Supprimer les noms chrétiens des jours fériés ?

 

Le lundi de Pâques ramène ce "marronnier" des journalistes parisiens : supprimer les noms de jours fériés liés à la tradition chrétienne. Mais au fait : quelle est la réalité en France aujourd'hui ? Réflexions exploratoires : 

 

En vieux jargon de journalisme, on appelle « marronnier » les sujets cycliques qui reviennent meubler les périodes creuses. « Ils sont souvent simplistes », souligne le dictionnaire... Ce matin, un chroniqueur de RMC – le pétulant Thomas Guénolé, photo  – revenait sur la question des jours fériés dans l'Hexagone. Pour en discuter le nombre ? Pas du tout : pour s'indigner de leurs noms. Guénolé reproche à  la République de tolérer encore que des jours fériés s'appellent Noël (« naissance du Christ », précise le chroniqueur), lundi de Pâques (« résurrection du Christ »), lundi de Pentecôte (« descente de l'Esprit-Saint sur les apôtres »), Assomption (« montée au Ciel de la Vierge Marie »)et Toussaint (« tous les saints qui ne sont pas au martyrologe »). Pourquoi l'indignation de M. Guénolé ? Parce que les symboles chrétiens ne conviennent pas aux non-chrétiens, explique-t-il.

On pourrait chicaner : lui apprendre par exemple que pour les croyants le lundi de Pâques n'est pas une fête liturgique [1] (le lundi de Pentecôte non plus [2]). On pourrait s'étonner aussi qu'il nous dise que la France « n'a pas que des racines chrétiennes mais aussi des racines athées  puisque l'un des symboles français, Cyrano de Bergerac, était un athée » [4] ... Savinien de Cyrano, photo, écrivain parisien mineur du XVIIe siècle [3], fut inconnu du public jusqu'à la date très tardive de 1897 : date à laquelle Rostand donna le nom de Cyrano à un personnage de fiction. Aucun de ces deux Cyrano (le vrai et le faux) ne peut être considéré comme « l'un des symboles français » ! Le vrai Cyrano, celui du XVIIe siècle, personne ne l'a lu sauf quelques profs de lettres au XXe siècle. Quant au faux, celui de Rostand, sa date fait de lui un symbole tardif du malaise français post-1870 mais rien de plus... Athée ou pas, Cyrano est bidon.

Ça fait beaucoup d'approximatif pour une chronique radio aussi brève. Or M. Guénolé a pour métier d'influencer les foules ! Voici son CV :

<< Thomas GUÉNOLÉ est politologue, enseignant et conseiller politique. Comme politologue (PhD Sciences Po-CEVIPOF), il est auteur de livres expliquant la vie politique au grand public (dernier paru : Petit guide du mensonge en politique, éd. First, 2014). Il intervient très régulièrement dans les médias pour décrypter l’actualité politique (notamment BFMTV, iTélé, LCP, LCI, France Culture, et RMC). Il enseigne la politique comparée à HEC Paris et les enjeux politiques à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). Il est président de VOX POLITICA, cabinet de conseil en communication à fort contenu. >>

« A fort contenu » ? J'en doute. Les bobos partent en guerre contre un moulin à vent ! Les voilà allergiques aux noms de jours fériés. Bientôt ils seront allergiques aux noms de ville : ils donneront (comme en 1793) à Saint-Symphorien-sur-Saône le nom de Phorien-sur-Saône, car deux précautions valent mieux qu'une... Ce prurit éradicateur en 2015 est un symptôme bizarre.

En ce lundi de Pâques, relisons plutôt la vigoureuse intervention du cardinal Vingt-Trois à RND il y a trois jours. Le Vendredi saint 3 avril (jour chrétien crucial et non férié), l'archevêque de Paris commentait le nouveau calendrier scolaire... Un calendrier modifié par Mme Vallaud-Belkacem sous la pression des stations de sport d'hiver : « pression dont la portée pédagogique n'échappe à personne », ironisait le cardinal, avant de souligner que l'Education nationale obéit à l'industrie des vacances, et que c'est ce qui arrive lorsqu'une société est dominée par les lobbies économiques. J'ai applaudi au propos de Mgr Vingt-Trois. Je trouve que M. Guénolé devrait montrer autant de vaillance face aux lobbies qu'il en montre face aux catholiques ; autant de vaillance sur le contenu du calendrier, qu'il en montre sur l'intitulé de quatre dates.

 

 J'ajouterai aussi une considération qui déconcertera parce qu'elle change d'angle, et qu'elle ne contredit pas tout à fait M. Guénolé.

Chaque fois que ce pays – déchristianisé à 90 % – part en masse pour les « congés de l'Ascension », je me sens perplexe en tant que croyant, et en désaccord avec d'autres croyants : ceux qui disent que le mot « Ascension » appliqué à cette transhumance « maintient quelque chose ». Il ne maintient rien du tout. Ceux qui rabâchent que « la France-est-chrétienne-et-le-restera » disent une ineptie puisque les Français ne sont plus chrétiens.

Mais « la civilisation française », proteste notre droite d'athées pieux ?

Oui... La « civilisation française » était judéo-chrétienne dans ses fondements. Cependant elle n'est plus transmise aux gens. Le terme même de « civilisation française » n'a plus droit de cité : ce qui domine est le technoïde. Et même si la civilisation française était transmise, la connaissance informe mais convertit rarement : le passé est une chose, l'Evangile en est une autre.

Voilà où je voulais en venir. Le jour où M. Guénolé et ses amis auront obtenu que la République française renomme « Winter celebration » un 25 décembre que le commerce a rendu blasphématoire (et qui commence le 1er novembre), le jour où le « pont de l'Ascension » sera renommé « pont du Beau Temps », les catholiques français seront mis en présence des réalités d'aujourd'hui : contact un peu rude mais qui réveille. Nous ne sommes pas dans une société « ignorant qu'elle est chrétienne », comme le croient quelques-uns : nous sommes dans une société à christianiser, en reprenant tout à zéro.

 

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[1] Durant la semaine qui suit le dimanche de Pâques, le catholique est simplement censé « méditer et approfondir » le mystère de la Résurrection, écrivait Dom Guéranger. L'Eglise, notait-il en effet, a supprimé « l'obligation de férier le lundi ». Cette décision a été prise par elle lors du concordat de 1801. Et c'est le régime napoléonien qui a maintenu le lundi férié, pour satisfaire les exigences de certains métiers ! Les régimes ultérieurs ont gardé cette disposition sans que le clergé y soit pour rien.

[2] Pour les mêmes raisons, c'est aussi le régime napoléonien qui a institué le lundi de Pentecôte férié. Ce jour n'était pas férié dans des pays de forte tradition catholique comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande, la Pologne ou le Brésil, ni dans un pays de forte tradition orthodoxe comme la Russie... Lorsque M. Raffarin eut l'idée de supprimer le lundi férié, l'Eglise catholique a fait savoir qu'elle ne faisait aucune objection religieuse à cette initiative. M. Raffarin en a été déçu philosophiquement.

[3] Cyrano n'avait rien de gascon. Sa terre nommée Bergerac était sur l'Yvette, dans la vallée de Chevreuse.

[4] Cyrano formait également un « gay trio » avec Chapelle et d'Assoucy, a expliqué sa biographe Madeleine Alcover au colloque international de 1998 sur le XVIIe siècle (University of Miami). Rien à voir avec l'amoureux transi de Roxane dans le mélo de Rostand.