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30/05/2016

Saint Jean-Paul II et la critique de la philosophie libérale

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Notre ami ND nous communique ces réflexions :


 

Le Catéchisme de l’Eglise catholique a pour but (n. 11) de "présenter un exposé organique et synthétique des contenus essentiels et fondamentaux de la doctrine catholique tant sur la foi que sur la morale, à la lumière du concile Vatican II et de l’ensemble de la Tradition de l’Église. Ses sources principales sont l’Écriture Sainte, les saints Pères, la liturgie et le Magistère de l’Église."

Friedrich Hayek, si à la mode de nos jours chez les catholiques libéraux et dans le monde économique, pensait (ce qui lui a valu le Prix Nobel d’économie en 1974) que l’expression "justice sociale" ne veut rien dire et ne désigne qu’une chimère : une fonction rhétorique.

Mais le Catéchisme (mis au point par le cardinal Ratzinger) dit au n. 1928 : "La société assure la justice sociale lorsqu’elle réalise les conditions permettant aux associations et à chacun d’obtenir ce qui leur est dû selon leur nature et leur vocation."

Si j'écoutais les libéraux je serais donc inquiet, en tant que catholique, de découvrir que le catéchisme parle de choses qui n’existent pas ! Et il y a bien d’autres références à la justice sociale dans ce document... (A la vérité, je ne sais plus si je dois m'inquiéter pour lui ou pour la foi et la moralité des catholiques libéraux).

Les catholiques libéraux se réclament de saint Jean-Paul II... tout en s’appuyant sur l’utilitarisme. Mais Jean-Paul II était contre l’utilitarisme : il a d'ailleurs écrit un ouvrage de morale sexuelle, intitulé Amour et responsabilité [*], dans lequel il fait une démonstration appliquée de la fausseté de cette doctrine philosophique. Pour que l’on ne puisse plus se réclamer à la fois de Jean-Paul II et d’une pensée économique appuyée sur l’utilitarisme, donnons ici un aperçu de la critique de ce courant telle qu’on la trouve dans ce livre :

 

Ch. V (Critique de l'utilitarisme)

<< On voit bien comment en partant des principes utilitaristes, l'attitude subjective dans l'entendement du bien (bien = plaisir) mène tout droit – peut-être même inconsciemment – à l'égoïsme. La seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître, en dehors du bien purement subjectif, c'est-à-dire en dehors du plaisir, le bien objectif, qui lui aussi peut unir les personnes en prenant alors le caractère de bien commun. C'est lui qui est le véritable fondement de l'amour : et les personnes qui le choisissent ensemble s'y soumettent en même temps. Grâce à cela, elles se lient d'un vrai et objectif lien d'amour, qui leur permet de se libérer du subjectivisme et de l'inévitable égoïsme qui en découle. L'amour est communion des personnes. A une telle formule, un utilitariste conséquent ne peut opposer (il y est obligé) qu'une harmonie d'égoïsmes : harmonie douteuse, car – comme nous l'avons vu – de par son essence même, l'égoïsme est sans issue. >>

 

Ch. VI (Le commandement de l'amour et la norme personnaliste) 

<< Le commandement formulé dans l'Evangile enjoint à l'homme d'aimer son prochain, ses semblables: il enjoint l'amour de la personne. [...] En exigeant l'amour de la personne, ce commandement s'oppose indirectement au principe de l'utilitarisme : celui-ci, comme nous l'avons démontré dans l'analyse qui précède, ne peut assurer que l'amour soit présent dans les rapports entre les les personnes. [...] En analysant l'utilitarisme, nous avons constaté qu'en partant de la norme admise par lui, nous n'arriverons jamais à l'amour. Le principe de la jouissance se mettrait toujours en travers de notre chemin vers l'amour, et ceci du fait que nous traiterions la personne comme moyen servant à atteindre le but, en l'occurrence, le plaisir, le maximum de plaisir. Le principe de l'utilitarisme et le commandement de l'amour sont opposés parce qu'à la lumière de ce principe le commandement de l'amour perd tout simplement son sens. >>

 

Jean-Paul II critique par ailleurs le "calcul du plaisir" chez les utilitaristes ; transposé au profit en économie, cela donne tous les calculs (d’utilité, de maximalisation, d’optimisation, etc) enseignés par les professeurs d’université…

Lorsque Jean-Paul II parle de "l'harmonie douteuse" des intérêts, je ne peux m’empêcher de penser à ce que dit le pape François, dans Laudato Si, sur la main invisible du marché.

