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21/04/2015

Impressions de la Syrie chrétienne dans la guerre

 ...par Pierre Huet, qui en revient  

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    Rencontre avec le P. Toufik à Maaloula :


 

 

Nous sommes 33, de France et aussi de Belgique, à partir pour la Syrie ce matin de la Pâque catholique, et devant revenir le jour de la Pâque orthodoxe. Dans les 33, un contingent important de retraités, certains ayant passée une partie de leur vie au « Levant » et restés amoureux de ces pays ; une grande variété d’activités pour les autres, en particulier deux ou trois assistants parlementaires et deux journalistes travaillant pour deux hebdomadaires favorables à l’association organisatrice, SOS Chrétiens d’Orient. Nous voulons dire au Syriens et en particulier aux chrétiens que tout le monde n’est pas indifférent à leur sort et, au retour, parler d’eux à nos compatriotes. Un de nous avait déjà rencontré le P. Toufik [photo]. Notre point commun : nous sommes tous honteux de la stratégie de destruction de tout ordre politique par les pays occidentaux.

Notre voyage prévoit aussi des visites historiques : le Krak, Safita, Tartous, le temple de Hosn Soleïmen, Ougarit… 

Notre circuit en autocar nous fait partir de Beyrouth, nous rendre à Damas et revenir de Lattaquié par la route côtière. Notre guide (musulman), Mahmoud, cultivé, parfaitement francophone, nous commente richement chaque les lieux visités. 

Nous circulons accompagnés, c'est-à-dire protégés et surveillés par une ou plusieurs voitures de police, parfois sirène hurlante, ce qui permet de passer les points de contrôle sans vérification, doublant les véhicules arrêtés coffres ouverts. Il y en quatre sur la route venant de Beyrouth vers Damas, au lieu de 17 en décembre 2013. En fait, nous en avons remarqué aux entrées de chaque localité et à l’intérieur des villes, avec abris de fortune, hommes en armes, barrière précédées de dos d’ânes et de brusques chicanes de merlons. Il est interdit de photographier ceci, des hommes ayant parfois été identifiés sur des réseaux sociaux.

Les barrages sont nombreux dans les villes, en particulier Damas, d’où on entend les combats de Jobar et Yarmouk. La sécurité n’est pas totale : le lundi, dans l’après-midi, une roquette a été tirée visant le patriarche catholique sortant en procession d’une église. Lancée en tir courbe, probablement sur information d’un indicateur, elle a touché un balcon sans exploser.

La sortie du mardi vers Sweyda dans le sud du pays est annulée suite à l’avancée des rebelles dans la région frontalière de la Jordanie.

Le soir, les rues de Damas et autres lieux sont souvent sombres : la présence des rebelles sur l’Euphrate et ses barrages entrave l’alimentation en électricité. Les délestages sont fréquents. Les rues sont alors éclairées par les éventuelles vitrines, les particuliers basculent leurs installations sur leurs groupes électrogènes. La manœuvre est très bien maîtrisée dans les hôtels ou la coupure ne dure que deux ou trois secondes. Groupes électrogènes et camions vétustes : l’odeur de Damas est celle des gaz d’échappement. 

Dès la frontière, nous sommes bien accueillis, le poste comportant un salon d’honneur permettant d’attendre agréablement la fin des contrôles, dégustant du thé sous le regard d’un portrait du président Bachar El Assad émergeant d’une console fleurie comme un reposoir. Nous aurons bien d’autres occasions de remarquer cet omniprésent culte de la personnalité, probablement bien admis là bas mais propre à susciter la moquerie occidentale !

Notre qualité de premiers touristes depuis quatre ans nous vaut en chaque localité un accueil franchement heureux par les notables du lieu : ce à quoi nous nous attendions.

Pour des raisons de sécurité, les organisateurs souhaitaient ne pas trop attirer l’attention avant la fin du voyage. Manqué!  A l’arrivée à Beyrouth nous avions débouché dans le hall face à la télévision libanaise qui enregistrait un entretien avec le responsable du groupe, Benjamin Blanchard. Nous la retrouverons au retour. Dans l’autocar qui nous conduit à Damas, s’invitent une équipe de TF1 qui envoie un très sympathique mini-reportage au 13h du mardi 7, un journaliste du Parisien qui publie un papier dubitatif, et une journaliste de l’agence Sipa qui bavarde avec moi, entre autres, m’expliquant qu’elle voudrait entrer en contact avec la population de zones rebelles, car à côté de Daesh, il y a des rebelles gentils (sic). A Damas, nous trouvons aussi une équipe de France Télévision qui prépare un Complément d’enquête à diffuser le 15 mai. Dans quel esprit ? Mais après tout, l’important est que le projecteur soit sur les chrétiens d’Orient, même si c’est pour nous dénigrer comme complices du régime.

