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12/11/2016

"Peuple" et "populisme" : une mise au point du pape

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...dans un livre de 950 pages qui parait en italien :


 

Le pape François au P. Spadaro s.j. :

« Il y a un mot très maltraité : on parle beaucoup de populisme, de politique populiste, de programme populiste. Mais c’est une erreur. Le peuple n’est pas une catégorie logique, ni une catégorie mystique si on la conçoit avec angélisme au sens que tout ce que fait le peuple serait bon. Mais non ! C’est une catégorie mythique, s’il en est une. Je répète : "mythique". Le peuple est une catégorie historique et mythique. Le peuple se construit dans un processus, avec un objectif et un projet commun. L’histoire est construite de ce processus de générations qui se succèdent à l’intérieur d’un peuple. Il faut un mythe pour comprendre le peuple. Quand j’explique ce qu’est le peuple, j’utilise des catégories logiques parce que j’en ai besoin pour expliquer. Mais de cette manière, je ne peux expliquer le sens que revêt l’appartenance au peuple. Le mot peuple a quelque chose en plus qui ne peut être expliqué de manière logique. Faire partie d’un peuple c’est faire partie d’une identité commune faite de liens sociaux et culturels. Et cela n’est pas une chose automatique, au contraire : c’est un processus lent, difficile, orienté vers un projet commun. »

 
Cette approche papale est libératrice.
 
1. Elle libère de l'idéologie libérale selon laquelle le "peuple" serait  un agrégat volontaire d'individus liés par un contrat. Fabriquée par la bourgeoisie à la fin du XVIIIe siècle, cette conception substituait aux réalités populaires l'artifice d'une logique issue du droit commercial.
 
2.  Elle libère de l'idéologie ethniciste forgée au XIXe siècle : en réaction au libéralisme bourgeois, l'ethnicisme donnait à la notion de "peuple" un contenu quasi-biologique, exaltation d'une "identité" essentialisée et déterminée par une "origine".
 
Ces deux vieilles erreurs complémentaires (fille l'une de l'autre) continuent de sévir aujourd'hui :
 
l'erreur 1 inspire la "construction européenne" ultralibérale, et l'utopie multiculturelle qui s'en déduit logiquement ;
 
l'erreur 2 inspire l'utopie néo-réactionnaire, qui dit "chrétienté" pour ne pas dire "race blanche".
 
Face à cela, le pape décrit simplement le réel. Les peuples, écrit-il, sont des processus socio-culturels évolutifs et complexes qui ne se réduisent pas à leurs héritages (le peuple se ressent différemment à chaque génération) : la solidarité d'un peuple repose sur l'adhésion partagée à un "mythe", au sens de structure culturelle capable de parler à l'imagination. (Le pape use de la notion de "mythe" au sens sorélien de puissance de mobilisation sociale : emprunt inattendu [*] mais que l'on retrouve dans plusieurs discours de François - notamment aux mouvements populaires).
 
Si ce "mythe" fait défaut, le peuple devient incapable d'assimiler des nouveaux venus. C'est le cas en Europe aujourd'hui, pour des raisons que nous n'allons pas développer ici et que tout le monde connaît. Cette panne de la capacité d'assimilation explique que la scène soit occupée par les deux erreurs jumelles : le "multi-culturel" (abolition de la notion de peuple) et "l'identitaire" (réduction de la notion de peuple à l'utopie de l'origine ethnique).
 
Précision : ce que le pape François dit du peuple porte la marque de la "théologie du peuple" argentine, branche des théologies de la libération qui prend pour objet le fait national au lieu de la lutte des classes. Un livre sur ce sujet : Le pape du peuple, par le théologien jésuite Juan Carlos Scannone (Cerf 2015).
 
 
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[*] Joseph Ratzinger de son côté ne s'est pas privé d'emprunter à de nombreux penseurs laïques : y compris Karl Marx. (Ne le dites pas aux ultras, vous leur donneriez des spasmes).
 
 
 
 
 

peuple,pape françois

 

Commentaires

Parallèle:

> " Le mot peuple a quelque chose en plus qui ne peut être expliqué de manière logique. Faire partie d’un peuple c’est faire partie d’une identité commune faite de liens sociaux et culturels. Et cela n’est pas une chose automatique, au contraire : c’est un processus lent, difficile, orienté vers un projet commun. »

Si nous relisons Renan nous trouvons, dans sa célèbre conférence de mars 1882 "Qu'est-ce qu'une nation?":
"Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. ...
L'homme est tout dans la formation de cette chose sacrée qu'on appelle un peuple ...
La nation suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ... un plébiscite de tous les jours ..."

Dans les deux cas l'accent est mis sur "l'homme âme du peuple"! .... Difficile j'en conviens pour des élites dont le peuple, l'homme, est une variable ajustable et encombrante.
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Écrit par : Albert E. / | 12/11/2016

À PIC

> Merci pour ce texte, qui tombe à pic! à la paroisse, mercredi prochain, réunion d'un groupe mensuel de réflexion, thème de cette fois: "Le multiculturalisme".
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Écrit par : Pierre Huet / | 13/11/2016

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