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18/08/2013

Jésus-Christ : "Je suis venu apporter la division"

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Un mot qui dérange :

  


Jésus dit aux disciples : "Je suis venu apporter un feu sur la terre... Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis : mais plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées..." (Luc 12, 49-53). Cette parole a toujours gêné le "catholique à gros grain" [1]. Qu'est-ce que c'est que ce passage d'évangile où les familles se divisent, "le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère" ? C'est subversif.  On n'a pas été élevés dans ces idées-là !

Je ne sais pas dans quelles idées on a été élevés, mais il faut leur préférer l'intelligence du texte.

On a affaire ici à l'une des trente-trois paroles "dures" de l'évangile [2]. Leur langue originale est l'araméen, ami des antithèses et de images contrastées ; et le discours d'enseignement de cette époque utilise des procédés frappeurs et mnémotechniques. Ces paroles "dures" sont des paradoxes : on ne doit pas les opposer à d'autres paroles semblant les contredire, mais qui ne les contredisent pas. En Jean 14, 27, Jésus dira aux Douze : "c’est ma paix que je vous donne", ce qui paraît contredire Luc 12 ; mais Jésus précise chez Luc : "je ne vous la donne pas comme le monde la donne." La paix donnée par "le  monde" (la société) est apparente et épidermique : un consensus, un mimétisme. La paix donnée par le Christ est d'un autre ordre : profonde, surnaturelle, elle "vient de Dieu et dépasse toute intelligence", dira saint Paul. Elle passe par une conversion-révolution qui nous dit de changer de vie. Or, ce changement de vie, la société y est allergique.. Le consensus et le mimétisme traitent alors le prophète en bouc émissaire [3]. Sept cents ans avant le Christ, Michée constate que l'un des symptômes de cette allergie est la division  entre partisans du consensus et disciples du prophète : "Le fils méprise son père, la fille se révolte contre sa propre mère, comme la belle-fille contre sa belle-mère, et chacun a pour ennemis les gens de sa famille..." (Michée 7, 6-7). La phrase de Jésus dans l'évangile est donc une citation de Michée, que les disciples ont forcément reconnue.

 Si la société se divise devant la parole du prophète, c'est que cette parole divise chacun au plus profond de lui-même. Comme le dira la lettre aux Hébreux, la parole de Dieu "est vivante et efficace, elle est plus tranchante que l'épée à double tranchant, et, pénétrant jusqu'au plus profond de l'être, jusqu'à atteindre âme et esprit, jointures et moelle, elle juge les dispositions et les pensées du coeur..." La foi, dira saint Augustin, c'est "toucher avec le cœur". Refuser de se laisser "diviser" au plus profond de notre conscience par le Christ, Verbe de Dieu, c'est refuser le contact avec Lui et se replier sur le mimétisme humain – avec son corollaire : l'agressivité envers ceux qui ne suivent pas ce mimétisme... Refuser la paix donnée par le Christ, préférer le consensus de la société, c'est s'enfermer dans le mimétisme et son corollaire : la désignation de boucs émissaires. Cette esquive-repli est lourde de crimes possibles.

Le catholique n'est pas immunisé contre cette tentation. Sans la mise en question de soi dans la prière, sans cette exposition personnelle à la Trinité, on ne se laisse pas "diviser" par la Parole : on préfère l'illusion d'être compact... Si nous préférons l'activisme à l'examen de conscience, nous vivrons "selon nos désirs d'hommes livrés à eux-mêmes" (Ephésiens 2, 3), et nous laisserons nos ténèbres nous parler. Elles peuvent mener très bas.

Le premier effet de la paix du Christ est la réconciliation entre les humains : Il a voulu "réconcilier les uns et les autres avec Dieu et les unir en un seul corps, en supprimant, par sa mort sur la croix, ce qui faisait d'eux des ennemis".

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[1] « On dit proverbialement ''c'est un catholique à gros grain'', pour dire, ''un homme qui n'est guère attaché a sa religion''. » (Dictionnaire de l'Académie française, 1694). On peut parler beaucoup de religion sans y être attaché par la foi, qui fait prendre distance par rapport à soi-même.

[3] Lire à ce sujet l'essai de Monique Piettre : Les paroles "dures" de l'Evangile (Chalet 1988).

