02/06/2016
L'OCDE découvre la lune
...sur la croissance et la financiarisation :
L'OCDE est réunie à Paris cette semaine. Elle découvre la lune : c'est-à-dire le coma de la croissance, notamment aux Etats-Unis (que nos médias célèbrent pourtant sans se lasser)... "La hausse annuelle de la productivité des pays les plus riches est passée de 2% entre 1990 et 2000 à 0,9 % entre 2007 et 2014, et la chute se poursuit en 2016 avec 0,7 %", constatent les experts. Mais voilà du nouveau : l'OCDE attribue ce processus à... la financiarisation ! "Le poids croissant de la finance dans l'économie mondiale pourrait [euphémisme] avoir détourné l'investissement des activités productives et provoqué une plus forte concentration de la richesse", supputent désormais les experts. Ils découvrent même que la financiarisation s'accompagne du "creusement des inégalités", donc de "l'affaiblissement de la demande" ! "Jamais les inégalités salariales n'ont été aussi importantes", disent-ils : et ceci "freine l'économie" en plombant la demande des consommateurs...
Ainsi le résultat de la dérégulation se retourne contre le système productiviste-consumériste : d'autant que - sous le règne du rendement financier maximal et de la "valeur pour l'actionnaire" (progressant plus vite par la spéculation que par la production) - l'économie réelle se trouve marginalisée. C'est le fruit de l'ultralibéralisme : mais ça, les experts ne le disent pas.
Faisons observer à l'OCDE que : 1. la financiarisation (qu'elle déplore en 2016) était le véritable objectif de la dérégulation libérale de 1980-1990 ; 2. cet engrenage avait été annoncé dès les années 1980 par les économistes indépendants, mais l'emprise des idéologues libéraux avait rendu nos dirigeants sourds à l'avertissement.
D'où l'impasse dénoncée par le pape François [*] dans Evangelii gaudium, § 53 : "Certains défendent encore les théories de la retombée favorable [**], qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n'a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant..."
Mais le déclin constant de la productivité signifie quelque chose de plus, dont l'OCDE aurait pu s'apercevoir depuis longtemps. Comme le démontrait en 2009 l'économiste Jean Gadrey [***], c'est depuis soixante ans que diminuent les taux de croissance économique et de productivité du travail,
non seulement en France :
...mais aux Etats-Unis :
Sexagénaire, cette baisse tendancielle ne vient donc pas seulement de "la montée des inégalités et la dérégulation du statut salarial", mais d'une exténuation du système économique lui-même - soulignait Gadrey.
Selon lui, les facteurs les plus décisifs se situent :
- "dans une grande transformation des structures productives" [la tertiarisation de l'activité]
- "et dans le début de raréfaction des 'facteurs de productivité' essentiels que sont les ressources naturelles, en particulier énergétiques."
Je cite Gadrey :
"C'est sans doute l'un des grands problèmes de l'humanité, dirigée par un système capitaliste expansionniste, que d'avoir découvert sous ses pieds tous les outils d'un 'progrès matériel' pouvant la conduire à sa perte en lui donnant les moyens d'une extinction accélérée des stocks de ressources non renouvelables et d'une exploitation des ressources renouvelables au delà de leurs capacités naturelles de régénération..."
"...Comment ne pas voir que cet épuisement tous azimuts des ressources de la mer, de la terre, du sous-sol et de l'atmosphère, ces seuils déjà franchis ou bientôt atteints, mais aussi les normes et taxes environnementales en (nécessaire) émergence, sont autant de facteurs de déclin du taux de croissance ? Cette hypothèse ne concerne pas seulement la production de biens industriels et agricoles. Elle vaut aussi pour celle des services, dont on peut montrer qu'ils reposent aux aussi sur des infrastructures matérielles."
Les indicateurs classiques (quantitatifs) ne rendent donc pas compte de réalités (qualitatives) qui sont cruciales, mais que l'on évacue du tableau en tant qu' "externalités". Conclusion de Gadrey : il faut cesser, dit-il, d'assimiler "déclin économique et social" et "déclin des chiffres de la croissance et de la productivité". "Ces indicateurs sont biaisés : ils poussent à aller aussi vite que possible... dans la mauvaise direction. Il faut sortir de la 'croissance' avant qu'elle ne nous sorte du jeu, et retrouver une autre 'prospérité' en redonnant à ce terme son sens initial."
Quel est ce sens ? "Prospérité vient du latin spero ('s'attendre à') et pro ('en avant') : faire en sorte que les choses aillent bien - ou mieux - au fil du temps, sans connotation d'abondance matérielle nécessaire. C'est possible en maintenant un objectif de plein emploi de qualité (car dans de nombreux secteurs il faut plus d'emplois), à quantités produites identiques (donc sans croissance), pour 'produire durable' écologiquement et socialement."
Ce qui, selon Gadrey, pourrait donner ces propositions concrètes :
► réduire fortement les inégalités ("d'autant que ce sont d'abord les riches qui détruisent la planète"),
► "favoriser la sobriété matérielle à l'opposé de l'avidité consumériste",
► investir massivement dans les productions les plus douces pour la nature, pour les gens et pour la société,
► édicter des normes de production strictes, et "faire de la 'discrimination positive' pour les productions durables et de la 'désincitation' pour les autres."
"La contestation de la religion de la croissance et de l'inéluctabilité des gains de productivité qui en est le centre, est un enjeu de société majeur", insistait Gadrey en 2009. Ses propositions sont évidemment discutables, mais le combat d'économistes comme lui vaut d'être connu du public : ne serait-ce que pour sortir de la pensée unique, qui, disait Emmanuel Todd, se ramène à une pensée-zéro.
