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08/09/2016

Les avatars de "l'Empowerment"

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Ce mot est un cas-limite de l'invasion du 'globish', langage ambigu, prétentieux et (inéluctablement) mercantile :


 

 

Intéressant article ce matin dans les pages Vous de Libération : "Empowerment, le grand détournement de fond"... Introduction : "Issu du vocabulaire sociologique des années 30 puis repris par les minorités contestataires des années 70, ce terme ['empowerment'] qui signifie 'acquérir du pouvoir' est aujourd'hui mis à toutes les sauces, notamment marketing..."

C'est donc un cas d'école à double titre : 1. en tant que mot-parasite, issu du globish et proliférant - comme beaucoup d'autres anglo-piranhas linguistiques -  à l'intérieur d'anciennes langues de culture dans lesquelles ils s'infiltrent [*] ; 2. en tant que concept universitaire (puis militant) mais devenu - comme tant d'autres, notamment ceux de la French Theory  - un outil du formatage marketing de masse.

Extraits de l'article :

<< Il est partout. En France, [le terme empowerment] est le leitmotiv de la politique dans les quartiers populaires [...]  En même temps, c'est aussi le credo de Beyoncé, qui s'en sert comme un concept élastique dans ses clips et pour vendre sa ligne de vêtements. [...]  Mais l'empowerment, c'est aussi une notion-clé du management et du marketing. Du "Just do it" de Nike au "Venez comme vous êtes" de McDo, les marques font de ce concept leur meilleur argument de vente. [...] Comment un concept né dans une perspective d'émancipation des minorités a-t-il fini par servir à faire la promotion de déodorants ou d'une paire de baskets ? >>

Au tournant des années 60-70, le mot (né d'un sociologue du Chicago des années 30) est adopté par les militants communautaristes et les idéologues US disciples de Foucault. Dans les années 1980, il est repris par les neocons. En 2016, les ultralibéraux s'en emparent pour "étendre les valeurs du marché à la politique sociale". Le mot empowerment est donc chargé d'une polysémie perverse : apparemment revêtu de la dignité idéologique de tous les communautarismes (gay etc), il véhicule en fait la dislocation de la société par le marché.

Inutile de préciser le rôle de l'internet dans ce tour de passe-passe :  l'individu devant son clavier ayant désormais l'illusion de devenir maître des choses, il est facile de le persuader que c'est ça le power  - et de couper ainsi les circuits humains réels, pour enclore l'individu dans un univers virtuel polarisé sur la consommation.

<< En quelques années, [les marques] ont transformé l'empowerment en un argument de vente béton, resservi à toutes les sauces. Pour cela il y a plusieurs méthodes. D'abord louer le dépassement de soi et le respect de l'individualité [...]  Constatant que l'empowerment du consommateur se double souvent d'une perte de repères et d'une quête identitaire (que choisir quand tout est possible ?), certaines marques [...] affichent leur vision d'un monde amélioré et deviennent des guides-partenaires, parfois à la limite de la secte, dans le cas d'Apple qui exoge de ses clients qu'ils "pensent différemment" ("Think different"). Elles développent des slogans de coachs : "Find your greatness" pour Nike, "Love your imperfections" pour Meetic ou, plus récemment, "Find your magic" d'Axe... >>

Cette "hyper-personnalisation", soumission maximale (alléguée) aux désirs du consommateur, est en train de se substituer à ce que le vocabulaire officiel appelait naguère le "lien social". Dans ces conditions, les problèmes de société deviennent insolubles. C'est l'une des clés du dépérissement de la démocratie politique, de l'échec de l'intégration des jeunes issus de l'immigration, etc.

CQFD : ennemi du genre humain, ce système économique est l'empire du Menteur.

 

 

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[*]  Voyez en quel idiome la pub parisienne parle aux Français : Boom me up, Unexpect shopping, etc. Ce sabir commercial est désormais qualifié de "langage de notre temps". Y compris par des animateurs religieux laïcs... Dans les bulletins de paroisse de quartiers très business, se dire bonjour à la sortie de la messe du dimanche (bonne vieille civilité toute simple entre catholiques) se dit aujourd'hui... "speed dating" ! Pour ne pas désorienter le public ?

 

 

Commentaires

TENTATEUR

> Le Menteur étant aussi Tentateur, on peut supposer qu'il aura suggéré auparavant au consommateur les désirs illimités de celui-ci, auxquels il se plaira avec d'autant plus de facilité à obéir.
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Écrit par : Sven Laval / | 08/09/2016

COMECE

> Sur un autre sujet, la COMECE soutient la poursuite des négociations du TIPP :
http://fr.radiovaticana.va/news/2016/09/07/ttip__le_cardinal_marx_souhaite_une_poursuite_des_négociations/1256554

Arnaud


[ PP à Arnaud - Tous les membres de la Comece, sans doute non. Mais le cardinal Marx, oui. Voir ma réponse à Aventin sous la note "Berlin et Paris" du 30/08. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Arnaud / | 08/09/2016

@ Arnaud et PP

> Incontestablement, il y a dans nos épiscopats un discours européiste inchangé depuis les années 50.
Et le projet de béatification de tel "père fondateur" cause un scandale réel dans des milieux de gauche patriotique que j'ai l'occasion de côtoyer.

