aquatique, des commerces et des restaurants". Le tout pour accueillir quelque 5600 vacanciers, dont les eaux usées pollueront les sources du plateau : sources qui alimentent les rivières de la Drôme. Sans compter la pollution des étangs, landes et vallons voisins, classés Natura 2000, et la destruction des espèces animales protégées...
C'est là qu'est le double effet de l'arrêt d'appel. Il donne raison aux anti-projet sur la question des eaux usées et sur l'insuffisance des "zones humides de compensation" qu'un bétonneur doit fournir en échange de son saccage. Mais il donne tort aux anti-projet sur un point vu comme secondaire par le public (la destruction d'espèces protégées) ; et pour leur donner tort, il dégaine l'arme fatale : "l'intérêt public impératif majeur".
En quoi est-ce une arme fatale ? En ceci : si l'intérêt public est impératif et majeur sur l'un des points, il l'est aussi sur les deux autres. L'Impérativité et le Majorat ne sont pas restrictifs. Leur autorité, si elle existe, s'étend forcément à l'ensemble. C'est ainsi que l'arrêt de Lyon feint de quasi-fermer la porte... alors qu'il l'ouvre à deux battants.
La notion d'intérêt public impératif majeur avait été conçue pour réserver les droits de l'Etat, gardien du bien commun. Mais en quoi le bétonnage d'une forêt par une firme privée peut-il invoquer un "intérêt public impératif majeur" ? En ceci : de nos jours, l'intérêt public impératif majeur se confond avec l'intérêt privé impératif majeur ; celui de Vinci à Nantes, celui des Center Parcs dans l'Isère, etc. C'est ce que vous expliquent M. Macron, M. Valls, et le bon M. Fillon quand il revient des vêpres à Solesmes. Bien entendu, Pierre & Vacances vous assurent qu'ils créeront "600 emplois pérennes", comme M. Gattaz vous assurait naguère qu'il allait en créer un million. Quand le Center Parc sera réalisé et qu'on verra le nombre d'emplois réellement créés (ainsi que leur niveau salarial !), on déchantera - comme d'habitude - et il sera trop tard. Le bétonnage sera accompli. Les eaux seront polluées. Une fois de plus on sera dans l'irréversible : le bétonnage du territoire, qui a fait perdre à la nature et l'agriculture françaises l'équivalent de sept département en trente ans.
L'enjeu de cette affaire dépasse donc la forêt de Chambaran. Après le feu vert administratif à Vinci pour Notre-Dame-des-Landes, le feu vert prochain à Pierre & Vacances annonce un saccage massif du territoire.
C'est ce que réclame depuis le printemps 2016 la firme 'Les Républicains', qui se définit ouvertement comme le parti "des OGM, du gaz de schiste" et des Grands Projets Inutiles Imposés. Et ce que soutiennent tous les présidentiables [**]. Quant au président du conseil régional concerné, M. Wauquiez (auquel on se heurte décidément tous les jours ! fuck fuck fuck, comme il aime à dire), il subventionne le Center Parcs de Roybon pour 4,7 millions d'euros - après avoir ratiboisé les subventions des associations de défense de l'environnement.
Je n'insiste pas sur l'obscénité qu'il y a dans le fait de présenter le Center Parc de Roybon comme un "intérêt public". Jusqu'ici, pour construire encore plus d'autoroutes ou d'aéroports (qu'ensuite on revend aux Chinois), le privé plaidait l'utilité nationale. Il ne se donne plus cette peine. L'intérêt public en 2016, c'est de construire une "bulle tropicale" où mettre à poil les gens en décembre. On voit ce qu'est devenu le politique en Occident.
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[*] le nom de "Center Parcs" n'est ni de l'anglais, ni du français. Parc comme "parc d'attractions" ? Centre comme "centre commercial" ? Va savoir.
[**] Non pas tous les candidats à la présidentielle. Mais je n'aurai pas l'imprudence de nommer celui qui s'y oppose... (Crainte de fâcher derechef la France bien élevée, qui soulève ses huit-reflets et agite ses ombrelles au passage des bulldozers).
13:28 Publié dans Ecologie, Economie- financegestion | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : roybon chambaran
Commentaires
LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP
> Où sont nos grandes consciences, nos médiatiques intellectuels, les chanteurs et acteurs courageux ? Pourquoi la honte ne changerait-il pas de camp ? Honte aux bétonneurs de tout poil, honte aux politiques de courte vue, honte à nous citoyens qui nous laissons griser par quelques distractions sucrées et doucereuses. J'espère que la honte un jour changera de côté et que ce ne sera plus une honte que d'écouter la voix des petits, des pauvres, des cassés, des oubliés, même si elle doit passer par Mélenchon.
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Écrit par : Pascal G. / | 17/12/2016
OPTIMISME
> Des proches du dossier, bons connaisseurs des enjeux techniques, expliquaient que l'enjeu majeur à Roybon n'était pas les espèces protégées (il y en a très peu) ni l'atteinte à la biodiversité mais la loi sur l'eau. C'est au titre de cette dernière que la Cour d'appel administrative de Lyon a donné raison aux opposants au projet. Je suis donc beaucoup plus optimiste que vous car la décision de cette semaine est tout à fait conforme aux arguments des opposants depuis le début de la mobilisation.
Marie
[ PP à Marie
- Vous êtes en effet optimiste. Il faudra un miracle pour que le Conseil d'Etat actuel prenne comme angle les enjeux écologiques majeurs, et ne suive pas l'axiome de "l'intérêt public majeur", autrement dit la "création d'emplois" alléguée par Center Parcs : pur slogan, mais considération devant laquelle tout doit céder - y compris les enjeux écologiques majeurs...
- Mais nous sommes d'accord sur le principe : l'enjeu écologique majeur est effectivement (je l'ai souligné dan ma note) la question de l'eau et non celle des espèces protégées. (Ce qui rendra[it] d'autant plus biaisé le fait de s'en servir pour faire prévaloir "l'intérêt public majeur" !).
- On va bien voir. Je souhaite que vous ayez raison. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Marie / | 18/12/2016
À LIRE AU SECOND DEGRÉ !
> Cher Patrice
vous n'y êtes pas du tout. Les Center Parcs c'est durable et bon pour l'environnement. Grâce notamment à l'apport de la société Mutadis, fondée par un fondateur du Courant pour une Ecologie Humaine. Ils ont étudié avec application semble-t-il "les conditions et les moyens d’une contribution effective du projet de centre de loisirs Center Parc de Poligny au développement durable de son territoire d’implantation".
Que demander de plus?
https://reporterre.net/Un-des-fondateurs-du-mouvement
Cumet
[ PP à Cumet :
Je le savais, mais j'avoue que j'hésitais à le rappeler : crainte de me faire à nouveau traiter de diviseur satanique par les hérauts de la Bienveillance Entre Cathos et les croisés de la Diversité Légitime ; ceux qui tournent le dos à 'Laudato Si', puisqu'ils font comme s'il était chrétien de saccager l'environnement au nom d'une "écologie" réservée aux humains (de préférence administrateurs dans le nucléaire et le BTP)... ]
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Écrit par : Cumet / | 19/12/2016
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