17/05/2013
Le pape dénonce "la dictature de l'économie sans visage"
Dans un discours aux ambassadeurs qui enthousiasme les catholiques et consterne les libéraux, le pape oppose l'Evangile à l'idole financière. Il appelle à une réforme économique radicale, impulsée par les Etats, dont il faut redécouvrir le rôle de "contrôle" de l'économie, au service du bien commun !
<< Messieurs les ambassadeurs, notre humanité vit en ce moment comme un tournant de son histoire, eu égard aux progrès enregistrés en divers domaines. Il faut faire l’éloge des acquis positifs qui contribuent au bien-être authentique de l’humanité dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la communication par exemple. Toutefois, il y a lieu de reconnaître aussi que la plupart des hommes et des femmes de notre temps continuent de vivre dans une précarité quotidienne aux conséquences funestes. Certaines pathologies augmentent, avec leurs conséquences psychiques ; la peur et la désespérance saisissent les cœurs de nombreuses personnes même dans les pays dits riches ; la joie de vivre s’amenuise ; l’indécence et la violence prennent de l’ampleur ; et la pauvreté devient plus criante. Il faut lutter pour vivre, et pour vivre souvent indignement. L’une des causes de cette situation, à mon avis, se trouve dans le rapport que nous entretenons avec l’argent, et dans notre acceptation de son empire sur nos êtres et nos sociétés. Ainsi la crise financière que nous traversons, nous fait oublier son origine première située dans une profonde crise anthropologique. Dans la négation du primat de l’homme ! On s’est créé des idoles nouvelles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 15- 34) a trouvé un visage nouveau et impitoyable dans le fétichisme de l’argent, et dans la dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain.
La crise mondiale qui touche les finances et l’économie semble mettre en lumière leurs difformités, et surtout la grave déficience de leur orientation anthropologique qui réduit l’homme à une seule de ses nécessités : la consommation. Et pire encore, l’être humain est considéré aujourd’hui comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter.
Cette dérive se situe au niveau individuel et sociétal. Et elle est promue ! Dans un tel contexte, la solidarité qui est le trésor du pauvre, est souvent considérée comme contre-productive, contraire à la rationalité financière et économique. Alors que le revenu d’une minorité s’accroît de manière exponentielle, celui de la majorité s’affaiblit. Ce déséquilibre provient d’idéologies promotrices de l’autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière, niant ainsi le droit de contrôle aux États chargés pourtant de pourvoir au bien-commun. S’installe une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose unilatéralement, et sans recours possible, ses lois et ses règles. En outre, l’endettement et le crédit éloignent les pays de leur économie réelle, et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. A cela s’ajoute, si besoin en est, une corruption tentaculaire et une évasion fiscale égoïste qui ont pris des dimensions mondiales. La volonté de puissance et de possession est devenue sans limite.
Derrière cette attitude se cache le refus de l’éthique, le refus de Dieu. Tout comme la solidarité, l’éthique dérange ! Elle est considérée comme contre-productive ; comme trop humaine, car elle relativise l’argent et le pouvoir ; comme une menace, car elle refuse la manipulation et l’assujettissement de la personne. Car l’éthique conduit vers Dieu qui, lui, se situe en-dehors des catégories du marché. Dieu est considéré par ces financiers, économistes et politiques, comme étant incontrôlable, dangereux même puisqu’il appelle l’homme à sa réalisation plénière et à l’indépendance des esclavages de tout genre. L’éthique - une éthique non idéologique naturellement - permet, à mon avis, de créer un équilibre et un ordre social plus humains. En ce sens, j’encourage les maîtres financiers et les gouvernants de vos pays, à considérer les paroles de saint Jean Chrysostome : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs » (Homélie sur Lazare, 1, 6 : PG 48, 992D).
Chers ambassadeurs, il serait souhaitable de réaliser une réforme financière qui soit éthique et qui entraînerait à son tour une réforme économique salutaire pour tous. Celle-ci demanderait toutefois un changement courageux d’attitude des dirigeants politiques. Je les exhorte à faire face à ce défi, avec détermination et clairvoyance, en tenant certes compte de la particularité de leurs contextes. L’argent doit servir et non pas gouverner ! Le pape aime tout le monde : les riches comme les pauvres. Mais le pape a le devoir au nom du Christ, de rappeler au riche qu’il doit aider le pauvre, le respecter, le promouvoir. Le pape appelle à la solidarité désintéressée, et à un retour de l’éthique pour l’humain dans la réalité financière et économique.
