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07/11/2016

Charles Dickens anticapitaliste ?

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Relisons L'ami commun, ce roman des dernières années où Dickens montre "la société anglaise vouée à la superficialité urbaine et à l'avidité destructrice"


 

 

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La société de marché

(L'ami commun, chapitre X)

 

<<  Le jeune monsieur mûr est un monsieur qui a du bien. Il place son bien. Il va, en amateur et avec des façons condescendantes, dans la City, participe à des conseils d'administration, et s'occupe d'opérations sur des actions. Comme le savent bien ceux qui sont sages dans leur génération [*], les opérations sur les actions sont les seules choses au monde qui méritent qu'on s'en occupe. Soyez sans passé, sans réputation, sans culture, sans idées, sans éducation, mais ayez des actions. Ayez assez d'actions pour être Administrateur de Sociétés avec des majuscules, allez et venez pour de mystérieuses affaires entre Londres et Paris, et vous serez un grand homme. D'où vient-il ? D'actions. Où va-t-il ? À des actions. Peut-être n'a-t-il jamais rien accompli par lui-même, n'a-t-il jamais donné naissance à rien, n'a-t-il jamais rien produit ? C'est une suffisante réponse à tout que : des actions. Ô les puissantes actions ! Ériger si haut ces idoles retentissantes, et nous faire crier bien fort, à nous canailles secondaires, comme sous l'influence du jusquiame et de l'opium, jour et nuit : "Débarrassez-nous de notre argent, dissipez-le à notre place, achetez-nous et vendez-nous, ruinez-nous, seulement nous vous en supplions, prenez rang parmi les puissants de la terre, et engraissez-vous à nos dépens !" >>

 

 

 

Religiosité bourgeoise

(L'ami commun, chapitre XI)

 

<< Étant si éminemment convenable, M. Podsnap  se rendait compte qu'il lui importait de prendre la Providence sous sa protection. Aussi connaissait-il toujours très exactement les intentions de la Providence. Des hommes de rang inférieur et moins convenables pouvaient bien rester au-dessous de ce niveau, mais M. Podsnap l'atteignait toujours. Et c'était une chose bien remarquable (et sans nul doute bien réconfortante)  que les intentions de la Providence fussent invariablement les intentions de M. Podsnap. On peut dire que ces intentions étaient  les articles d'une foi et d'une école que le présent chapitre prend la peine d'intituler, d'après sa figure la plus représentative, la podsnapperie. Ils étaient confinés dans d'étroites limites, de même que la tête de M. Podsnap était confinée dans son faux col ; et ils étaient formulés avec une emphase retentissante qui faisait penser au craquement des souliers de M. Podsnap. >>

 

 

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« "Je ne veux rien en connaître, il ne me plaît pas d'en discuter ; je ne l'admets pas !" Mr Podsnap avait même contracté un geste large du bras droit à force de déblayer fréquemment le monde de ses problèmes les plus ardus, en les repoussant loin de sa personne (et par conséquent dans le néant) et en prononçant ces mots avec un visage empourpré. Car ces problèmes l'offensaient. » ('L'ami commun', chapitre XI)

 

 

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[*]  Pastiche du style anglican.

 

10:19 Publié dans Histoire, Idées | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

Commentaires

ANTOINE DE RIVAROL ÉCOLOGISTE RADICAL ?

> La littérature, même lorsqu'elle n'est plus récente, résonne d'échos ou d'avertissements, en effet.
Dans un autre domaine, celui de l'écologie, on trouve ceci dans les pensées de Rivarol (*) :
"La terre ne donne que des revenus ; elle ne connaît pas de capitaux ; si on la mangeait en nature au lieu de vivre de ses fruits, alors elle serait un capital dont on pourrait calculer le prix et la durée, et il y a longtemps que le genre humain aurait mangé son séjour."
Du temps de Rivarol, ce n'était qu'une hypothèse (que l'intéressé devait juger hautement farfelue), mais n'est-ce pas la réalité aujourd'hui ?

(*) Précision : il s'agit d'Antoine de Rivarol, non de quelque follicule contemporain.

