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04/03/2014

Soljenitsyne, l'URSS, la Russie, l'Ukraine...

russie, ukraine

Le regard d'un prophète-historien :

 


<< Nous avons récemment fêté le quatrième anniversaire des événements d’août 1991. Mais l’un de leurs aspects, pourtant non négligeable, a échappé à l’attention et au souvenir. (…) On a oublié comment le pays s’est trouvé découpé en morceaux en suivant ses frontières intérieures, nos frontières administratives tracées par Lénine, Staline, Khrouchtchev, et cela en dépit du bon sens à la convenance des uns ou des autres, sans tenir compte de la répartition ethnique – oublié comment ces frontières sont soudain devenues des frontières d’Etats. (…) 
Les diplomates occidentaux ont besoin de voir la Russie morcelée, affaiblie, pour se débarrasser d’un concurrent. Mais ce furent aussi nos radicaux démocrates dont les vociférations montèrent jusques aux cieux. «Impérialisme, impérialisme !» Quelle impudence ! – ou bien leur raison était-elle à ce point obscurcie ? Où est-il, l’impérialisme ? Vingt-cinq millions de nos compatriotes, des régions russes tout entières, se sont retrouvés à l’étranger, et nous ne pouvons même pas poser la question des frontières à définir ensemble ? C’est de l’impérialisme, ça ? (…) 
Et puis il y a la séparation de l’Ukraine et du Kazakhstan. Là, c’est exactement la même chose que la partition de l’Allemagne après la guerre. Tout comme, quand l’Allemagne a été déchirée en deux, ce sont des millions de liens vivants qui ont été rompus, c’est la même chose qui s’est passée ici avec la séparation de l’Ukraine et du Kazakhstan. Il et vrai que, là-bas, c’étaient des pays vainqueurs qui partageaient un pays soumis, vaincu. Et nous ? Nous, rien ne nous poussait à quoi que ce soit, nous avons simplement eu peur des vociférations à propos de ce fameux impérialisme. C’est nous-mêmes, de notre plein gré, qui avons tout livré. Les Russes sont maintenant un peuple démembré...>>
Alexandre Soljenitsyne

Commentaires

UKRAINE DEMEMBREE, PLANCHE DE SALUT ?...

> Si les frontières de l'Ukraine sont aussi récentes et illégitimes, qu'attend-on pour redessiner ces frontières, avec le soutien des populations et, cette fois-ci, plus d'à-propos ?
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Écrit par : PH94 / | 04/03/2014

UNIATES

> Connaissez-vous l'histoires des Uniates ? De la minorité catholique d'Ukraine ? Bien à vous

Alexis Brel


[ PP AB - Je la connais, et c'est une histoire plus compliquée (à tous points de vue) que les catholiques français ne l'imaginent. Comme disait le cardinal Congar, on ne peut pas réduire
la foi à des questions de statut... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Alexis Borel / | 04/03/2014

SOLJENITSYNE

> J’ai plutôt de la sympathie, et, disons-le, du respect pour le regretté Soljenitsyne – mais c’était un nationaliste russe. Difficile de l’oublier.
Ainsi lorsque Soljenitsyne dénonce « nos frontières administratives tracées par Lénine, Staline, Khrouchtchev, et cela en dépit du bon sens à la convenance des uns ou des autres, sans tenir compte de la répartition ethnique », nous avons affaire à un préjugé nationaliste qui remonte tout au plus au XIXe siècle. Pourquoi, je le demande, le découpage territorial d’entités politiques différentes, en l’occurrence de nations, devrait-il correspondre à sa répartition ethnique ? La France n’est pas ethniquement homogène, bien qu’elle tende à le devenir de plus en plus ; devrait-elle reconnaître leur indépendance à l’Alsace, à la Bretagne ou à la Corse ? Ce qui fonde l’appartenance à un peuple, à une nation, ce ne sont pas les différences culturelles comme telles, mais le lien politique (qui est lui-même culturel, bien sûr). Les spécificités culturelles n’ont pas de vocation nécessairement politique. Au fond, le nationalisme ukrainien tout comme le nationalisme russe datent du XIXe siècle. Les conceptions ukrainiennes et russes de la nation, qui doivent beaucoup aux allemands, ne sont d’ailleurs pas étrangères à la montée de l’antisémitisme et aux pogroms. Qu’est-ce qu’une nation ? Benedict Anderson répondait qu’il s’agit d’une « communauté politique imaginée » (et pas imaginaire, au sens d’ « illusoire »). Autrement dit, ce qui compte ce n’est pas que telle population russophone soit d’ « ethnie » russe, comme le laisse entendre Soljenitsyne, mais qu’elle ait une conscience d’elle-même comme appartenant au peuple russe.
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Écrit par : Blaise / | 04/03/2014