Ce qui ne va pas manquer d’arriver, vu son entreprise massive de communication autour du voyage, plusieurs rencontres avec des personnalités ayant été organisées sous une ou plusieurs caméras. Nous avons droit en effet, à des interviews dans une allée du souk, à une rencontre avec le ministre du Tourisme dans un parc public, à un exposé du vice-ministre des Affaires Etrangères en présence de la directrice du département pour l’Europe du ministère, d’une conseillère du cabinet présidentiel, et toute arrivée en un nouveau lieu se déroule sous l’œil des caméras des chaînes syriennes.

Si le langage du ministre du tourisme est d’un optimisme convenu, celui du vice-ministre des Affaires étrangères, M. Ayman Soussane, en compagnie de la directrice du département pour l’Europe des AE et de la conseillère du cabinet présidentiel (ancien ambassadeur ayant travaillé sur le projet sarkozien d’Union Méditerranéenne) retrace la thèse de la manipulation de la rébellion par les pays occidentaux, ce que nous pensions déjà tous ; mais se réjouit d’un changement de ton en France, qui n’a que trop agi pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Il ne manque pas de nous mettre en garde contre l’extension du terrorisme à l’Europe en raison de la porosité des frontières.

Cet accaparement initial et différents autres retards nous privent de l’audience du patriarche gréco-catholique Grégoire III Laham, que nous aurons toutefois retrouvé à la messe du lundi de Pâques à la paroisse Notre-Dame de Damas située sur une avenue, à proximité immédiate de la place des Abbassides. De l’autre côté de ce vaste rond-point, avenue barrée : elle conduit au quartier de Jobar, encore en guerre. A l’occasion de la messe, notre avenue est fermée à la circulation par une corde et un détachement de police. Mais ce sont les scouts et guides qui complètent le dispositif en fouillant les sacs et palpant les poches, avec le sourire car il y a une atmosphère de fête, les fidèles sont endimanchés comme nous ne le faisons que trop rarement. La paroisse nous a réservé le premier rang, mais nous sommes trop nombreux et des chaises sont ajoutées face à la chorale, juste auprès de l’iconostase, face à la petite chorale mixte dont les chants sont scandés par des voix fortes et assurées! L’annonce de la Résurrection en de nombreuses langues termine la messe, la sortie se fait au son martial de la fanfare de la troupe de scouts. Celle-ci a déjà perdu deux des siens dans la guerre. 

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 Significative par sa forme même et son contenu est l’audience du grand mufti de Damas [photo] dans une salle de la mosquée des Omeyyades : Ahmad Badreddin Hassoun, celui même qui a demandé aux fidèles musulmans de s’associer à la prière du pape en 2013. Il a invité pour l’occasion Mgr Lucas, vicaire patriarcal de Damas [photo]  des grecs-orthodoxes. Le grand mufti nous a exposé sa conception de l’Etat laïque protégeant toutes les religions du pays : « La politique ne doit pas s’interposer entre les hommes et Dieu... » Il nous a dit avoir été approché par l’opposition qui lui avait proposé de s’exiler comme opposant moyennant finances, ce qui aurait facilité le basculement des sunnites. Après son refus, son fils a été assassiné.

Il a proposé aux ambassadeurs états-unien, britannique et français de constituer un groupe interreligieux en vue d’informer les pays occidentaux ; ce qui ne se fit pas, car on exigeait de lui une prise de position antigouvernementale. Il nous met aussi en garde contre l’infiltration de certaines mosquées d’Europe par des wahabbites.

La paix doit être fondée sur la lumière et la raison, aimer Dieu et nous aimer entre nous : on ne peut pas recréer un « califat » affirme-t-il... 