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[*] ce qui lui vaut de se faire traiter de monstre par des catholiques libéraux.
[**] ou théorie du "ruissellement" (trickle-down).
[***] http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2009/10/2... Jean Gadrey est notamment l'auteur de l'étude Adieu à la croissance (Les petits matins - Alternatives économiques, 2010 et 2012). Ses analyses de 2009 ne pouvaient évidemment inclure la chute du prix du pétrole, qui allait être provoquée plus tard par la stratégie politique saoudienne.
00:19 Publié dans Ecologie, Economie- financegestion | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : croissance, écologie
Commentaires
PUB APPLE
> Merci Patrice de nous aider à ne pas nous tromper de religion. La confusion et la division règnent, le diable n'est pas loin.
Sur le sujet de votre article, je cite Jean Gadrey:
"édicter des normes de production strictes ; "faire de la 'discrimination positive' pour les productions durables et de la 'désincitation' pour les autres."
C'est pas gagné.
Dans le métro on voit actuellement un pub drôlatique proposant l'achat d'un Apple MacBook Air avec de belles montagnes en fond d'écran, précisant l'éco-participation, certainement comme argument de vente à l'attention des écolos bobos.
Pour un tel objet à 1229 € elle est de ... 0,24€.
Quand on sait qu'Apple se met 58% du prix d'un Iphone dans la poche (profit), et leur aptitude à nous sortir de nouveaux produits tous les 6 mois rendant obsolète le précédent, c'est mini 300€ d'écoparticipation qu'il faudrait pour nous "désinciter" un peu. Encore un effort.
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Écrit par : cumet / | 01/06/2016
DIRECTEMENT LIÉ
> Ce n'est pas étonnant, Jancovici avait déjà expliqué (depuis des années) que le taux de croissance du PIB est directement lié au taux de croissance de la consommation énergétique (mondiale) : en gros : pour avoir 3% de croissance mondiale, il faut avoir 2% de croissance de consommation énergétique (l'écart de 1% c'est l'amélioration de la performance énergétique).
A partir du moment où la production plafonne (pic de pétrole & co), la croissance s'effondre !. Si la production baisse, alors le PIB va faire de même.
Pour raffraichir les méninges, juste 2 pages :
http://manicore.com/documentation/emplois_energie.html
http://manicore.com/documentation/petrole/petrole_economie.html
Nos "brillants économistes" voient les conséquences, mais ils n'ont pas encore compris les causes ....
glorieux experts ...
Cdt,
Gilbert
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Écrit par : bergil / | 02/06/2016
300 MILLIARDS PAR AN
> Et si le QE de la BCE servait à financer la transition écologique ?
La Fondation Nicolas Hulot propose d'utiliser la création monétaire de la BCE pour financer 300 milliards d'euros par an de dépenses liées à la transition écologique et à la lutte contre l'exclusion sociale.
(...)
Reste à savoir quel sera l'avenir de cette proposition. A Bruxelles et à Francfort, on va feindre d'ignorer ce type de démarche. Leur vision officielle est répétée à chaque conférence de presse de la BCE : la croissance ne viendra que des « réformes structurelles », par ailleurs pourtant largement déflationnistes par essence.
Le seul espoir est donc politique.
Ce plan ambitieux et réaliste sera-t-il repris par un courant politique ?
Sera-ce un enjeu de la campagne électorale française ? Là aussi, on peut en douter compte tenu du niveau faible du débat autour des enjeux européens dans l'Hexagone.
Source : La Tribune. Romaric Godin.
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/et-si-le-qe-de-la-bce-servait-a-financer-la-transition-ecologique-575991.html#xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20160602
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Écrit par : JR Larnicol / | 02/06/2016
LANCER LE MOUVEMENT
> C'est à un changement de paradigme qu'on nous invite ! C'est-à-dire, cesser de chercher à consommer toujours plus.
Petit problème : on a formaté des générations de consommateurs à n'exister que par une consommation toujours croissante. Les gens ne sont tout simplement psychologiquement et anthropologiquement pas prêts à cette révolution !
Cependant :
1- de plus en plus de personnes ne supportent plus cette société de consommation et renouent avec des modes de vie plus sain (retour à la terre)
2- le bien aussi se répand par contagion. A nous donc de lancer le mouvement, qui nous sera bientôt imposé de toute façon par l'épuisement des ressources.
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Écrit par : Pema / | 02/06/2016
RAVAGEURS
> Je dévie un peu, mais pas tant que ça : "tout se tient", et je ne suis donc pas totalement hors-sujet en signalant ici cette nouvelle avancée de l'esprit d'entreprise vigoureux, marchant main dans la main avec des autorités politiques locales enfin libérées des archaïsmes du passé et converties à la conservation "numérique" du patrimoine, ce qui permet de le détruire dans le monde réel.
http://www.lepaysdauge.fr/2016/05/17/le-groupe-cofinance-a-detruit-les-fresques-des-cures-marines-de-trouville-sur-mer/
Bientôt, pour visiter Blois, lunettes 3D obligatoires. Sur place, vous n'aurez plus qu'un Hilton.
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Écrit par : Lucas / | 02/06/2016
> Humour: la financiarisation favorise la décroissance.
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Écrit par : Pierre Huet / | 02/06/2016
Le FMI atterrit lui dans le réel:
> http://www.lesaffaires.com/blogues/l-economie-en-version-corsee/le-neoliberalisme-est-mort-selon-le-fmi-/587919
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/06/2016
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