25/10/2013
Gauche disloquée : un des signes de la décomposition de la Cinquième République
Points de vue intéressants du sociologue Jean-Pierre Le Goff et du politologue Zaki Laïdi :
...dans Le Monde daté d'aujourd'hui.
Sous le titre Guerre des gauches dans la majorité, ces deux pages témoignent de la dislocation du PS en trois courants :
1. une gauche paléo-soixantehuitarde « qui a troqué le social contre le sociétal, le combat ouvrier contre le soutien aux sans-papiers, et la défense de la retraite à 60 ans contre celle du ''mariage pour tous'' » ;
2. une gauche post-rocardienne, sécuritaire et libérale, incarnée par Manuel Valls ;
3. une gauche irrésolue, dont l'archétype est François Hollande qui flotte entre les courants 1 et 2.
Hors du PS, un autre courant (inédit celui-là) est apparu autour des analyses de Jean-Claude Michéa. Pour ressourcer le socialisme, il allie anti-libéralisme et anti-libertarisme : approche réaliste et complète qui fait converger objectivement ce courant – sans qu'il en ait déjà conscience – avec la critique catholique de la société contemporaine. [*]
Selon Le Goff : << Des représentants du gauchisme sociétal appellent les lycéens à reprendre la lutte, multiplient les leçons de morale envers le gouvernement et un peuple considéré comme des "beaufs" fascisants. Par un paradoxe historique et la grâce électorale du PS, certains, toujours prompts à jouer la société contre l'Etat, à considérer l'idée de nation comme xénophobe et ringarde, se retrouvent ministres et représentants de la nation. De nouveaux moralistes au pouvoir entendent éradiquer les mauvaises pensées et comportements en changeant les mentalités par la loi. Ils sont relayés par des militants et des associations qui pratiquent la délation, le lynchage médiatique et multiplient les plaintes en justice. La France vit dans un climat délétère où l'on n'en finit pas de remettre en scène les schémas du passé. [...] La confiance dans les rapports sociaux, la liberté d'opinion et le débat intellectuel s'en trouvent profondément altérés. Le chômage de masse, l'érosion des anciennes solidarités collectives et les déstructurations identitaires qui touchent particulièrement les couches populaires paraissent hors champ de ce combat idéologique entre le camp du progrès revisité et l'éternelle réaction. Des pans entiers d'adhérents, de sympathisants ou d'ex-militants ne se reconnaissent pas dans les camps ainsi tracés, tandis que le désespoir social gagne chaque jour du terrain. Ils désertent et s'abstiennent, quand ils ne sont pas tentés par les extrêmes pour exprimer leur protestation. >>
Selon Laïdi, plume de Manuel Valls : << c'est dans ce contexte qu'il faut analyser l'affaire Leonarda. [La gauche] a révélé de manière terrible son impréparation politique à s'emparer de la question migratoire. Dans cette affaire, deux erreurs ont été commises. La première a été d'avoir entrouvert la porte à un possible retour de la famille en cas de découverte d'une faute administrative. Cela révulsa l'opinion publique car elle voyait déjà l'Etat abdiquer. [...] S'il avait été simplement dit que "la famille ne reviendra pas sauf si une erreur a été commise", le propos aurait pris une tonalité radicalement différente. [...] Cette erreur fut doublée d'une faute politique gravissime. Celle qui consista à rechercher un imaginaire point d'équilibre entre les principes de la République et les valeurs de la gauche. Si l'objectif était de délégitimer la gauche au sein de l'opinion, en opposant la gauche à la République, le résultat a été atteint au-delà de toute espérance... >>
Laïdi a raison de souligner que l'opinion française refuse l'abdication de l'Etat. (C'est ce que les libéraux ne veulent pas voir : cécité qui les rend étrangers à la réalité française et les enferme dans les beaux quartiers). Mais le fait d'être lucide ne l'empêche pas d'être l'homme de Valls, qui est un héritier de Delors sous ses mines de Bonaparte...
Le Goff, pour sa part, a raison de mettre lui aussi le doigt sur le problème de l'Etat. (« La question n'est pas de maintenir à tous prix une majorité divisée sur des questions essentielles, mais de la crédibilité de la puissance publique et de l'unité du pays »). Reste à savoir sous l'emprise de quelles forces la Cinquième est entrée en décomposition. Ne s'en prendre qu'à la gauche (ou qu'à la droite) indiquerait un état d'esprit dépassé ; ce dont il s'agit est une crise de système, dont il faut comprendre qu'elle met en cause l'économique et le financier plus que les débris du politique.