PH


[ PP à PH
La Congrégation pour la cause des saints vous répondrait, si d'aventure cette béatification avait lieu, qu'elle ne sanctionne pas l'action politique du personnage mais sa valeur spirituelle.
Distinction difficile à admettre pour des agnostiques, mais (sur)naturelle pour des croyants... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 08/09/2016

GLOBISH CATHO

> L'usage de plus en plus répandu de la langue anglaise n'échappe hélas pas à notre chaîne catholique nationale, KTO. J'ai été assez surpris, sinon choqué, qu'en novembre dernier, les émissions consacrées au massacre du Bataclan aient été diffusées (sur le site de KTO) sous l'indication "Pray for Paris". Pourquoi ne pas avoir employé "Une prière pour Paris", par exemple ? Plus récemment, je constate que l'application consacrée à la recherche de prêtres susceptibles de donner le sacrement de réconciliation a été lancée sous l'appellation "GeoConfess", faisant de nouveau référence à l'anglais. Une plateforme de financement, sans lien avec KTO mais que je mentionne pour mémoire, vient d'être proposée sous l'intitulé "CredoFunding".
Toute langue, y compris le français, a vocation à intégrer certaines expressions empruntées à d'autres parlers ; cette évolution, qui est parfaitement naturelle, ne doit cependant être excessive, au risque de dénaturer la langue recevant ces apports.
Un exemple de ces excès peut être trouvé dans la grille de programmes disponible quotidiennement sur le site de KTO : "Aftermovie des JMJ 2016 - Retour sur les JMJ avec Festival Paradise in The City".
Qu'un titre tel que celui-ci fasse mention de deux anglicismes est regrettable ; pourquoi par exemple ne pas préférer "rétrospective" à "aftermovie" ? Les plus aînés de nos téléspectateurs, dont l'immense majorité n'est pas anglophone, ne se trouvent-t-ils pas déboussolés devant un usage si répandu de la langue anglaise ?
Que TF1 bombarde ses téléspectateurs d' "anglo-piranhas linguistiques", soit. Mais que KTO (ou Arte) prenne le même chemin, cela me gêne un peu.
Le Saint-Siège n'échappe pas à la prolifération du globish avec "The Pope APP", disponible en anglais dans le texte sur le site francophone du Vatican (www.news.va). Il y a encore quelques années, on parlait du "denier de l'Église". Quelle belle expression ! Ce qui l'a remplacée, le "crowdfunding catholique", ne me donne à l'évidence pas envie de donner ! Passera-t-on dans quelques années directement au "Catholic crowdfunding" ?...
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 09/09/2016

EMPOWERMENT ET COMPLIANCE

> Ah, tiens, «Empowerment», ça fait partie de ces trucs que les RH de notre groupe tentent de nous fourguer (je suis au Royaume-Uni, mais l'entreprise fait partie d'un plus grand groupe états-unien. Je ne sais pas s'ils y croient vraiment). Déjà que pour les anglophones, le mot est devenu à peu près aussi creux que, disons, «tolérance» peut l'être pour des francophones, mais alors importé tel quel...
Sinon, sur Twitter, je découvre cette nouvelle perle : la «compliance». Le mot existe bien en français, mais d'après le Larousse son sens est médical (compliance pulmonaire : mesure de l'élasticité des poumons).
http://www.affiches-parisiennes.com/la-compliance-un-nouveau-defi-pour-les-avocats-et-les-entreprises-6491.html
Et encore un exemple des ravages du Globish. «Conformité» sentait le pâté de campagne ?
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Écrit par : Dr. Zurui / | 09/09/2016

EMPOWERMENT

> J'ai eu l'occasion d'entendre il y a quelques années, l’économiste catholique Pierre-Yves Gomez sur le sujet de la subsidiarité. Répondant à une question qui lui était souvent posée sur l’empowerment, quant à savoir s’il ne s’agissait pas d’une forme de subsidiarité, il a répondu par la négative. Pour lui ce n’est pas de la subsidiarité, car il s’agit en fait de donner du « pouvoir » à des individus et non pas à des groupes. Ce qui entraîne finalement l’apparition de systèmes de contrôles qui coûtent une fortune aux entreprises. C’est donc une fausse bonne solution.

@ Philippe de Visieux

> Peut-être le savez vous déjà, mais l’anglais est lui-même une langue dont une partie non négligeable (majoritaire ?) du vocabulaire est d’origine étrangère… et même française. Je ne prétends absolument pas défendre l’utilisation du globish, mais rappeler un fait, qui donne à réfléchir. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/anglais.histoire.htm
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Écrit par : ND / | 09/09/2016

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