Jean-Paul II fait le lien avec le bien commun et son caractère objectif (dans le cas particulier de la morale sexuelle - sujet de ce livre -, le fruit objectif de l’amour est l’enfant). A l'inverse, le libéralisme ne connaît que des intérêts subjectifs... C’est bien pour cela que le pape François parle de relativisme à propos de cette idéologie économique.

 

Pour qui douterait que l’utilitarisme a bien été transposé par les libéraux à l’économie, voici ce qu’en disait un ami proche de saint Jean-Paul II, Georges Kalinowski, dans son Initiation à la philosophie morale (1966) à propos des "morales du plaisir et du bonheur" – autrement dit les "morales" hédonistes :

<< John Stuart Mill, philosophe, moraliste, logicien et économiste anglais, se rattache à cet hédonisme moderne auquel il a donné lui-même le nom d’utilitarisme dans l’ouvrage portant ce titre. L’utilitarisme avant la lettre s’épanouit au XVIIIe siècle en Angleterre (Hume, Hartley, Priestley, Paley, Bentham) et en France (Helvétius). Leur hédonisme diffère de celui des Anciens par son caractère sociétal. Alors que le cyrénéens (disciples d’Aristippe) et les épicuriens n’étaient préoccupés que du bonheur de l’individu, les utilitaristes anglais et français se soucient à la fois de "l’intérêt" (nom qu’ils donnent au plaisir) de l’individu et de celui de tous les membres de la société. Leur morale reste cependant toujours fondée sur un sentiment d’égoïsme, bien qu’elle revête tantôt un aspect pessimiste tantôt un aspect optimiste :

- les optimistes, avec Hartley et Adam Smith (dont l’ouvrage traduit en français sous le titre Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations fonde le libéralisme économique classique), croient à la suite de Bernard Mandeville (l'auteur de la Fable des abeilles) que l’harmonie entre intérêt individuel et intérêt collectif se réalise spontanément : tout en restant foncièrement égoïste, l’homme serait animé d’un sentiment de sympathie qui le pousserait à rechercher le plaisir d’autrui, celui-ci étant la cause du nôtre ;

- d’après les pessimistes, comme Hume, Bentham et Helvétius, l’harmonie des intérêts individuels et collectifs n’est jamais naturelle : elle n’est qu’artificielle et doit être provoquée […] La doctrine de John Stuart Mill se rattache le plus étroitement à celle de Bentham : […] la fin de l’homme c’est le plaisir, et la règle morale suprême nous oblige à rechercher le plaisir de tous. >>

 

Difficile de se réclamer à la fois de saint Jean-Paul II (la morale catholique) et des écoles de l'économie libérale classique, néo-classique, ou autrichienne dans la filiation d’Hayek. A moins de ne pas comprendre le français, ni savoir le lire...

 

                                                                          N.D.

 

__________

[*] Stock 1978.