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[*] alors que les « libéraux conservateurs » (conservateurs du libéralisme qui interdit de conserver) refusent de voir une moitié décisive de la réalité.
17:24 Publié dans Idées, La crise | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gauche
Commentaires
CONSCIENCE
> L'alliance objective de Manuel Valls et de Michéa via Laïdi me laisse quand même un peu perplexe. On peut pêcher par excès de subtilité. Des trucs plus simples comme les exigences de la conscience, ça ne vous branche jamais ?
H.
[ PP à H. - Je dois m'être mal exprimé, parce qu'il n'y a pas la moindre alliance, ni objective ni subjective, entre Valls et Michéa qui sont aux antipodes l'un de l'autre !
Quant aux droits de la conscience, je les honore autant que vous,. Je ne vois donc pas comment ils pourraient s'exercer en dehors du monde réel... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Haglund / | 25/10/2013
UN COEUR
> Le monde réel est complexe, j'en conviens, mais à ce point là…
Je trouve qu'il est fâcheux de le contempler au travers de lunettes aussi sophistiquées; le visage du semblable disparaît complètement. Celui de Léonarda et de sa famille par exemple. Je préfère l'immédiateté des lycéens qui eux ne lisent jamais assez à mon goût. Ils ont un coeur : c'est tout, et c'est beaucoup.
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Écrit par : Haglund / | 25/10/2013
à Haglund
> vous trouvez que Zaki Laïdi et JP Le Goff n'ont pas de conscience parce qu'ils ont un autre regard que vous ? Vous êtes sûre que votre avis et la Conscience ne font qu'un ? En tout cas c'est l'impression que vous donnez. Quelle autorité !
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Écrit par : baptiste / | 26/10/2013
A baptiste :
> Merci pour mon autorité, mais par pitié, relisez ou au moins lisez ! Legoff, Laïdi et tous les autres n'ont en commun que d'avoir été réunis par les voltes intellectuelles de Patrice de Plunkett, qui, à mon sens, tournent ici à l'acrobatie. Je ne connais que des trotskistes pour arriver à des synthèses pareilles, et même si c'est brillant, cela ne touche pas, ni ne peut convaincre.
Mon appel à la conscience lui était adressé : un peu plus de simplicité. Une simple réaction humaine qui permet de compatir avec ceux qui n'avaient pas grand chose, et désormais n'ont plus rien. Il me semble que c'est un meilleur point de départ.
Haglund
[ PP à H. - A votre tour, essayez de lire objectivement ce que vous lisez :
- nulle part je n'exprime une quelconque indifférence au sort des Roms. Au contraire...
- Apparemment vous ne lisez pas 'Le Monde', sinon vous sauriez que c'est lui (et pas moi) qui a associé Laïdi et Le Goff (ainsi que deux autres) dans une double page fracassante. Je n'ai fait que la lire et la commenter, parce que ces deux points de vue sont intéressants.
- Vous avez le droit d'être irritée personnellement par ce que disent Le Goff ou Laïdi ,
- mais nous feriez-vous la grâce, de temps en temps, de ne pas prêter à tout le monde des intentions extrêmement perverses et de profondes failles morales ?
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Écrit par : Haglund / | 26/10/2013
PAS PRÊTS
> L'anti-libéralisme reste le combat de ce qui reste du Parti Communiste et du Front de Gauche, qui peuvent renaître sur les cendres du PS... Sont-ils vraiment prêts à s'allier à des anti-libertariens alors qu'ils ont cru si longtemps que que l'Eglise était à abattre avec les bourgeois ?
Christine
[ PP à Christine - Ils n'y sont certainement pas prêts, c'est le moins qu'on puisse dire! Mais ça ne change rien à la situation objective. En outre, leur "antilbéralisme" n'est qu'un libéralisme retourné, comme l'était la pensée marxiste. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Christine / | 27/10/2013
A PP :
> Tant mieux pour les roms, parce que jusqu'à présent, à part Michel de Guibert, ça ne ruisselait pas d'empathie.
Je vous laisse à votre perversité et à vos failles morales…je suis obligée d'arrêter de vous emmerder, je dois faire un gâteau. A bientôt !
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Écrit par : Haglund / | 27/10/2013
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