Sven Laval


[ PP à SL :
- Follicule écrit avec les pieds, et qui s'attirerait les mépris de cet hyper-civilisé qu'était le vrai Rivarol.
- Merci de nous avoir fait connaître ce passage rivarolien méconnu ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 07/11/2016

L'AMI COMMUN, FICHE WIKI

> 'L'Ami commun' (titre original : 'Our Mutual Friend'), quatorzième et dernier roman achevé de Charles Dickens, a été publié par Chapman & Hall en vingt feuilletons comptant pour dix-neuf en 1864 et 1865 avec des illustrations de Marcus Stone, puis en deux volumes en février et novembre 1865 ; enfin en un seul la même année. Situé dans le présent, il offre une description panoramique de la société anglaise, la troisième après 'La Maison d'Âpre-Vent' et 'La Petite Dorrit'. Ainsi, il se rapproche beaucoup plus de ces deux romans que de ses prédécesseurs immédiats, 'Le Conte de deux cités' et 'Les Grandes Espérances'.
Charles Dickens s'emploie à dénoncer la superficialité d'une société fissurée en divisions de classes, corrompue par l'avidité du gain, l'incompétence du pouvoir, le gaspillage de la vie urbaine vouée au matérialisme et les relations prédatrices qu'entretiennent entre eux les êtres humains. Pour symboliser la déréliction de ce monde en décomposition, il utilise les décharges londoniennes, tumuli de rebuts déversés pêle-mêle ('dust heaps'), le cours du fleuve charriant des cadavres, les oiseaux de proie humains détroussant les morts et fouillant sans relâche dans les ordures. Ainsi, il associe une satire mordante à un réalisme noir, un fond traditionnel de fantastique et de contes de fée à une mise en garde contre les périls montants et, comme toujours, propose en antidote les valeurs morales qu'assurent la bonne volonté et un altruisme bien orienté.
Ce faisant, il y a là également, de l'originalité dans la construction de l'intrigue ; laquelle se signale par sa cohérence, voire un certain raffinement dans la complexité ; de plus, malgré la surabondance de cadavres, testaments et complots, Dickens abonde en scènes humoristiques où fraicheur d'observation et verve se déploient avec audace. Considérant en effet qu'une voix unifiée ne saurait à elle seule représenter la fragmentation de la société moderne et rendre compte de l'instabilité du monde qu'elle génère, l'auteur donne donc à son narrateur, pourtant moins présent que dans beaucoup de ses romans, une amplitude de tons encore jamais atteinte, tour à tour ironique et désinvolte, sérieux et comique, solennel et léger.
Si la critique contemporaine reste divisée sur son intrigue et ses personnages, 'L'Ami commun' est aujourd'hui reconnu comme l'un des chefs-d'œuvre de la dernière manière de Dickens. Quoique moins courtisé par les adaptateurs que certains ouvrages précédents, le roman a inspiré plusieurs réalisateurs de cinéma ou de télévision, et même le poète T. S. Eliot ou le chanteur Paul McCartney.
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Écrit par : luça / | 07/11/2016

à PP :

> vous êtes un peu sévère pour les pieds. Cela dit, il fut un temps (fort lointain) où ledit follicule publiait de belles critiques d'Antoine Blondin (dont une, superbe, du "Rivage des Syrtes"). Les éditions de la Table Ronde les ont recueilles (avec d'autres textes) en des volumes anthumes et posthumes qui évitent de lire le reste du follicule.
Faut-il supposer que la nullité dudit follicule (constante ou résultant d'une décadence, je l'ignore) est le fruit d'un entre-soi jalousement cultivé ?
A propos de recueils, une anthologie de textes de Rivarol, Chamfort et Vauvenargues est parue cette année chez "Bouquins". La préface de Chantal Delsol et un peu mieux que celle qu'elle a commise pour un livre de F. Rouvillois et que vous aviez alors commentée.

SL


[ PP à SL - Je parlais du 'Rivarol' de 2016 : non de celui de 1950 où signaient quelques monstres mais bons écrivains (Rebatet)... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 08/11/2016

Les commentaires sont fermés.