 

Commentaires

RELATIVISME

> "...C'est bien pour cela que Jean-Paul II parle de relativisme à propos de cette idéologie économique".
Ce point est crucial.
Le libéralisme philosophique ET ÉCONOMIQUE porte en lui le relativisme comme la nuée porte l'orage :
- le libéralisme philosophique, pour la raison indiquée par Jean-Paul II dans le texte ci-dessus ;
- le libéralisme économique, par voie de conséquence et pour pouvoir opérer l'extension permanente des domaines du marché... Le relativisme lui sert à abolir toute norme, parce que la persistance de normes non marchandes ferait obstacle à cette extension du marché. Cf les "nouvelles moeurs"....
Faute de vouloir comprendre ça, le "libéralisme conservateur" n'est (comme disait ma grand-mère) qu'un pet de lapin sur une toile cirée. On vient de le vérifier au barnum biterrois.
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Écrit par : PP / | 30/05/2016

@ PP

> Pour abonder dans votre sens: http://www.lefigaro.fr/vox/religion/2014/02/10/31004-20140210ARTFIG00372-le-pape-francois-contre-le-liberalisme.php
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Écrit par : ND / | 30/05/2016

LE LIVRE DE St JEAN-PAUL II

> Vous trouverez ci-dessous, la partie qui vous intéresse d’ 'Amour et Responsabilité' en entier. Vous en ferez ce que vous voulez. L’ouvrage est introuvable.
Saint Jean-Paul II dit bien : « Ce principe l’utilitariste (le maximum de plaisir), le considère comme la première norme de la morale humaine, en ajoutant qu’elle devrait être appliquée non seulement individuellement, égoïstement, mais aussi dans le groupe, dans la société humaine. »
Vous remplacez ici, plaisir par profit dans le champ économique, vous mettez le tout en équations, et vous avez l’école néo-classique telle qu’on l’enseigne à l’université... Vous faites vraiment beaucoup de maths et quelques finesses en idéologies et quelques variations sur le thème et vous deviendrez Prix Nobel d’économie. Regardez bien aussi au moment où il parle de l’harmonie d’égoïsmes… On est loin de la civilisation de l’amour. Bonne lecture.