L’Église, pour sa part, travaille toujours pour le développement intégral de toute personne. En ce sens, elle rappelle que le bien commun ne devrait pas être un simple ajout, un simple schéma conceptuel de qualité inférieure inséré dans les programmes politiques. Elle encourage les gouvernants à être vraiment au service du bien commun de leurs populations. Elle exhorte les dirigeants des entités financières à prendre en compte l’éthique et la solidarité. Et pourquoi ne se tourneraient-ils pas vers Dieu pour s’inspirer de ses desseins ? Il se créera alors une nouvelle mentalité politique et économique qui contribuera à transformer l’absolue dichotomie entre les sphères économique et sociale en une saine cohabitation... >>
13:20 Publié dans Cathophilie, Chrétiens indignés, Eglises, Idées, La crise, Pape François, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : pape françois, christianisme, capitalisme, libéralisme
Commentaires
Enfin !
> Enfin un discours clair contre l'ultra libéralisme économique, comme il y en avait un contre l'ultra libéralisme sociétal. La doctrine sociale de l'Église ménageait trop la chèvre et le chou, au point de ne pas pouvoir déboucher sur le moindre impact concret.
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Écrit par : Guadet / | 16/05/2013
PRODUIT SOLIDAIRE
> cher Patrice de Plunkett, moi qui travaille dans la finance depuis presque 20 ans; qui ai réclamé à mon PDG en pleine réunion générale (allant au clash avec lui) la création de fonds éthiques voir solidaires pour que je puisse les vendre, je suis heureux de vous annoncer qu'enfin une grande banque française (pour laquelle je ne travaille pas, je bosse pour une banque suisse...et oui personne n'est parfait) vient de lancer le premier produit de campagne, donc national, à fond éthique, même solidaire ! découvrez la ici :http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Le-Credit-agricole-se-convertit-a-l-assurance-vie-solidaire-2013-05-16-960864
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Écrit par : jean-christian / | 16/05/2013
GRAND !
> Grand message du pape François. Précis et circonstancié. Empreint d’une rudesse propre à réveiller nos dirigeants politiques.
Pendant que le Saint-Père s’adressait aux ambassadeurs, le nôtre, l’hexagonal, le franco-François, cherchait lui aussi des ambassadeurs dans les salons de l’Elysée, parmi les journalistes assistant à sa conférence de presse ; en quête de relais et de soutiens à sa politique mi-chèvre, mi-chou…qui se voudrait « offensive » et ne réussit qu’à être offensante.
Comprenons nos dirigeants : ils n'ont pas été préparés à cela ! Engager « une réforme financière qui soit éthique et qui entraînerait à son tour une réforme économique salutaire pour tous » ; renoncer à « la dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain » ; faire cesser la « tyrannie invisible » de la finance ; la « corruption tentaculaire », « l’évasion fiscale égoïste » qui s’observent partout…
Au-delà du discours pontifical, les faits – une crise qu’aucune mesure de relance ne parvient à enrayer – devraient aider ces dirigeants politiques à ouvrir enfin les yeux. Et donc à choisir la compétitivité non seulement dans la justice économique et sociale, mais aussi dans la décroissance !
Hollande peut-il se hausser à la hauteur de sa mission et évoluer dans ce sens ? Et le faire de façon équitable, en maintenant ce bien commun que demeure l’Etat régulateur et redistributeur, « l’Etat providence » ? En exigeant de la part de l’ensemble des acteurs économiques et financiers davantage de sobriété dans la marche de leurs entreprises, davantage de mesure dans la recherche des profits, davantage de justice dans l’utilisation et la répartition de la richesse produite ?
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Écrit par : Denis / | 16/05/2013
MERVEILLEUX
> Merveilleux, tout est dit! En accord total avec Guadet, il faut combattre tout le libéralisme, sur tous les fronts.
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Écrit par : grzyb / | 16/05/2013
LE PAPE OU LE LIBERALISME
> Un discours qui sonne dans les têtes. La récréation est finie. L'Église,Pape en tête accepte le défi du libéralisme. Elle y va avec un discours cohérent et si riche qu'il ridiculise les autres opposants. L'Église prend pleinement en compte le caractère total du libéralisme. Elle s'y oppose avec une autre vision du monde. Nous devrons choisir entre suivre le pape ou sortir de L'Église pour suivre le libéralisme.
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Écrit par : Didier / | 17/05/2013
MOLOCH
> Ploutos se mue en Moloch. L'argent dévore tout. La recherche effrénée de la croissance à tout prix ... Dans le métro, on vend de l'adultère ...
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Écrit par : spooner / | 17/05/2013
LES ETATS
> "Ce déséquilibre provient d’idéologies promotrices de l’autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière, NIANT AINSI LE DROIT DE CONTRÔLE AUX ÉTATS CHARGÉS POURTANT DE POURVOIR AU BIEN-COMMUN. "
Youpiiiiiiiii !
François, mon pape !
Je t'invite au pélé pour la (nouvelle évangélisation de la) France !
C'est exactement ce que nous y disons !