[3] La première lecture de ce dimanche 18 août, Jérémie 38, 4-10, montre les chefs de Jérusalem séquestrant le prophète dans une citerne pour qu'il y meure. Ils lui reprochent de trahir (au nom de Dieu) leur consensus politique.



 

Commentaires

> merci de cet éclairage. Le livre de Mme Piettre est-il encore en vente ?
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Écrit par : pascale / | 18/08/2013

DU PASTEUR NUÑEZ

> Dans ma prédication ce matin sur ce texte , j'ai effectivement dit certains éléments de votre article.
Faute d'avoir un mail où vous l'envoyer, en voilà un extrait...

"Ce problème n’est pas nouveau. Déjà Michée, avait décrit l'insurrection des enfants contre les parents comme une plaie de son temps : «Le fils insulte le père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère. Chacun a pour ennemi les gens de sa maison» (Michée 7,6).
Souvenez vous ce que Jésus dit à la foule : «Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Luc 14,26).

C’est un fait, la parole de Dieu nous invite continuellement à remettre en question nos traditions, nos façons de faire, notre vie de tous les jours, car ces traditions et ces façons de faire vont souvent à l’encontre des préceptes de Jésus. L’exemple le plus prégnant nous vient de ceux qui veulent vivre les valeurs chrétiennes au travail, en politique, sur la place publique : ils sont vite ramenés à l’ordre. «La religion est chose privée. Elle n’a pas sa place dans le domaine public». 
Notre actuel président de la République, lui même, a dit, le 5 avril dernier : «  Aujourd’hui, la laïcité est une frontière entre ce qui relève de l’intime, qui doit être protégé, et ce qui appartient à la sphère publique qui doit être préservée. » En disant cela, il se contente de suivre un esprit du temps qui prétend que les convictions religieuses ne peuvent s’exprimer librement que dans le « privé », et même dans l’ultra-privé de « l’intime ». Si nous acceptons que nos opinions, c’est à dire l’évangile de Jésus le christ, ne puissent plus s’exprimer à plusieurs et en public, alors il faudra envisager un jour d’en arriver à fermer nos salles de réunion ou même nos lieux de culte.
Il n’est pas facile de vivre les valeurs du christianisme dans un monde où l’argent, la carrière, la liberté individuelle, la jouissance immédiate, le nationalisme, la raison du plus fort règnent en maître. Cela suppose du courage de vivre selon les règles du Royaume de paix de Dieu et de participer activement à la construction d’un monde de justice, de paix, de fraternité et de compassion. 
Mais, Jésus nous prévient : Le fait d’accorder la priorité à la parole de Dieu sera toujours source de divisions, de conflits. La paix véritable ne peut être obtenue facilement. Il y aura un prix à payer 
Jésus nous prévient car il sait que la plupart d'entre nous ont l'impression de n'être pas du tout préparés à vivre de manière non-violente. Même si nous sommes certains que les convictions chrétiennes impliquent ce mode de vie, nous désespérons de notre capacité de vivre ainsi.

Jésus, quand il parle à ses disciples dans son discours d'adieu dans l'Évangile de Jean, rappelle aux disciples qu'ils n’ont pas choisi :
«Non, c'est moi qui vous ai choisis; et je vous ai établis, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure» (Jn 15,16). [... ] Mais, on retrouve encore cela de manière explicite dans la déclaration frappante qui vient juste avant ce passage: « Je ne vous appellerai plus serviteurs [...] je vous appellerai amis » (Jn 15,15).
Comme ses amis, nous sommes libérés de l'obligation de faire nos preuves en accomplissant de grandes choses. Nous sommes déjà acceptés comme des intimes. Cependant, nous ne sommes pas dispensés de la réponse typique de l'amitié, c'est-à-dire de devenir ce à quoi la confiance de l'autre nous appelle.
Nous n'avons jamais été appelés, dans les Écritures, à accomplir quoi que ce soit. Le thème récurrent du psalmiste, qui résume, comme seuls les poètes peuvent le faire,la marche de l'alliance de Dieu avec son peuple, c'est que nous devons raconter - souvent et à haute voix - les actions que Dieu a accomplies, ses hauts faits pour nous . Et au final, il ne nous est demandé qu’une seule chose : Il nous est demandé d'être fidèles - comme Dieu lui même nous est fidèle.
Porter du fruit consiste plus à devenir quelque chose qu'à faire quelque chose; pourtant, les résultats ne sont pas seulement tangibles, ils nourrissent aussi les autres. Porter du fruit revient, au delà de toutes les divisions et interrogations que nous ne manqueront pas de susciter par notre attitude, à nous laisser devenir un don pour les autres. Comme Il l'a fait, comme Il l’est encore et toujours.
Telle est la grâce de faire une seule chose. Mais c'est la seule chose qui fasse appel à la vérité même de notre existence et à la force qui soutient les vastes profondeurs de l'univers.
Nous le faisons non pas parce c'est efficace mais parce c'est vrai.
C’est le seul moyen de surmonter, sur le chemin du Royaume de paix de Dieu, les divisions qui nous habitent et qui nous entourent.
Devenir un don pour les autres non pas parce que c’est efficace mais seulement, seulement parce que c’est vrai."

