17/01/2015
Charlie Hebdo, "un rire de mépris de classe"
Fille de soixante-huitards, chercheuse en sociologie au CNRS*, Julie Pagis publie ces réflexions sévères (Libération 16/01) :
<< ...Il faut avouer que certaines caricatures de Charlie Hebdo ne faisaient plus rire une partie d'entre nous depuis des années : [pour les animateurs de ce journal] la religion essentialisée était devenue un mal à combattre en tant que tel, et ''les personnes revendiquant une religion des conservateurs, des aliénés, des frustrés, bref des ennemis, imbéciles de la [leur] liberté'' (1) >>
<< Dans les années 70, les jeunes révoltés de Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo s'en prenaient aux pouvoirs en place et à leurs conservatismes, faisant rire des dominés et des jeunes de différents horizons (marginaux, soixante-huitards reconvertis dans les luttes féministes, écologistes, etc). Dans les années 2000, [le monde mental de Charlie Hebdo est celui des] classes moyennes et supérieures parisiennes (2), et leur humour (3) offense une partie des classes populaires urbaines, en particulier quand il tourne en dérision l'islam qui représente, pour certains, la seule appartenance positive à laquelle se raccrocher. […] On est passé du rire jouissif, minoritaire, émancipateur car participant d'une remise en cause de l'ordre établi, à un rire qui n'est plus transgressif... […] Un rire mépris de classe ? Un rire en tout cas qui a tourné le dos depuis longtemps à de larges franges des classes populaires. >>
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* En 2014 elle a publié Mai 68, un pavé dans l'histoire (Presses de Sciences Po).
(1) Lettre ouverte à Charb en 2013 par Louis Jésu, doctorant en sociologie.
(2) Affirmation validée par la composition sociologique de l'assistance, dimanche dernier, lors de la soirée d'hommage à Charlie Hebdo patronnée par le ministère de la Culture. Voir notre note précédente.
(3) Ce mot aussi est inadéquat, au moins par comparaison avec la définition anglo-saxonne de l'humour. Le rire de Charlie Hebdo est plutôt celui de Bigard.
17:33 Publié dans Idées, Médias | Lien permanent | Tags : charlie hebdo