"IL EXAGÈRE"

> Soljenitsyne se lamente, en bon russe, de l’indépendance de l’Ukraine, qui serait venue rompre « des millions de liens vivants », n’exagère-t-il pas un peu ? reconnaître la souveraineté d’un Etat n’implique pas de couper les relations diplomatiques, économiques, culturelles qui existent de part et d’autres de la frontière.
D’ailleurs, avant que Catherine II ne mette la main sur l’Ukraine, grâce au partage de la Pologne, les « liens vivants » dont il parle, n’existaient même pas. Depuis le XIVe siècle, les maîtres de l’Ukraine, c’étaient les Polonais. Au XIVe siècle la principauté de Moscovie, qui donnera naissance un siècle plus tard à la Russie, avait des problèmes plus urgents à régler, notamment avec les Tatares. Ivan III pouvait bien revendiquer le titre de « souverain de toute la Rus' », cela relevait davantage de l’idéologie politique. Il prétendait aussi que Moscou était la « troisième Rome ». De façon similaire,le sultan ottoman s’était approprié les titres d’Empereur romain et de calife.
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Écrit par : Blaise / | 04/03/2014

à Blaise

> non ! quand on a lu vraiment Soljenitsyne on ne peut pas le qualifier de "nationaliste".
C'est un homme qui aime sa patrie mais qui la voit comme elle est et qui veut la libérer des excès impériaux. Lisez "Comment réaménager notre Russie" (Fayard 1990) et vous verrez :
"la démocratie des petits espaces". Rien de commun avec du post-soviétisme.
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Écrit par : trofim / | 04/03/2014

@ trofim

> Pourtant, Soljenitsyne est bien l’héritier des discours nationalistes qui se sont élaborés en Russie au XIXe siècle. Cela n’en fait pas pour autant un impérialiste acharné ni un complice de crimes de guerre.
Pour moi, l’idée nationale – que nous avons héritée de Herder et de Fichte – implique l’adéquation d’un Etat territorial, d’une population et d’une culture, en particulier d’une langue. Le nationaliste, c’est celui qui adhère et combat pour cette idée moderne de la nation, qui est d’abord un projet politique et social. Concrètement, l’idée de nation nivelle la société d’ordres de l’ancien régime ; en rassemblant le clergé, la noblesse et le tiers état dans une même communauté nationale, elle produit de l’égalité et permet le passage à un régime démocratique ; elle conduit aussi à plus d’homogénéité des cultures, en particulier d’un point de vue linguistique ; et force est de reconnaître qu’un certain nombre de pays européens, en Allemagne, en Turquie, dans les Balkans ou ailleurs encore, avant, pendant et après les deux guerres mondiales, ont pratiqué le nettoyage ethnique.

Soljenitsyne, de son propre aveu, n’est pas impérialiste ; cependant, il « aime sa patrie ». Quelle image se fait-il au juste de sa patrie ? où en trace-t-il les frontières idéales ? Les exemples abondent de contentieux frontaliers, passés ou présents, opposant des nations aux revendications territoriales rivales. Ainsi les russes ont un mythe fondateur, qui remonte à Ivan le Terrible : la Russie serait née à la fin du IXe siècle avec le baptême de Vladimir, qui inaugura les débuts de la christianisation du monde slave. Un nationaliste ukrainien ne peut que se sentir mal à l’aise avec ce genre de discours, par lequel les Russes s’approprient son histoire et justifient du même coup leur domination sur cette région.