Le vicaire patriarcal apporte des précisions sur la situation des chrétiens. Il y a des départs de chrétiens à cause des révolutionnaires, mais il estime que cet exode est moins important qu’on le dit, les chrétiens demeurent très attachés à cette terre qui est un berceau de l’Eglise. La Syrie a une tradition de tolérance et l’Etat apporte un soutien matériel aux institutions religieuses

La plupart de nos interlocuteurs ne veulent pas parler de guerre civile mais d’agression extérieure ayant manipulé des mécontents. Dès le début des manifestations, il y a eu des tirs contre les forces de l’ordre, et surtout, des milices d’opposants avaient été préalablement armées tandis que des réseaux de tunnels avaient été percés sous les grandes villes ; d’autre part, les opposants peuvent concentrer des forces chez les voisins de la Syrie actifs ou impuissants, et lancer des attaques massives. Ainsi les milices peuvent prendre des positions dont il est ensuite difficile de les déloger.

Nombre d’étrangers appartenant à des « services » occidentaux et déclarés disparus ont été identifiés sur des vidéos postées par les rebelles sur les réseaux sociaux. Lors des combats d’Idlib, l’armée syrienne a capturé deux officiers turcs, un israélien, et trouvé un drapeau turc. Un état-major serait installé en Turquie.

En face de cela, de nombreux hommes se sont réengagés dans la « défense nationale », formant des forces d’appoint à l’armée. Le coût humain apparait partout : on voit partout des photos des  « martyrs » de la rue ou du quartier, parfois montées avec, en arrière-plan, le portrait du président.

Nous avons eu deux jours pour découvrir Damas, « Al Cham », le grain de beauté du monde,  à la suite de l’annulation de la visite de Sweyda. Damas se revendique comme la plus ancienne ville habitée sans discontinuité. Partie d’une oasis au long des bras de la Barada, elle s’étend aussi à l’assaut des collines décapées par dix mille ans d’élevage ovin et caprin. C’est dans l’ensemble une ville moderne, qui affiche encore le visage de sa prospérité à l’occidentale d’il y a quelques années, bien que les quartiers anciens soient mal mis en valeur et ne fournissent pas l’écrin qui conviendrait à ses magnifiques monuments. Départ de l’annonce de l’Evangile aux nations, berceau de la langue arabe classique, Damas conserve, dans la majestueuse et élégante mosquée des Ommeyades, avec le tombeau de saint Jean-Baptiste et le "minaret de Jésus" où la tradition musulmane veut qu’Il revienne à la fin des temps : un des rares lieux de dévotion commun aux deux religions.

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 Mais pas le seul. Il y a Seydnaya [photo]. Deuxième pèlerinage des chrétiens d’Orient après Jérusalem, c’est aussi un pèlerinage musulman : c’est que le monastère conserve une icône de la Vierge Marie attribuée traditionnellement à saint Luc. Les sœurs Servantes de la Sainte Vierge assurent le fonctionnement d’un orphelinat de 35 places et d’un collège dont les élèves musulmans ou chrétiens suivent le même programme, sauf l’instruction religieuse. Nous ne sommes pas montés jusqu’au Christ Rédempteur érigé en 2013 faute de temps : les religieuses nous ayant gardés longtemps pour une collation alors que nous étions attendus à Maaloula.   

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 Toujours le long des monts du Kalamoun, l’étape à Maaloula est un temps fort de notre voyage. Après le ralliement aux islamistes d’une partie de la récente minorité musulmane (20% des habitants), la petite ville fut occupée huit mois par Al Nosra et l’ASL, puis reprise avec l’appui décisif du Hezbollah libanais. Maisons éventrées, parfois écroulées suite aux combats et pillées, église touchées et aussi systématiquement saccagées [photo] : les effets de l’iconoclasme ou du pillage sont faciles à distinguer de ceux des combats. Ainsi le monastère Saint-Serge-Saint-Bacchus, proche de l’hôtel dont les rebelles avaient fait leur fortin, a été touché, coupole crevée ; mais, par exemple, l’autel antique a été délibérément cassé en quatre. Il est déjà restauré et remis en place. 