Exactement ce que nous pensons depuis les années 90 (au moins)
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Écrit par : E Levavasseur / | 17/05/2013
ECONOMIE FICTIVE
> Je ne suis pas financier; mais je ne comprends pas que les Etats qui se sont endettés pour sauver les banques en 2008 2009, se trouvent pris sous le jougs des banques (la "finance" n'est-ce pas quand même beaucoup les banques, même si les fonds de pensions représentent sûrement un poids important).
Nous sommes me semble-t-il dans une situation ubuesque vue du consommateur moyen :
- l'Etat USA ne vit que grâce à sa banque centrale qui fabrique des dollars pour racheter son déficit (qui ne pourra jamais être remboursé)
- l'Etat japonais en récession depuis plus de 20 ans ne survivait que parce que la majeure partie de sa dette était détenue par sa population, vient de décider une politique plus extrémiste encore que les USA.
- La Chin, Etat qui détient le plus de la dette US (ensuite c'est le Japon), a une trésorerie débordante mais des entreprises d'Eat très fortement endettées, et va être confronté à une population vieillissante.
- L'Europe de plus en plus endettée hésite entre rigueur et emboîter le pas à une politique sur le modèle US (rachat de dette par la BCE).
- La bourse monte alors les productions baissent.
Bref nous vivons de plus en plus dans une économie fictive, qui n'avance que par l'endettement.
A quand une opération vérité ? ou bien allons nous à grand pas vers une société de "monopoly" géant ?
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Écrit par : franz / | 17/05/2013
HEUREUX
> Hier, sur: http://fr.radiovaticana.va/news/2013/05/16/le_pape_soppose_au_pouvoir_de_largent/fr1-692653
j'étais particulièrement heureux de lire cette page que j'ai recopié pour des amis et que vous relayez ; sauf erreur, au moins le figaro.fr et libération.fr ont relayés aussi-à leurs façons- cet accueil d'ambassadeurs dont les pays méritent une attention particulière.
Les homélies de la messe de 7:00 à Ste-Marthe sur http://fr.radiovaticana.va
méritent aussi d'être signalées, elles n'ont rien d'"air-bags"!
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Écrit par : Gérald / | 17/05/2013
PARTOUZE
> Je ne peux m'empêcher de mettre en parallèle ce texte et la scène de "partouze consumériste" (désolé, je ne trouve pas d'autre terme) qui a eu lieu dans les Virgin Mégastore. Bousculades, rayons saccagés, vendeurs insultés, ...par des gens qui ont acheté tout et n'importe quoi (mais surtout du high tech ! ), à 50 ou 60% de réduction, pour le revendre immédiatement après. Sur internet...et parfois même dans les queues aux caisses !
http://lesretrogaleriesdemistergutsy.blogspot.fr/2013/05/dignite-au-rabais-ou-le-delicieux.html?zx=98f25e8b46a00384
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Écrit par : Feld / | 17/05/2013
SITTING BULL
> Lorsque les indiens d'Amérique ont été confrontés aux manières de l'homme blanc ils ont rapidement compris dans leurs perspicacité et leur sagesse l'essence de la "civilisation" que les colons apportaient avec eux... Discours de Sitting Bull, guerrier Sioux, en 1877...:
"Mes frères, nous devons maintenant compter avec un autre race - petite et faible quand nos pères l'ont rencontrée pour la première fois, mais aujourd'hui devenue tyrannique. Fort étrangement, ils ont dans l'esprit de cultiver le sol et l'amour de posséder est chez eux une maladie. Ce peuple a fait des lois que les riches peuvent briser mais non les pauvres. Ils prélèvent des taxes sur les pauvres et les faibles pour entretenir les riches qui gouvernent. Ils revendiquent notre mère à tous, la terre, pour eux seuls et ils se barricadent contre leurs voisins; ils la défigurent avec leurs constructions et leurs rebuts. Cette nation est comme un torrent de neige fondue qui sort de son lit et détruit tout sur son passage;"
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Écrit par : Robert Culat / | 17/05/2013
> Oui, tout est dit: retroussons nos manches!
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Écrit par : Pierre Huet / | 18/05/2013
DANS LE PLAT
> L'expression est peut-être triviale mais "il met les pieds dans le plat" dans tous les domaines. Vive le pape François!
http://www.libertepolitique.com/Actualite/Le-fil/Le-pape-cree-la-surprise-en-se-rendant-parmi-les-manifestants-pro-vie
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Écrit par : Pierre Huet / | 20/05/2013
@ franz
> d'accord avec ce que vous dites sur la Chine.
J'ajoute que ce pays a une population non seulement vieillissante mais déséquilibrée avec bcp plus d'hommes que de femmes.
On va donc voir un formidable développement du trafic des femmes vers la Chine (à partir des Philippines pour commencer).
Ce pays n'a aucune conscience morale, pire que nous.
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Écrit par : E Levavasseur / | 21/05/2013
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