Blaise


[ PP à B.
- Trofim vous répondra sans doute, mais la réponse à vos questions est dans les derniers ouvrages de Soljenitsyne. Notamment celui que je vous signalait plus haut
- La conception de la patrie selon AJ n'a rien à voir avec Fichte etc. Le nationalisme ukrainien, en revanche, est une idéologie "occidentale" d'origine germanique. Je vous suggère d'étudier l'histoire de Bandera. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Blaise / | 04/03/2014

HISTOIRE EN MORCEAUX

> Sans réduire la question à l'ethnique, les différentes parties de la grande Ukraine actuelle n'ont pas une histoire commune. Oui, Kiev à l'origine de la Russie chrétienne, oui, la Crimée "donnée" à l'Ukraine en 1954, mais aussi la Galicie ou la Ruthénie polonaises puis Austro-Hongroise puis en partie de nouveau polonaises jusqu'en 1945....pas mieux que feu la Yougoslavie.
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/03/2014

@ Blaise

> le 2e paragraphe, c'est vous ou est-ce que vous exposez ce qui a été dit au XIXe ou ce qui s'est passé au XIXe sur la question ?

" l’idée nationale – que nous avons héritée de Herder et de Fichte"
Personnellement, je n'ai rien hérité de Fichte et Cie sur la question, pas plus que de leurs sources d'inspiration, je suis catholique.
Je connais leurs discours et cela suffit.
Fichte est la dupe de ses propres idées : il avait si peu compris les choses qu'il s'opposait à l'empire napoléonien au nom des idéaux de la Révolution !
La philo de la fin 18e et celle du 19e sont intéressantes à connaître pour comprendre notre temps mais il faut avoir à l'esprit qu'elles ont été émises par des gens manquant singulièrement de recul, particulièrement passionnés et qu'elles ont eu essentiellement l'art de compliquer des choses naturelles ou de prétendre simplifier en remplaçant une dérive par une autre.
Tous ces déballages verbeux, cet idéalisme, ce romantisme, cet art du coupage de cheveux en quatre typiquement 19e et teuton....
ça donne une idée de l'influence intellectuelle du protestantisme en Allemagne (même chez les cathos : cf tous ces "théologiens" hérétiques, bavards et vaniteux).
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/03/2014

@ Pierre Huet

> Disons que le baptême de Vladimir à la fin du Xe siècle est un moment symbolique fort pour l’l’évangélisation des Slaves orientaux. Mais ce qui existait à l’époque, c’était la Rus’ de Kiev ; pas l’Ukraine et la Russie, qui restaient à inventer.

Quant aux critères ethniques, la langue par exemple, comme je l'expliquais plus haut, pris en eux-même ils n'ont aucune signification politique; mais ils peuvent très bien revêtir un enjeu politique, à un moment ou à un autre, et contribuer à la définition d'une identité nationale. La question se pose : toutes les parties de l'Ukraine - et toutes ses populations - ont-elles leur place dans le récit national ukrainien?
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Écrit par : Blaise / | 05/03/2014

@ Levavasseur

> La conception organiciste de l’idée nationale, telle qu’elle a été élaborée par Herder et Fichte, a essaimé dans toute l’Europe, et a même fini par gagner la France, en particulier après la défaite française contre les armées prussiennes. Patrice de Plunkett évoquait l’inspiration allemande du nationalisme ukrainien ; c’est le cas aussi du nationalisme russe. C’est pourquoi j’écrivais « nous ».
Le nationalisme est à la fois un discours et un projet politique à mettre en œuvre, notamment dans le cas des nations virtuelles qui ne possèdent pas (ou plus) leur Etat. Je n’oppose donc pas ce qui s’est dit et ce qui s’est passé sur ce thème.

Mon propos, c’était l’enjeu national tel qu’il s’est posé depuis le XIXe siècle, essentiellement dans sa version allemande. Mais à ses débuts le « nationalisme» est révolutionnaire ; la première attestation du mot dans la langue française remonte à 1798, avec le sens de conscience nationale révolutionnaire, puis, au XIXe siècle, d’« exaltation du sentiment national ».
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Écrit par : Blaise / | 05/03/2014

RÉCIT NATIONAL ?

