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19/07/2013

L'islamisme contre l'écologie et l'archéologie (mais pas contre le business et les abus de puissance)

Turquie : un projet de barrage-monstre

Hasankeyf-Dayanisma-Kampi[1].jpg


La population d'Hasankeyf proteste contre le projet hydro-électrique.

  


On se souvient de la vandalisation des bouddhas de Bâmiyân par les taliban d'Afghanistan, en mars 2001 : ces statues géantes, datant du VIe siècle, avaient été déclarées mouchrik et détruites au canon.

On sait aussi que l'aile dure des islamistes égyptiens prône (depuis dix ans) la démolition des pyramides, encore plus mouchrik que des bouddhas.

Une troisième variété d'islamistes est au pouvoir à Ankara : le parti AKP, sorte de cousin turc – et moins malhabile – des Frères musulmans d'Egypte. Réputés "modérés" par les acéphales de Bruxelles, l'AKP et son Premier ministre Erdogan n'en développent pas moins une politique à la fois néo-ottomane, avec des velléités dominatrices au Proche-Orient, et sournoisement islamiste comme le montre l'affaire de Hasankeyf.

Ce toponyme est celui d'une petite ville du sud-est de l'Anatolie. Digne du classement au patrimoine mondial de l'Unesco, Hasankeyf est riche en architecture d'avant les Turcs : mosquée ayyoubide, mais aussi restes d'une citadelle romaine, églises des premiers siècles du christianisme, habitations troglodytiques d'il y a douze mille ans... Autant de titres à éveiller la malveillance d'un islamisme compliqué de néo-ottomanisme.

Et malheureusement pour ces trésors du patrimoine, la ville est située dans la vallée du Tigre. Le gouvernement AKP a donc décidé d'édifier un barrage hydro-électrique géant à Ilisu, en aval. Hasankeyf la multimillénaire sera submergée par les eaux. Ses trois mille habitants seront déplacés et relogés sur les collines, dans une cité de tours collectives qui s'appellera "Nouvel-Hasankeyf". Et la suppression du tourisme culturel sera "compensée", promettent les islamistes, par un centre de loisirs nautiques dans le lac de retenue, avec jet-ski, scooter des mers, flyboard, etc ! Le crétinisme motorisé remplacera les splendeurs de l'histoire. On vérifie là les affinités entre l'islamisme et le business de masse, déjà constatées à Istanbul lors de la bataille pour sauver le parc Taksim.

 

Ilisu-Dam[1].png

 

Ravageur sur le plan culturel et psychologique, le plan de barrage géant est non moins révélateur sur les plans économique et géopolitique.

akplogo[1].gif1. En effet, le problème d'électricité en Turquie ne réside pas dans une sous-production, mais dans un fantastique gaspillage : "Plus de 20 % de l'électricité produite en Turquie est 'perdue' en cours d'acheminement du fait de la vétusté du système. Une modernisation de l'infrastructure existante permettrait d'économiser quatre fois la production annuelle prévue du barrage hydro-électrique d'Ilisu", explique l'ONG écologiste turque Doga Dernegi [*]. Peine perdue : le gouvernement AKP veut son barrage monstre. L'emblème du parti n'est-il pas... une ampoule électrique ?  2.  Il y a une autre raison à l'obstination de M. Erdogan. Elle est géopolitique. Le Tigre descend vers la Syrie et l'Irak : barrer le Tigre, c'est se donner une arme contre ces deux Etats. Et menacer d'assécher la région irakienne des marais, l'un des plus vieux écosystèmes de la planète (actuellement 4000 km2 de zones humides permanentes), affamant ainsi une population de paysans-pêcheurs-éleveurs héritière de l'époque babylonienne... Mais ce serait d'une pierre deux coups pour Ankara, les "Arabes des marais" d'Irak étant des chiites, amis de l'Iran chiite, lequel est l'ennemi des néo-ottomans de l'AKP qui soutiennent l'islamisme sunnite en Syrie ; etc.

On voit ici, une fois de plus, à quel point sont liées l'écologie et la géopolitique : cette dimension essentielle dont l'Europe nie l'existence.

__________

[*]  Le Monde, 18/07.

