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06/02/2016

Péguy, la révolution et la conversion

transhumanisme,libéralisme

Relisant la biographie de Péguy par Robert Burac (La révolution et la grâce), je pense à la question de nos débats de 2016 : « Peut-on parler de révolution aujourd'hui, surtout si l'on est catholique ? » 


 

Burac écrit ceci (pages 170-171)* :

 

<< La révolte ne suffit pas à effectuer la libération. Péguy couve une révolution. Même “s'il y a des courbes, de pensée, d'action, qui sont fort loin d'être achevées”, certains signes ne peuvent tromper. Sa conception de la révolution elle-même subit une modification capitale. La révolution ne consiste pas à s'opposer au régime en place pour faire du neuf, c'est-à-dire en fin de compte la même chose, elle consiste en un retour, en une reprise de sève qui produira du nouveau : Res novas movere, disaient les Anciens. Elle est un appel d' “une tradition moins profonde à une tradition plus profonde”. Où l'on retrouve le schéma triparti [inspiré de Pascal : corps, esprit, charité] qui, décidément, s'installe dans le coeur de Péguy. Que l'on passe par-dessous ou par-dessus, le résultat est le même : la rupture avec l'ordre intermédiaire. Il insiste : “Une révolution revient essentiellement à fouir plus profondément dans les ressources non épuisées de la vie intérieure...”

Lui qui se voulait antichrétien en 1900, en particulier parce qu'il voyait dans la damnation, cette “éternité de mort vivante” (l'absence définitive du père), une “imagination perverse”, il ne s'estime plus, en 1902, qu' “inchrétien” “en un sens”. […] Du christianisme, il écrivait en 1900 que “beaucoup d'hommes se sont imaginé qu'il était toute une vie” alors qu'il est “une contrefaçon, une malfaçon de vie”. Mais en 1904, le christianisme est “toute une antiquité de vie”. Face à “toute la grande blancheur de la charité chrétienne”, se dresse assurément “toute la saine santé de la solidarité” socialiste ; […] mais en tout cas le débat ne se poursuit que “dans les hauteurs”.

Parallèlement, le mot moderne prend une coloration péjorative. […] En octobre 1904, “monde moderne” désigne plus précisément** le monde où Péguy s'efforce de survivre, le monde des mensonges politiques parlementaires, du “gouvernement des intellectuels, plus envahissant tous les jours”, le monde sorti de l'imagination monstrueuse de Renan, ce Renan qui dans ses Dialogues et fragments philosophiques, a rêvé de la fabrication d'êtres divins qui ne seraient que cerveaux : “rêve occulte” de la “pensée moderne”, commente Péguy... >>

 

 

La conversion-révolution de Péguy éclaire nos débats d'aujourd'hui. Reprenons les passages surlignés en gras :

 

La révolution selon Péguy << consiste en un retour, en une reprise de sève qui produira du nouveau... >> Burac précise ailleurs : « sauter par-dessus une génération desséchée et desséchante pour retrouver la sève vitale, tel est le principe de la révolution qui se prépare...»  On pense à la « révolution culturelle courageuse » du pape François ! Laudato Si' et le discours de Santa-Cruz font appel au génie de chaque nation, en écho à la théologie argentine du peuple. Pour Péguy aussi, « nationalisme et internationalisme ne sauraient s'opposer : la variété des nations enrichit l'univers et garantit la liberté » (Burac, p. 164).

 

<< Corps, esprit, charité... >> Le corps et l'esprit sont de la nature. La charité est surnaturelle. Et par la Rédemption « le surnaturel est lui-même charnel » : l'espérance surnaturelle transcende par surcroît les mobiles des actions humaines, apportant à celles-ci un élan que n'apportent pas les espoirs naturels (ni encore moins leur absence). Sincèrement au coude-à-coude avec des incroyants dans des luttes légitimes, les chrétiens croyants y apportent l'espérance.

 

<< Que l'on passe par-dessous ou par-dessus, le résultat est le même : la rupture avec l'ordre intermédiaire... >>   Si cette rupture peut s'accomplir par-dessus et par-dessous, c'est selon les points de départ et les motivations dans les luttes légitimes où croyants et incroyants convergent ! On en voit des signes aujourd'hui : cf La révolution du pape François (Artège 2015).

 

<< Une révolution revient essentiellement à fouir plus profondément dans les ressources non puisées de la vie intérieure... >> La révolution personnelle et sociale au sens péguyste ressemble à un phénomène de conversion. La conversion au sens chrétien est d'ailleurs une révolution permanente, passage du vieil homme à l'homme nouveau selon saint Paul : la rédemption par le Christ agit en nous à la façon d'une information transformante, disait Tresmontant.  

 

<< La fabrication d'êtres divins qui ne seraient que cerveaux... >> L'intuition de Péguy est impressionnante en 2016. Il sent que le moderne réalise (sous son scientisme) une opération occulte : la désincarnation. On parle aujourd'hui de virtualisation. Cent dix ans après Péguy, nous savons que cette opération est le produit du système économique par algorithme de rentabilité : l'intelligence artificielle étant plus productive que le vivant, l'économie tend à se passer de main d'oeuvre humaine. La déshumanisation par le capital se déguise en amélioration transhumaniste (mirage du virtuel et du bionique), mais c'est un mensonge : Mammon ne veut pas notre bien. Il juge que nous sommes de trop.

 

C'est contre Mammon que doit se faire la révolution. Pour l'Occidental, en venir à la révolution est une sorte de conversion.

 

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* Laffont 1994. Robert Burac a édité les Oeuvres complètes en prose de Péguy dans la Pléiade (trois volumes).

** chez Péguy.

 

 

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