Le monastère Sainte-Thècle, situé dans la gorge, inclut la grotte de la disciple de saint Paul, au fond d’un surplomb calcaire évoquant la Sainte-Baume ou San-Juan de la Peña. Il a été méthodiquement pillé, saccagé et incendié ; l’iconostase a été dépouillée de ses icônes; le P. Toufik espère qu’elles réapparaitront sur le marché de l’art comme c’est déjà arrivé, car elles ont une valeur marchande. Les religieux des deux monastères sont dispersés provisoirement pendant la remise en état.

Dans la petite ville même, l’église et le centre paroissial, ont subit le même sort ; leur rénovation est aidée financièrement par SOS Chrétiens d’Orient.

La ville paraît presque déserte, sauf les chantiers de rétablissement des réseaux de canalisations. La rencontre avec le P. Toufik, curé de la paroisse St-Georges de Maaloula, sans exposé de sa part, fut simplement festive et marquée par un déjeuner partagé avec la municipalité et des paroissiens dans la partie restaurée des locaux paroissiaux et la remise de dons par l’association et les visiteurs. Il confia à des certains d’entre-nous la difficulté qu’ont les sunnites d’accepter le pouvoir d’un non musulman. Les chrétiens de Maaloula ont été victime de l’asymétrie du rapport entre Dieu et César. Pourtant, il faudra revivre avec ce voisinage !

Changement total de paysage plus au nord. Grace à la trouée de Homs, paysage agricole verdoyant (en cette saison), pluie froid, vent et, hélas pour la vue, brouillard au Krak des Chevaliers dont la route d’accès et rouverte à l’occasion de notre venue. A la fin de la route, traces de combat à l’arme lourde : bâtiment éventrés ou effondrés en feuilleté de dalles-planchers comme après un séisme. Le château lui-même ne fut pas bombardé, mais assiégé et amené à reddition par le siège et l’accord d’un sauf-conduit à la garnison. On trouva des vêtements féminins et des bouteilles d’alcool au voisinage de la chambre de « l’émir » que ses hommes avaient assassiné. Mais la reprise du Krak couta 21 hommes à l’armée du fait des mines. Le principal dommage fut ici encore dû au vandalisme : la destruction d’une grande partie du délicat remplage des arcades de la galerie bordant la grande salle gothique.

Toujours dans cette région appelée Wadi al-Nasara, "Vallée des Chrétiens", le vendredi nous sommes à Safita où les Templiers ont laissé un imposant donjon dont le rez-de-chaussée constitue l’église, voutée en berceau brisé, contenant près de 300 places assises. C’est le Vendredi Saint orthodoxe. Dès le matin, la fanfare répète une marche funèbre fort martiale en vue de l’office de la mise au tombeau du Christ, à la fin duquel le prêtre porte en procession un catafalque de fleurs symbolisant le Corps du Christ, finalement placé au dessus de l’entrée de la nef de sorte que les fidèles passent en-dessous. Par la faute d’une averse, la procession se limite au difficile tour intérieur de l’église bondée. Les chants sont puissants, renforcés par la perfection acoustique commune aux églises des Croisés. Symbole ? Ou mieux encore, signe ? L’église dédiée à Saint Michel n’a jamais été désaffectée, le donjon a survécu à toutes les guerres et à deux violents séismes.

Notre dernière étape syrienne est Lattaquié où notre Mahmoud a trouvé une messe anticipé de rite latin à la paroisse du Sacré-Cœur. Repaysement liturgique : église néogothique, traduction arabe de cantiques de chez nous. Faut-il le dire ? Par rapport à ce que nous avions entendu chez les orientaux, c’est bien doucereux. Il y a un monde entre les deux sensibilités esthétiques : probablement est-ce lourd de sens. A l’issue de la messe, nous sommes accueillis par les carmélites de saint-Joseph. Elles nous indiquent que l’afflux de réfugiés a doublé la paroisse, malgré le départ de jeunes voulant éviter le service militaires ou cherchant du travail. Un sœur jordanienne fait part de son inquiétude face à l’évolution islamiste qu’elle observe à chaque visite annuelle dans sa famille. 

Nous repartons admiratifs du courage de ces chrétiens. Inquiet pour leur avenir. Inquiet pour le nôtre aussi, dans un monde ou d’étranges intérêts géopolitiques et financiers cultivent le désordre et la violence pour se maintenir.

                                                            

                                                    Pierre Huet

 

 

15:40 Publié dans Planète chrétienne, Proche-Orient, Syrie | Lien permanent | Tags : syrie