Amérique latine, catholiques, évangéliques...

..."théologie de la libération"... "théologie de la prospérité"... 

Emission intéressante mais lacunaire à RFI :

 

À RFI, longue et intéressante émission de Valérie Nivelon (quatre interviews commentées par Antoine Compagnon, de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine), sur la concurrence entre évangéliques et catholiques au Brésil et en Argentine. Concurrence amorcée en 1970 et accélérée au début des années 2000... Selon le prêtre catholique brésilien Ricardo Rezende, les pasteurs évangéliques des années 1970-1980 déployaient une stratégie de guerre contre le catholicisme, accusé de trahir l'Evangile et d'idolâtrer les saints. Rezende, par ailleurs, expliquait son action d'alors aux côtés des pauvres ("en tant qu'adepte de la théologie de la libération") d'une façon sympathique... mais ne laissant aucune place au spirituel. Face à lui, un pasteur expliquait comment les églises évangéliques étaient parties à la conquête des favelas de Sao Paulo et de Rio, peuplées d'émigrés du Nordeste, avec des évangélisateurs issus de la même émigration... Ni ce prêtre ni ce pasteur, ni leurs intervieweurs, ni même l'historien Compagnon, ne précisent une chose essentielle : si les évangéliques brésiliens ont pu attirer des dizaines de milliers de pauvres en quête de spirituel (y compris sous sa forme la plus "merveilleuse"), c'est que la tâche leur fut facilitée par une théologie de la libération d'origine franco-belge, qui évacuait la Révélation surnaturelle et réduisait le catholicisme au rôle d'emballage pour un contenu strictement séculier.

D'où l'erreur de Compagnon lorsqu'il affirme, suivant en cela la vulgate médiatique : "Jean-Paul II se trompa lorsqu'il étouffa la théologie de la libération, qui aurait pu freiner la progression des évangéliques parmi les pauvres." L'erreur de l'historien est double. En effet : 1. en desséchant le catholicisme, le christo-marxisme (appellation plus exacte que la formule "théologie de la libération") a poussé des foules de Latino-Américains vers les évangéliques ; 2. ce que Jean-Paul II a étouffé fut le christo-marxisme [*], mais non le principe d'une véritable théologie de la libération : principe que le cardinal Ratzinger a défini de façon incontournable dans son document de 1986 Instruction sur la liberté chrétienne et la libération (éditions Téqui). Chacun doit lire ce texte ; il ouvrira les yeux à ceux qui rejettent, par réflexe de droite, l'idée d'une action chrétienne face à l'oppression.

J'insiste sur cette question parce qu'elle a ressurgi dans la presse lors de l'élection du pape François. Quant à savoir ce que celui-ci en pense, on en trouve un aperçu dans notre note du 27/03 : "Le vibrant hommage du cardinal Bergoglio aux prêtres et à l'évêque assassinés par la junte argentine".

Autre lacune de l'émission. Personne n'a rectifié les propos du pasteur brésilien sur un point qui concerne l'Amérique latine et l'Afrique : la "théologie de la prospérité" - pratiquée par beaucoup de nouveaux mouvements - ne consiste pas à dire aux pauvres qu'en vivant chrétiennement ils vivront mieux, ce qui serait exact ; elle consiste à dire au pauvre que croire (et verser le denier du culte) lui apportera richessse et santé, ce qui est  une escroquerie... et une déviation hors du christianisme, comme on le voit avec l'Eglise Universelle du Royaume de Dieu au Brésil. La théologie de la prospérité est d'ailleurs condamnée par nombre d'Eglises évangéliques dans le monde.

Le défi du catholicisme brésilien n'est pas tant d'être confronté à d'autres formes de christianisme, que d'être confronté à des entreprises surpuissantes qui ne sont que le rayon "religiosité" du matérialisme mercantile occidental. Là-bas comme ici, l'ennemi de la foi est la société marchande.

 
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[*] Problème que Karol Wojtyla connaissait bien, pour s'y être affronté en Pologne à l'époque des "prêtres de la paix" et du mouvement Pax.