Le décret Alstom fait coasser la droite libérale

...mais n'est pas désapprouvé par les entrepreneurs, et ne contredit vraiment pas les positions économiques et sociales catholiques :

 

 

Benoît XVI, Caritas in Veritate, § 41 :  

''Lié à la solution de la crise actuelle, le rôle de l'Etat semble destiné à croître tandis qu'il récupère nombre de ses compétences.''

 

François, Evangelii Gaudium, § 204 :  

''Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et la main invisible du marché.''

  

La voix des papes est celle des réalités. Les libéraux de droite français font beaucoup d'efforts, cette année [1], pour contredire cette voix en faisant mine de l'approuver.

Mais l'actualité les malmène... Depuis quarante-huit heures, le marais libéral coasse contre le décret Alstom. Ce décret soumet à l'autorisation préalable du ministre de l'Economie les investissements par des groupes étrangers en France dans les ''activités essentielles à la garantie des intérêts du pays''. D'où clameur chez les petits messieurs : prétendre surveiller les investissements, c'est blasphémer la Main Invisible ! La dictature socialiste isole la France ! Etc.

Les petits messieurs libéraux sont mal informés. Le décret Alstom n'isole pas la France. Il est même timide par rapport aux dispositifs de nos voisins et partenaires... En Allemagne, deux lois de protection des intérêts nationaux autorisent le contrôle des investissements non-européens. Même chose en Espagne depuis 2013. Et en Italie depuis 2012. Quant aux Etats-Unis (auxquels l'UE va nous livrer nus et crus au nom du libre-échange atlantique), c'est encore mieux : la Maison Blanche a un droit de veto sur les investissements non-américains, et Obama l'a utilisé plus de dix fois en 2012. Quand nos petits messieurs prétendent que le décret Alstom serait ''une exception française'', ils montrent leur ignorance du paysage politico-économique mondial.

D'autant que leur avis est réfuté, en France même, par des personnalités plus compétentes. Henri Sterdyniak, directeur du département économique de la mondialisation à l'OFCE :''Les grandes entreprises jouent un rôle crucial dans le domaine de l'emploi, de la recherche ou de la politique environnementale. Il est logique que les Etats puissent influer sur leurs décisions... Les taux d'intérêt, qui n'ont jamais été aussi bas, et l'abondance de liquidités dont disposent les firmes américaines, notamment, font peser de gros risques sur nos entreprises''. Celles-ci deviennent ''des proies faciles'', souligne la CFE-CGC : Veolia et Suez Environnement sont les suivantes sur la liste américaine... Quant au président du Club des entrepreneurs, Guillaume Cairou, il déclare : ''Le décret Alstom est un outil pour lutter contre la fuite des pépites. Elles sont trop rares pour qu'on s'en sépare aussi facilement. L'Etat a son mot à dire. Il en va de la compétitivité de notre pays, mais aussi de l'emploi. Ce type de dispositif existe en Allemagne, en Italie, en Espagne et aux Etats-Unis. Croyez-vous que les Américains laisseraient Boeing être racheté sans rien dire ? Ne soyons pas les dindons de la farce ! Nous ne pouvons pas nous laisser piller.'' [2]

Les acteurs de terrain sont loin de désapprouver le décret Alstom. Ceux qui le désapprouvent sont les idéologues du libéralisme, qui ne connaissent pas mieux le monde du travail que celui des idées. Comme dit Péguy dans le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc : Seigneur, délivrez-nous des imbéciles...

 

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[1] Articles, livres, colloques, pressions indiscrètes sur des évêques par de ''généreux'' mécènes... 

[2] Libération, 16/05.