JPN


( PP à JPN - Monsieur le pasteur, merci de ce texte ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Jean-Paul Nuñez / | 18/08/2013

BLOG

> Merci beaucoup M. Plunkett, vous avez tout mon respect pour le travail que vous faites et publiez à travers ce blog.
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Écrit par : carine / | 18/08/2013

> Merci beaucoup pour ce riche commentaire de la parole de ce jour.
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Écrit par : Pneumatis / | 18/08/2013

INCOMPATIBLES

>http://fr.radiovaticana.va/news/2013/08/18/le_pape_%C3%A0_lang%C3%A9lus_:_la_foi_et_la_violence_sont_incompatibles/fr1-72061
Dans le même sens, avec une métaphore de petit mitron.

Écrit par : Gérald / | 18/08/2013

SAINT-EX

> Cher Monsieur,
C'est avec grand plaisir que je consulte quotidiennement votre blog et je vous en remercie.
Il est une mine d'informations et de réflexions unique et précieuse.
N'ayant pas de moyen de communiquer avec vous, je profite de ce commentaire pour vous proposer ce lien sur la dernière lettre de Saint- Exupéry : http://theatrum-belli.org/antoine-de-saint-exupery-lettre-au-general-x-ecrite-le-30-juillet-1944-la-veille-de-sa-disparition/
Je l'ai trouvée fort d'actualité.
Fraternellement dans le Christ.

Thomas-Gérard Joubert
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Écrit par : Thomas-Gérard Joubert / | 18/08/2013

LE PARADOXE

> Intéressant cette "division" de l'Homme par le langage énoncée par le Christ (c'est aussi l'enseignement de la psychanalyse, de Lacan plus précisément).
Curieux ce paradoxe : Le Christ voulait que les hommes acceptent d'être divisés jusqu'au plus profond d'eux mêmes mais aussi les unir en un seul corps...
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Écrit par : Victor Hallidee / | 19/08/2013

AVANT LACAN

> Bien avant Lacan: Rom 7,15. "Car je ne sais pas ce que je fais; le bien que je veux, je ne le fais pas; mais le mal que je hais, je le fais."
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Écrit par : Pierre Huet / | 19/08/2013

MERCI AU PASTEUR

> Merci pour votre blog.
Merci a JPN pour son commentaire si beau et pertinent.
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Écrit par : Christophe Perrin / | 19/08/2013

à Pierre Huet

> Lacan gourou ?
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Écrit par : arf / | 20/08/2013

@ arf

> Oui, Lacan, psychiatre bondissant, n'a-t-il pas inventé la psylacanise ?
Dans son cas, on ne parlera pas de glaive à double tranchant… mais plus prosaïquement de parole à double sens et de calembredaines.
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Écrit par : Denis / | 20/08/2013

@ arf

> Lacan gourou? je n'en sais bien rien. Un de mes proches, psychiatre, arrive à le lire, dans un groupe d'étude informel et amical. Il faut qu'ils s'y mettent à plusieurs. Alors, nous, commun des mortels....
Je ne considérais que la chronologie!
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Écrit par : Pierre Huet / | 20/08/2013

MONIQUE PIETTRE

> Je profite de cet échange pour vous signaler que l'ouvrage de Monique Piettre a été réédité en 2014 sous le titre "Paroles mystérieuses de l'Évangile" par les éditions Le Centurion.
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Écrit par : Centurion / | 05/03/2015

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