16/11/2014
Autour de la parabole du "mauvais serviteur"
Gardons-nous de "conserver avec une fidélité stérile"
(St Paulin de Nole, Ve siècle) :
En Matthieu 25.29, Jésus dit aux disciples: ''Celui qui a recevra encore, et il sera dans l'abondance. Mais celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a...'' Un barde de la droite culturelle disait en 1987: ''Le sens de cette phrase m'intéresse''; on devine quel sens lui prêtait ce partisan du ''dur courage d'être riche''. Or ce n'est pas ça que veut dire Matthieu ! La seule interprétation compétente, celle de l'Eglise [1], explique que l'avoir évoqué par ce verset 29 n'est pas un ''avoir des biens'', ni un ''avoir un drapeau'' ; c'est un avoir confiance. Autrement dit... un renoncement : à nous-même, à nos opinions, à nos possessions.
Saint Paulin de Nole (évêque du Ve siècle) était lui-même, dit saint Augustin [2], ''un riche qui avait échangé ses richesses contre la pauvreté volontaire''. Paulin écrit dans l'une de ses lettres que ''nous ne possédons rien qui ne soit un don du Seigneur'' ; que ''nous ne pouvons rien considérer comme nôtre, puisque, en vertu d'une dette énorme et privilégiée, nous ne nous appartenons pas'' ; et que nous ne devons pas être le mauvais serviteur de Mt 25.29 qui ''conserve avec une fidélité stérile'' – et dont ''le châtiment sera d'autant plus lourd''. Nous sommes tous, disait-il, ''rachetés au prix du sang du Seigneur'' : rendons-en grâce à Lui seul en Le laissant nous mettre en question, nous transformer, et nous mener où nous n'aurions surtout pas eu l'idée d'aller.
Conserver ''avec une fidélité stérile'', qu'est-ce que c'est ? Beaucoup de choses, hélas ! Par exemple, des attitudes individuelles consistant à confondre le catholicisme avec nos préjugés de milieu, donc à partir dans la mauvaise direction : et ''quand on tourne le dos au but du voyage, chaque minute qui passe, chaque pas, nous éloignent encore du but'' [3]. Il y a aussi une ''fidélité stérile'' collective, celle qu'évoque Maritain [4] : ''traiter le catholicisme comme s'il était lui-même une cité terrestre ou une civilisation terrestre, et donc demander pour lui et pour la divine vérité les mêmes sortes de triomphes que pour une cité ou une civilisation d'ici-bas'', ce qui ''s'apparente à la faute qui consiste à inféoder le catholicisme à une civilisation terrestre, et qui est une sorte de nationalisme in spiritualibus''.
Maritain ajoutait, et c'est le moment de le méditer : ''Cette sorte de temporalisation de la religion a pour effet de transformer mensongèrement, dans les consciences qu'elle atteint, le catholicisme en un parti et les catholiques en partisans.'' Exactement ce que voudraient certains en 2014, qui annexent le catholicisme aux pseudo-débats politiques actuels : et voilà comment on tourne le dos au but du voyage... ''Si l'intégrité doctrinale ou la vertu servent à cimenter l'orgueil d'une faction ou d'une caste, il n'y a aucun gain pour le royaume de Dieu'', concluait Maritain. Il n'y a aucun gain pour le royaume de Dieu quand des publicistes de caste ou de faction s'affichent comme catholiques, mais livrent une guerre au Magistère au nom de leur ''fidélité'' à l'idée qu'ils se font de l'Eglise.
Revenons au verset 29 de la parabole et à l'idée de la confiance. Le curé de ma paroisse expliquait ce matin l'attitude du mauvais serviteur : il ''manque de confiance en son Maître...'' Un catholique qui ne ferait pas confiance au Saint-Esprit (à l'oeuvre dans le Magistère) refuserait de se laisser mettre en question : se dérobant ainsi à l'Eglise-sacrement, il tournerait le dos au ''but du voyage''.
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[1] L'Eglise sait de quoi elle parle : c'est elle qui a rédigé l'Evangile.
[2] La Cité de Dieu, I-10.
[3] Marie-Noëlle Thabut, sur Mt 25,29.
[4] Religion et culture, III. Maritain ajoutait : ''Une telle transformation aoparaît avec des caractères très voyants dans l'état d'esprit des antisémites qui manifestent l'Evangile à coups de pogroms, et des personnes qui expliquent tous les ennuis de l'existence par une conspiration mondiale permanente des mauvais contre les bons.'' Et encore ceci : ''Le catholicisme n'est pas chargé de fournir un alibi aux manquements des catholiques. La meilleure apologétique ne consiste pas à justifier les catholiques ou à les excuser quand ils ont tort, mais au contraire à marquer ces torts, et qu'ils ne touchent pas à la substance du catholicisme.''
13:00 Publié dans Idées, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianisme
Commentaires
LE COEUR
> Au verset 26, le maître répond d'ailleurs : "Esclave, ton coeur est mauvais..." (trad. Bayard) Il s'agit donc bien du "coeur", des biens du coeur et non des biens matériels. Cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, § 2563 : le coeur "est le lieu de la vérité, là où nous choisissons la vie ou la mort". Cette parabole est l'une des plus essentielles.
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Écrit par : jem / | 16/11/2014
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