 

  

Pour en savoir plus :

http://www.suhakki.org/en/index.php/2013/03/keeping-hasankeyf-alive-against-the-ilisu-dam/

 

Commentaires

> La destruction des bouddhas de Bâmiyân résultait aussi d'un conflit géopolitique. Pour rappel, c'est le mollah Omar qui avait demandé que la vallée du Bâmiyân soit classée sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, avant de changer brutalement d'avis. Il avait ses raisons : peu avant la décision fatale de 2001, le secrétaire général de l'Onu avait refusé que le régime Taliban puisse occuper le siège de l'Afghanistan aux Nations Unies. Pour Robert Kluyver, directeur de la FCS, « le seul moyen de sauver les bouddhas de Bamiyan aurait été la reconnaissance du régime taliban par la communauté internationale". » http://www.lemonde.fr/culture/article/2004/10/05/la-destruction-des-bouddhas-de-bamiyan-aurait-elle-pu-etre-evitee_381844_3246.html Mais un tel renvoi d’ascenseur ne s’est jamais concrétisé ; comment s’étonner que Kandahar ait fini par jeter l’éponge, à force d’avaler des couleuvres ?
Bref, l’acte de vandalisme à grande échelle commis par les Afghans à l’époque est une conséquence de la politique d’isolement menée par les Etats-Unis et ses affidés.
De toute façon, la notion même de « patrimoine » est relativement récente et d’origine européenne. Il ne faut pas trop s’étonner qu’elle ne se diffuse qu’à des rythmes variés dans le reste du monde, en fonction aussi des différentes couches sociales, surtout dans un pays aussi reculé que l’Afghanistan… Même en France, nous ne sommes pas toujours exemplaires en cette matière. Témoin l’actuel maire de Paris et sa première adjointe, Mme Hidalgo, qui se sont taillés à eux deux une solide réputation de destructeurs du patrimoine. La "Tribune de l’Art" se fait régulièrement l’écho de leurs exploits.
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Écrit par : Blaise / | 19/07/2013

> Mouchrik toi-même.
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Écrit par : JG / | 19/07/2013

PESHMERGA

> Ce n'est pas d'aujourd'hui: si le sphinx à perdu son nez, contrairement à ce qu'on croit communément, ce n'est pas à cause d'Obelix, c'est plus récent: c'était un coup de canon turc au 17ème siècle.
Pour le barrage, la Turquie est coutumière du fait, il y a quelques années sur autre site, une mosaïque romaine avait été retirée en catastrophe avant la submersion: il y a tout un complexe de barrage sur le Tigre et l'Euphrate. Autre effet pas anodin pour le pouvoir: les populations déplacées et retirées de leur terroir sont, comme par hasard des Kurdes.

PH

[ PP à PH - Kurdes qui viennent d'étriller les "guerriers" d'al-Nosra en Syrie ! Apparemment les fiers djihadistes venus de nos banlieues par internet ne valent pas les peshmerga. Qui se battent depuis des décennies contre l'armée turque... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 19/07/2013

OR BLEU

> l'or bleu sera le problème du 21è siècle avait-il été écrit.
Les grand fleuves en zones arides sont un bien inestimable source de toute les convoitises et de problème dès qu'ils profitent à plusieurs pays.
Le Nil bénéficie d'un (vieil) accord ; et encore est-il remis en question.
Rien sur le Tibre et l'Euphrate. Tant qu'il n'y aura pas d'accord, ils seront un lieu de tension, une sorte de bras de fer, dans lequel l'archéologie pèse peu (politiquement, économiquement). L'intérêt de la Turquie est de réaliser les barrages avant que le poids démographique plus au sud ne grandissent trop et la fasse apparaître comme une "assoifeuse" au yeux du monde. Quand elle aura les barrages, nécessairement sa voix politique sera plus forte face aux pays sur son flanc sud.
L'enjeu est sans doute encore plus politique qu'économique. Face à cela "le passé" ne pèse guère [pas] ! De plus les "dérèglements" climatiques nous prédise un peu partout de fortes irrégularité d'une année sur l'autre (voir les sécheresses ces dernière années jamais aux mêmes endroits). Les barrages peuvent laisser entrevoir un léger lissage de ces aléas.
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Écrit par : franz / | 22/07/2013

> Le Tigre, franz, pas le Tibre !
Fraternellement.
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Écrit par : PMalo | 22/07/2013

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