« V-Critique de l’utilitarisme

On peut ainsi sur la base des considérations qui précèdent, esquisser une critique de l’utilitarisme en tant que conception théorique de la morale et en tant que programme pratique de conduite.
Nous allons revenir sur cette critique, car l’utilitarisme est un des traits caractéristiques de l’homme contemporain et de son attitude envers la vie. On ne peut attribuer cet esprit et cette attitude uniquement à l’homme moderne : de tout temps, l’utilitarisme a constitué un courant que la vie des individus et des sociétés ont tendance à suivre. Néanmoins l’utilitarisme moderne est conscient, ses principes philosophiques sont formulés et scientifiquement définis.
Son provient du verbe latin « uti »(« utiliser », « profiter de », et de l’adjectif « utilis » (« utile »). Conformément à son étymologie, l’utilitarisme met l’accent sur l’utilité de l’action. Or tout ce qui donne du plaisir et exclut la peine est utile, car le plaisir est le facteur essentiel du bonheur humain. Etre heureux selon les principes de l’utilitarisme, c’est mener une vie agréable. Nous savons que le plaisir peut prendre différentes formes, qu’il y a des nuances dans le plaisir. Cependant la chose importe peu, bien qu’on puisse de ce fait, considérer certains plaisirs comme spirituels, et partant plus élevés, et d’autres tels les plaisirs sensuels, charnels, matériels, comme inférieurs. Pour un utilitariste, il n’y a que le plaisir en tant que tel qui compte, car sa manière de considérer l’homme, ne lui permet pas de découvrir en lui son évidente complexité : la matière et l’esprit, deux éléments constituants un seul être-personne, qui doit toute sa spécificité à son âme spirituelle. Pour un utilitariste, l’homme est un sujet doté de la faculté de penser et de la sensibilité. Celle-ci lui fait désirer le plaisir et refuser la peine. La faculté de penser, c’est-à-dire la raison, lui a été donnée pour qu’il dirige son action de manière à s’assurer le maximum possible de plaisir et le minimum possible de peine. Ce principe l’utilitariste, le considère comme la première norme de la morale humaine, en ajoutant qu’elle devrait être appliquée non seulement individuellement, égoïstement, mais aussi dans le groupe, dans la société humaine. Dans sa formulation finale, le principe d’utilité ( principium utilitatis) exige donc le maximum de plaisir pour le plus grand nombre d’hommes.
A première vue, ce principe paraît juste autant qu’attrayant. Il semble même difficile d’imaginer que les gens puissent chercher dans leur vie individuelle ou sociale plutôt la peine que le plaisir. Mais une analyse un peu approfondie ne tardera pas à dévoiler la faiblesse et le caractère superficiel de cette façon de penser et de cette norme de l’action. Leur défaut principal consiste dans la reconnaissance du plaisir, comme le seul, et en même temps le plus grand bien, auquel doit être subordonné le comportement individuel et social de l’homme. Et pourtant-nous pourrons le constater plus loin- le plaisir n’est pas l’unique bien, ni non plus le but essentiel de l’action humaine. De par son essence, il n’est qu’une chose marginale, accessoire, qui peut se présenter à l’occasion de l’action. Par conséquent, organiser l’action seulement en vue du plaisir est contraire à la structure des actes humains. Je peux vouloir ou faire quelque chose à quoi est lié le plaisir, je peux aussi ne pas vouloir, et ne pas faire quelque chose à quoi est liée la peine. Je peux le vouloir ou ne pas le vouloir, le faire ou ne pas le faire, en considération de ce plaisir ou de cette peine. Tout cela est vrai. Mais je ne peux considérer ce plaisir (par opposition à la peine) comme l’unique norme de mon action, comme le critère de mon jugement sur la bonté ou la malice de mes actes ou de ceux d’une autre personne. Nous ne sommes pas sans savoir que ce qui est vraiment bon, ce que m’ordonne la morale et ma conscience, est souvent lié précisément à une certaine peine et exige le renoncement à un plaisir. Mais ni cette peine, ni le plaisir auxquels on renonce ne constituent quelque fin ultime du comportement rationnel. En outre, elle n’est pas a priori déterminable. Le plaisir et la peine sont toujours liés à un acte concret, on ne peut donc les évaluer à l’avance, encore moins les planifier ou-comme le voudraient les utilitaristes, les calculer. Le plaisir est dans une certaine mesure insaisissable. On pourrait indiquer nombre de points obscurs et de malentendus que l’utilitarisme comporte aussi bien dans sa formulation théorique que dans son application pratique. Mais nous les laisserons de côté, pour ne concentrer notre attention que sur une seule question, celle qu’a relevé l’adversaire convaincu de l’utilitarisme, Emmanuel Kant. Nous