> "toutes les parties de l'Ukraine - et toutes ses populations - ont-elles leur place dans le récit national ukrainien?"
Non, bien sûr.
- Les militants ukrainiens de l'ouest héritent d'une mythologie "nationale" fabriquée à Lemberg (Lviv) à l'époque Habsbourg, parmi la minorité ukrainienne d'une ville où les communautés polonaise et juive étaient de loin les principales. D'où la phobie anti-polonaise et anti-juive du nationalisme ukrainien. (anti-russe seulement après 1945).
- La mentalité des russophones de l'est remonte à l'époque où Kiev, la Crimée etc faisaient partie de l'empire du tsar (XVIIIe siècle). Leur mentalité est donc complètement étrangère à celle des gens de Lviv. Pas la même origine, la même mémoire, les mêmes réflexes, la même langue. Pas la même nation.
On peut amener des gens aussi différents à vivre ensemble dans un empire fédéral : non dans un Etat unitaire où l'une des communautés cherchera à dominer l'autre.
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Écrit par : Tarass / | 05/03/2014

> Dire que les Touaregs du nord-Mali sont les compatriotes des sud-Maliens fut un délire de géographe idéologue des années 1960.
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Écrit par : Tarass / | 05/03/2014

> N'exagérons pas trop la coupure entre Est et Ouest; les nationalistes ukrainiens ne pouvaient pas manifester trop ouvertement leurs convictions politiques, dans la partie orientale du pays, mais les journaux publiés à Lviv passaient la frontière.
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Écrit par : Blaise / | 05/03/2014

@ Patrice de Plunkett

> Stepan Bandera est un homme du XXe siècle; or le nationalisme ukrainien remonte au début du XIXe siècle. Le père du nationalisme ukrainien, Taras Chevtchenko, n'avait pas grand chose à voir avec le national-socialisme.

B.

[ PP à B. - Evidemment. Et Theodor Fontane en 1840 n'avait pas grand-chose à voir avec Ernst von Salomon en 1920. On peut chicaner à l'infini. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Blaise / | 05/03/2014

> et ça ne changera rien au fait que le numéro 2 de l'organisme de sécurité et de défense de Kiev est ouvertement néo-nazi.
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Écrit par : Tarass / | 05/03/2014

> ... d'où l'impossibilité de ramener le nationalisme au seul Stepan Bandera. Nous sommes d'accord. Mais ce qu'on peut dire, par contre, c'est que le nationalisme de Chevtchenko comme celui de Bandera puise à une commune source allemande; de même les slavophiles russes.
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Écrit par : Blaise / | 05/03/2014

@ Tarass

> (pour "rebondir sur les touaregs") vous savez, dans les années 70 il y a eu une autre trouvaille : dire que les ethnies africaines n'existaient pas et étaient une invention des puissances coloniales...
Tout et son contraire mais on a toujours raison, na !
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/03/2014

@ Blaise

> Bien d'accord que la langue ne fait pas tout, les traditions politiques différentes peuvent creuser de profond fossés, en témoigne en France la tragédie mal connue que fut le rattachement de la Franche-Comté.
En Ukraine, c'est bien d'un tel strabisme divergent qu'il s'agit.
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/03/2014

BIBLIOGRAPHIE

> Hosejko Lubomir, « L’utilitarisme politique du cinéma brejnévien contre le nationalisme ukrainien »

http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1165

Serhii Plokhii, « Ukraine or Little Russia? Revisiting the Early Nineteenth-Century Debate »

http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1150

Eric Aunoble, “Troubles de la guerre civile et mise en ordre révolutionnaire en Ukraine (1917-1921) »

http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1157

Serge Yosypenko, « L’Europe politique et l’identité ukrainienne : la tradition d’échanges et les enjeux contemporains »

http://www.diffusion.ens.fr/en/index.php?res=conf&idconf=1143
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Écrit par : Blaise / | 06/03/2014

BIBLIOGRAPHIE

> Daniel Beauvois, « Ukraine : indépendance et soviétisation », La fabrique de l’histoire/France culture, 03-03-2014

http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-ukraine-14-2014-03-03

Nicolas Werth, Thomas Chopard, « La grande famine », La fabrique de l’histoire/France culture, 04-03-2014

http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-ukraine-24-2014-03-04

Christian Ingrao, Thimothy Snyder, Nathalie Moine, « L’Ukraine dans la tourmente de la seconde guerre mondiale », La fabrique de l’histoire/France culture, 05-03-2014

http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-ukraine-34-2014-03-05
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Écrit par : Blaise / | 06/03/2014

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