avons déjà mentionné son nom en parlant de l’impératif moral. Kant y pose le principe que la personne ne doit jamais être seulement le moyen, mais toujours aussi la fin de notre action. Cette exigence met au jour l’un des côtés les plus faibles de l’utilitarisme : si le plaisir et l’unique bien et l’unique but de l’homme, s’il constitue également la seule base de la norme morale de sa conduite, alors tout dans cette conduite devrait fatalement être considéré comme un moyen servant à atteindre ce bien et ce but. Par conséquent la personne humaine aussi, la mienne comme celle d’autrui. Si j’admets les principes de l’utilitarisme, je me considère nécessairement moi-même comme à la fois comme un sujet qui veut éprouver sur le plan émotif et affectif le plus possible de sensations et d’expériences positives, et comme un objet dont on eut se servir pour les provoquer. Et je considère inévitablement de la même manière, toute autre personne, qui devient ainsi pour moi un moyen servant à atteindre le maximum de plaisir.
Ainsi conçus, l’esprit et l’attitude utilitaristes devront inévitablement peser sur divers domaines de la vie et des rapports humains, mais c’est le domaine sexuel qui semble être particulièrement menacé. En fait les principes utilitaristes sont dangereux parce qu’on ne voit pas comment établir à partir d’eux la coexistence des personnes de sexe différents sur le plan du véritable amour, ni comment les affranchir grâce à lui, aussi bien de l’attitude de jouissance (dans les deux sens du mot) que du danger de considérer la personne comme un moyen. L’utilitarisme paraît être le programme d’un utilitarisme conséquent, d’où on ne peut passer à un altruisme authentique. En effet, le principe, « maximum de plaisir » (de « bonheur ») pour le plus grand nombre d’hommes comporte une contradiction interne. Le plaisir de par son essence même, n’est qu’un bien actuel, et ne concerne que le sujet donnée, il n’est pas un bien transsubjectif. Tant que ce bien est considéré comme la seule base de la norme morale, il ne peut être question d’aller au-delà des limites de ce qui n’est bon que pour moi.
Nous ne pouvons compléter cette attitude que par un altruisme apparent. En effet, si en admettant que le principe que le plaisir est le seul bien, je me soucie également du maximum de plaisir également pour une autre personne –et non seulement pour moi-même, ce qui serait de l’égoïsme indiscutable- alors je n’apprécie le plaisir d’autrui qu’à travers le mien propre, parce qu’il m’est agréable de voir autrui l’éprouver. Mais cela cesse de me faire plaisir, ou bien ne résulte plus de mon « calcul du bonheur » (terme très souvent employé par les utilitaristes) je ne me sens plus lié par le plaisir d’autrui, lequel n’est plus un bien et peut même devenir un mal. En suivant les principes de l’utilitarisme, je tendrai alors à éliminer le plaisir d’autrui, parce qu’aucun plaisir ne s’y rattache plus pour moi-même, ou tout au plus il me deviendra indifférent, et je ne m’en soucierai plus. On voit bien comment en partant des principes utilitaristes, l’attitude subjective dans l’entendement du bien (bien=plaisir)mène tout droit-peut-être même inconsciemment- à l’égoïsme. La seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître, en dehors du bien purement subjectif, c’est-à-dire en dehors du plaisir, le bien objectif, qui lui aussi peut unir les personnes qui le choisissent ensemble s’y soumettent en même temps. Grâce à cela, elles se lient d’un vrai, d’un objectif lien d’amour qui leur permet de se libérer du subjectivisme et l’inévitable égoïsme qui en découle. L’amour est communion des personnes.
A une telle formule un utilitariste conséquent peut opposer (et il est obligé de le faire)une harmonie d’égoïsmes, harmonie douteuse, car, -comme nous l’avons vu- de par son essence même l’égoïsme est sans issue. Peut-on harmoniser différents égoïsmes ? Peut-on par exemple dans le domaine sexuel harmoniser celui de la femme et celui de l’homme ? Certainement, on peut le faire selon le principe « maximum de plaisir pour chacune des deux personnes », mais l’application de ce principe ne nous fera jamais sortir du cercle vicieux des égoïsmes. Ceux-ci continueront à être dans cette harmonie, ce qu’ils étaient auparavant, sauf que l’égoïsme masculin et l’égoïsme féminin deviendront profitables l’un à l’autre. Au moment où finit le profit commun et l’utilité commune, rien ne reste plus de toute cette harmonie. L’amour n’est alors plus rien dans les personnes et plus rien entre elles ; il n’est plus une réalité objective, car il manque de ce bien objectif sans lequel il n’existe pas. Ainsi conçu l’amour est une fusion d’égoïsmes combinés de manière à ne pas se révéler désagréables l’un pour l’autre, contraire au plaisir commun. La conclusion inévitable d’une telle conception est que l’amour n’est qu’une apparence qu’il faut soigneusement garder pour ne pas dévoiler ce qui se cache réellement derrière elle : l’égoïsme le plus avide, celui qui fait exploiter l’autre pour soi-même, pour son « maximum de plaisir » propre. Et la personne est alors et ne cesse d’être un moyen, ainsi que Kant l’a remarqué avec justesse dans sa critique de l’utilitarisme.
C’est ainsi qu’à la place de l’amour, réalité présente chez un homme et chez une femme, et qui leur permet d’abandonner l’attitude de jouissance réciproque consistant, à utiliser l’autre personne comme un moyen servant à atteindre son but, l’utilitarisme introduit cette relation paradoxale : chacune des deux personnes cherche à prémunir son propre égoïsme, et en même temps, accepte de servir l’égoïsme de l’autre, l’occasion de satisfaire le sien lui étant ainsi donnée ; encore ne l’accepte-t-elle que sous cette condition. La structure paradoxale de tels rapports, qui est non seulement plausible, mais doit réellement avoir lieu là, où l’on accepte l’esprit et l’attitude utilitaristes, prouve que la personne (non seulement celle d’autrui, mais aussi la mienne) tombe ici vraiment au rôle de moyen, d’instrument. C’est une nécessité douloureuse et logiquement inévitable, quasi antithèse du commandement de l’amour : « Il me faut me considérer moi-même comme un instrument et un moyen, puisque je considère ainsi autrui. »
VI-Le commandement de l’amour et la norme personnaliste
Le commandement formulé dans l’Evangile enjoint à l’homme d’aimer son prochain, ses semblables : il enjoint l’amour de la personne. En effet, Dieu que le commandement de l’amour mentionne en premier lieu, est personne par excellence. Le monde des personnes est différent et, d’une manière naturelle, supérieur au monde des choses (des non-personnes), du fait qu’il a été créé à l’image de Dieu. En exigeant l’amour de la personne, ce commandement s’oppose indirectement au principe de l’utilitarisme, celui-ci comme nous l’avons démontré dans l’analyse qui précède ne pouvant assurer que l’amour, soit présent dans les rapports entre les hommes, entre les personnes. L’opposition entre le commandement évangélique et le principe utilitariste n’est qu’indirecte, parce que le commandement de l’amour n’énonce pas explicitement le principe même permettant de réaliser l’amour entre les personnes. Cependant, le commandement du Christ est placé, si l’on peut dire, sur un plan différent du principe de l’utilitarisme, il constitue une norme d’un autre niveau. Il ne concerne pas directement la même chose : le commandement nous parle de l’amour à l’égard des personnes, tandis que le principe de l’utilitarisme désigne le plaisir comme étant la base de l’action, mais aussi de la réglementation des activités humaines. En analysant l’utilitarisme, nous avons constaté qu’en partant de la norme admise par lui, nous n’arriverions jamais à l’amour. Le principe de la jouissance se mettrait toujours en travers de notre chemin vers l’amour, et ceci du fait que nous traiterions la personne comme un moyen servant à atteindre le but, en l’occurrence le plaisir, le maximum de plaisir.
Le principe de l’utilitarisme et le commandement de l’amour sont opposés, parce qu’à la lumière de ce principe perd tout simplement son sens. »

Saint Jean-Paul II, Amour et Responsabilité, Editions du dialogue Stock, 1978, pages 27 à 33.
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Écrit par : ND / | 30/05/2016

'THE GUARDIAN'

> Voilà un article qui devrait vous enchanter ...https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/may/31/witnessing-death-neoliberalism-imf-economists
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Écrit par : Luc / | 31/05/2016

@ PP

> Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en le relisant, il apparaît que "l'harmonie douteuse" dont parle Saint Jean-Paul II est un argument pour éviter de paraître subjectiviste, donc relativiste.
Cela correspond en économie à la main invisible.
Ce qui veut dire que l'on enseigne aux étudiants à calculer et aux chercheurs à chercher un équilibre qui n'a que pour seul et unique but de ne pas paraître subjectiviste, et donc relativiste.
Et qui plus est, bien malgré tous ces efforts, on ne sort pas de l'égoïsme "le plus avide", ni du relativisme.
Enfin, c'est aussi sur la quête de cette chimère que l'on fait reposer toute nos sociétés: l'équilibre des marchés. On en a distribué des Prix Nobel pour cela. Mieux vaudrait encore chercher le Saint Graal, on aura plus de chance de le trouver.
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Écrit par : ND / | 02/06/2016

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